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nous avons pour nous l'exemple des Anciens, qui dans leurs Poëmes héroïques n'ont fait que varier le nombre, fans jamais changer le rithme du vers.

Il eft vrai que les vers héroïques Italiens étant féminins prefque fans mêlange, ils feroient monotones s'ils avoient tous la même coupe. Mais notre vers de dix fyllabes n'a pas cet inconvénient: la marche en eft réguliére & n'eft point fatigante; il coule de fource; il eft doux fans lenteur; il eft rapide fans cafcade; & l'inégalité des deux hémistiches, avec le mêlange des finales alternativement fonores& muettes; en fuppofant les rimes croisées, fuffiroit pour le fauver de la monotonie, fans qu'on altérât le mouvement.

Il faut avouer cependant qu'il n'y a que les vers Grecs & Latins où la variété des nombres fe concilie pleinement avec la régularité de la mefure, & c'eft dans cette fource qu'on doit puifer l'art de la verfification; mais pour tirer quelque fruit de l'exemple des Anciens, il faut commencer par fe perfuader que notre langue a fa profodie, ou peut l'avoir comme les leurs, & je crois l'avoir démontré. Il eft vrai que dans la langue Fran

çoife, comme dans toutes les langues, tels nombres font plus rarès & tels nombres plus familiers: auffi n'est-elle pas indifférente à toutes les formes de vers; & de-là vient, par exemple, le mauvais fuccès de nos anciens Poëtes, qui ont voulu compofer en françois des Élégiaques fur le modèle des Latins. Mais cela prouve feulement qu'ils n'avoient pas étudié le caractère de la langue; & nous allons voir qu'il y a des mouvemens qu'elle obferve fans nul effort.

Je demanderois feulement qu'on accordât à la profodie poëtique ce que l'oreille ne lui refufe pas, & ce que l'ufage même lui cede. A propos de l'e féminin , qui redoublé à la fin d'un mot, fe change en é mafculin fur la pénultième, «La langue (dit M. AB. » bé d'Olivet) a confulté les princi» pes de l'harmonie, qui demande que » la pénultième foit fortifiée fi la der» nière eft muette. »

Il obferve ailleurs, » Qu'une fyllabe douteufe, & qu'on abrège dans » le cours de la phrafe, eft allongée fi » elle fe trouve à la fin: on dit un » homme honnête, un homme brave; » mais on dit un honnête homme, brave homme.

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Il fait remarquer auffi, que la premiere fyllabe d'heure eft brève dans une heure entière, & longue dans, depuis une heure, par la raifon que dans l'une elle eft paffagère, & que dans l'autre c'eft le point du repos.

Le même, après avoir mis au nombre des fyllabes brèves la pénultième de modèle, fidéle, pareffe, careffe, tranquile, facile, &c. ajoute. « Mais cela » n'empêche pas que dans le chant » & dans la déclamation foutenue ? » on n'allonge quelquefois ces fina» les. » Et la raifon qu'il en donne » eft, que l'oreille a befoin d'un fou» tien, & que ne le trouvant pas dans » la dernière, elle le prend dans la ,, pénultième.» Par la même raison il doit donc être permis d'allonger auffi dans les vers, quand le nombre l'exige, la pénultième des mots fuivans, fût-elle décidée brève dans le langage familier: audace, menace; fatale, rivale; organe, profane; vafle, fafle; éclatte, flatte; ténèbres, célèbres; veine, regrette, fecrette; penetre, lettre; funefte, célefte; fublime, victime; jufiice, propice; habite, fubite; idole, immole; couronne, environne; homme, Rcme; parfume, allume; chûte, exécute &c.

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La mufique vocale les prafonge, & Foreille n'en eft point offenfée; la déclamation peut donc les prolonger auffi; bien entendu cependant qu'elle n'altére point la qualité du fon: par exemple, l'a de fatale & d'organe fera fermé quoiqu'il foit long, ainfi que l'è pé nultième de mifere & de mere. De même l'o de couronne, de Rome & d'idole fe prolongera, fans approcher du fon de l'o grave de trône, d'atôme, & de pôle, ce qu'il eft important d'obferver.

On peut m'oppofer le peu de vo lume du fon de l'e, de l'i & de l'u; mais ces mêmes fons auffi grèles dans le latin ne laiffent pas de s'y prolonger; & en effet, le volume du fon n'en décide pas la durée.

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Dans les exemples que donne M. PAbbé d'Olivet des pénultiémes longues dans certains mots & breves dans d'autres, j'obferve que la longe eft le plus fouvent affectée aux termes nobles, ufités au theatre; & la brève, aux mots qui font plus en ufage dans le langage familier: ce qui prouve que la Mufique & la déclamation tendent infenfiblement à fe ménager des appuis fur le fon qui pré

cède la finalfe muette; car l'oreille eft fans ceffe occupée à ramener la langue aux principes de l'harmonie, & c'eft au fpectacle fur-tout qu'elle ap-. porte un difcernement délicat.

Si la déclamation & le chant étoient confultés fur la profodie poétique, non-feulement les voyelles qui précédent l'e muet feroient longues, mais toute finale pleine auroit droit de l'êaumoins dans les repos.

La valeur des articles, & d'une infinité de monofyllabes qui femblent douteux feroit décidée par la même voye. Par exemple, l'ufage conftant du théâtre veut que l'è ouvert de mes, fes, les fe prolonge s'il eft fuivi d'une brève, mes amis, ou d'un monofyllabe long, mes yeux; mais il permet qu'on l'abrège avant les mots dont la première eft longue, les enfers; & tel eft le génie de notre langue, que dans un nombre, quel qu'il foit, l'oreille & la voix ne demandent qu'un point d'appui. De trois fyllabes, dont chacune feroit longue au befoin, la voix choifira donc celle dont la lènteur favorife le plus l'expreffion, & gliffera fur les deux autres. Écoutez une Actrice recitant ce vers dans le rôle d'Inès.

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