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ARBAT E..

Son frère, au moins jufqu'à ce jour,

Seigneur, dans fes deffeins n'a point marqué d'amour;
Et toujours, avec vous, fon cœur d'intelligence,
N'a femblé refpirer que guerre & que vengeance.

MITHRIDATE.

Mais, encor, quel deffein le conduifoit ici!

ARBATE.

Seigneur, vous en ferez tôt ou tard éclairci.

MITHRIDATE.

Parle, je te l'ordonne, & je veux tout apprendre.

ARBAT E.

Seigneur, jufqu'à ce jour ce que j'ai pû comprendre,
Ce Prince a cru pouvoir, après votre trépas,
Compter cette Province au rang de fes Etats;
Et, fans connoître ici de loix que fon courage,
Il venoit par la force appuyer fon partage.

MITHRIDATE.

Ah! c'est le moindre prix qu'il fe doit proposer,
Si le Ciel de mon fort me laiffe difpofer.

Oui, je refpire, Arbate, & ma joie eft extrême.
Je tremblois, je l'avoue, & pour un fils que j'aime,
Et pour moi, qui craignois de perdre un tel appui,
Et d'avoir à combattre un rival tel que lui.
Que Pharnace m'offenfe, il offre à ma colère
Un rival, dès long-tems, foigneux de me déplaire;
Qui, toujours des Romains admirateur fecret,
Ne s'eft jamais contre eux déclaré qu'à regret.

Et s'il faut que, pour lui, Monime prévenue
Ait pû porter ailleurs une amour qui m'est dûe ;
Malheur au criminel qui vient me la ravir,
Et qui m'ofe offenfer, & n'ofe me fervir.

L'aime-t-elle ?

ARBAT E.

Seigneur, je vois venir la Reine.

MITHRIDATE.

Dieux, qui voyez ici mon amour & ma haine,
Epargnez mes malheurs, & daignez empêcher
Que je ne trouve encor ceux que je vais chercher !
Arbate, c'eft affez; qu'on me laiffe avec elle.

SCENE I V.

MITHRIDATE, MONIME.

MITHRIDATE.

MADAME, enfin le Ciel près de vous me rappelle;

Et fecondant, du moins, mes plus tendres fouhaits,
Vous rend à mon amour plus belle que jamais.
Je ne m'attendois pas que de notre hyménée,
Je duffe voir fi tard arriver la journée ;
Ni qu'en vous retrouvant, mon funefte retour
Fit voir mon infortune, & non pas mon amour.
C'est pourtant cet amour, qui, de tant de retraites,
Ne me laiffe choifir que les lieux où vous êtes ¿

Et les plus grands malheurs pourront me fembler doux,
Si ma préfence ici n'en eft point un pour vous.
C'eft vous en dire affez, fi vous voulez m'entendré.
Vous devez à ce jour, dès long-tems vous attendre;
Et vous portez, Madame, un gage de ma foi,
Qui vous dit tous les jours que vous êtes à moi.
Allons donc affurer cette foi mutuelle.

Ma gloire, loin d'ici, vous & moi nous appelle;
Et, fans perdre un moment pour ce noble deffein,
Aujourd'hui votre époux, il faut partir demain.

MONIM E.

Seigneur, vous pouvez tout. Ceux par qui je respire
Vous ont cédé fur moi leur fouverain empire;
Et quand vous uferez de ce droit tout-puisfant,
Je ne vous répondrai qu'en vous obéiffant.

MITHRIDATE.

Ainfi, prête à subir un joug qui vous opprime,
Vous n'allez à l'Autel que comme une victime;
Et moi, tyran d'un cœur qui fe refuse au mien,
Même, en vous poffédant, je ne vous devrai rien,
Ah, Madame, eft-ce là de quoi me fatisfaire?
Faut-il que déformais, renonçant à vous plaire,
Je ne prétende plus qu'à vous tyrannifer?

Mes malheurs, en un mot, me font-ils méprifer?
Ah, pour tenter encor de nouvelles conquêtes,
Quand je ne verrois pas des routes toutes prêtes;
Quand le fort ennemi m'auroit jetté plus bas,
Vaincu, perfécuté, fans fecours, fans Etats;

Errant de mers en mers, & moins Roi que Pirate,
Confervant pour tous biens le nom de Mithridate,
Apprenez que, fuivi d'un nom fi glorieux,
Par-tout de l'Univers j'attacherois les yeux;

Et qu'il n'eft point de Rois, s'ils font dignes de l'être,
Qui, fur le trône affis, n'enviaffent peut-être,
Au-deffus de leur gloire, un naufrage élevé

Que Rome & quarante ans ont à peine achevé.
Vous-même, d'un autre ceil, me verriez-vous, Madame,
Si ces Grecs, vos ayeux, revivoient dans votre ame?
Et puifqu'il faut enfin que je fois votre époux,
N'étoit-il pas plus noble, & plus digne de vous,
De joindre à ce devoir votre propre fuffrage,
D'opposer votre estime au deftin qui m'outrage,
Et de me raffurer, en flattant ma douleur,
Contre la défiance attachée au malheur ?

Hé quoi, n'avez-vous rien, Madame, à me répondre ?
Tout mon empreffement ne fert qu'à vous confondre.
Vous demeurez muette; &, loin de me parler,
Je vois, malgré vos foins, vos pleurs prêts à couler.

MONIM E.

Moi, Seigneur? Je n'ai point de larmes à répandre.
J'obéis. N'est-ce pas affez me faire entendre?

Et ne fuffit-il pas...

MITHRIDATE.

Non, ce n'eft pas affez.

Je vous entends ici mieux que vous ne penfez.

Je vois qu'on m'a dit vrai. Ma jufte jaloufie
Par vos propres difcours eft trop bien éclaircie.
Je vois qu'un fils perfide, épris de vos beautés,
Vous a parlé d'amour, & que vous l'écoutez.
Je vous jette, pour lui, dans des craintes nouvelles.
Mais il jouira peu de vos pleurs infidèles,
Madame; & déformais tout eft fourd à mes loix;
Ou bien vous l'avez vu pour la dernière fois.

Appellez Xipharès.

MONIM E.

Ah, que voulez-vous faire ?

Xipharès...

MITHRIDATE.

Xipharès n'a point trahi fon père.

Vous vous preffez en vain de le défavouer ;
Et ma tendre amitié ne peut que s'en louer.
Ma honte en feroit moindre, ainfi que votre crime,
Si ce fils, en effet, digne de votre eftime,
A quelque amour encore avoit pu vous forcer:
Mais qu'un traître, qui n'eft hardi qu'à m'offenser,
De qui nulle vertu n'accompagne l'audace;
Que Pharnace, en un mot, ait pu prendre ma place,
Qu'il foit aimé, Madame, & que je fois haï !

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