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morale enjouée, des figures réitérées, des traits brillans et de vives descriptions; mais ce n'est point en avoir assez. Un meilleur esprit (1) néglige ces ornemens étrangers, indignes de servir l'évangile; il prêche simplement, fortement, chrétien

nement.

L'orateur (2) fait de si belles images de certains désordres, y fait entrer des circonstances si délicates, met tant d'esprit, de tour et de raffinement dans celui qui pèche, que si je n'ai pas de pente à vouloir ressembler à ses portraits, j'ai besoin du moins que quelque apôtre, avec un style plus chrétien, me dégoûte des vices dont l'on m'avoit fait une peinture si agréable.

Un beau sermon (3) est un discours oratoire qui est, dans toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conforme aux préceptes de l'éloquence humaine, et paré de tous les ornemens de la rhétorique. Ceux qui entendent finement n'en perdent pas le moindre trait, ni une seule pensée, ils suivent sans peine l'orateur dans toutes les énu

(1) Le père Soanen, grand prédicateur, prêtre de l'Oratoire, ensuite évêque de Senez.

(2) L'abbé Bouin, grand faiseur des portraits en chaire, habile prédicateur et grand joueur, ce qui l'a empêché de parvenir aux dignités ecclésiastiques, où il auroit eu bonne part sans cela.

(3) Le père Gonnelieu, jésuite,

mérations où il se promène, comme dans toutes les évaluations où il se jète: ce n'est une énigme que pour le peuple.

Le solide et l'admirable (1) discours que celui qu'on vient d'entendre ! Les points de religion les plus essentiels, comme les plus pressans motifs de conversion y ont été traités; quel grand effet n'a-t-il pas dû faire sur l'esprit et dans l'ame de tous les auditeurs? Les voilà rendus, ils en sont émus, et touchés au point de résoudre dans leur cœur sur ce sermon de Théodore, qu'il est encore plus beau que le dernier qu'il a prêché.

La morale douce (2) et relâchée tombe avec celui qui la prêche: elle n'a rien qui réveille et qui pique la curiosité d'un homme du monde, qui craint moins qu'on ne pense, tine doctrine sévère, et qui l'aime même dans celui qui fait son devoir en l'annonçant. Il semble donc qu'il y ait dans l'église comme deux états qui doivent la partager celui de dire la vérité dans toute son étendue, sans égards, sans déguisement; celui de l'écouter avidement, avec goût, avec admiration, avec éloges, et de n'en faire cependant ni pis ni mieux.

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L'on peut faire (3) ce reproche à l'héroïque

(1) Le père Bourdaloue.

(2) L'abbé Boileau et Fléchier.
(3) Contre les oraisons funèbres,

vertu des grands hommes, qu'elle a corrompu l'éloquence, ou du moins amolli le style de la plupart des prédicateurs: au lieu de s'unir seulement avec les peuples pour bénir le ciel de si rares présens qui en sont venus, ils ont entré en société avec les auteurs et les poëtes; et devenus comme eux panégyristes, ils ont enchéri sur les épîtres dédicatoires, sur les stances et sur les prologues; ils ont changé la parole sainte (*) en un tissu de louanges, justes à la vérité, mais mal placées, intéressées, que personne n'exige d'eux, et qui ne conviennent point à leur caractère. On est heureux, si, à l'occasion du héros qu'ils célèbrent jusques dans le sanctuaire, ils disent un mot de Dieu et du mystère qu'ils devoient prêcher: il s'en est trouvé quelques - uns qui ayant assujetti le saint évangile qui doit être commun à tous, à la présence d'un seul auditeur, se sont vus déconcertés par des hasards qui les retenoient ailleurs, n'ont pu prononcer devant des chrétiens, un discours chrétien qui n'étoit pas fait

(*) L'abbé de Roquette, neveu de l'évêque d'Autun, ayant à prêcher devant le Roi un jour de jeudi saint, avoit préparé un beau discours, rempli des louanges du Roi, qui s'y devoit trouver; mais le Roi ne l'ayant pu, à cause de quelques affaires qui lui survinrent, il n'osa monter en chaire, n'ayant plus d'occasion de débiter son discours.

pour eux; et ont été suppléés par d'autres orateurs qui n'ont eu le temps que de louer Dieu dans un sermon précipité.

Théodule (*) a moins réussi que quelques-uns de ses auditeurs ne l'appréhendoient, ils sont contens de lui et de son discours: il a mieux fait à leur gré, que de charmer l'esprit et les oreilles, qui est de flatter leur jalousie.

Le métier de la parole ressemble en une chose à celui de la guerre, il y a plus de risque qu'ailleurs, mais la fortune y est plus rapide.

Si vous êtes d'une certaine qualité, et que vous ne vous sentiez point d'autre talent que celui de faire de froids discours, prêchez, faites de froids discours il n'y a rien de pire pour sa fortune, que d'être entiérement ignoré. Théodat a été payé de ses mauvaises phrases et de son ennuyeuse monotonie.

L'on a eu de grands évêchés par un mérite de chaire, qui présentement ne vaudroit pas à son homme une simple prébende.

Le nom de ce panégyriste semble gémir sous le poids des titres dont il est accablé, leur grand nombre remplit de vastes affiches qui sont distribuées dans les maisons, ou que l'on lit par les rues en caractères monstrueux, et qu'on ne peut

(*) L'abbé Fléchier, évêque de Nîmes,

non

non plus ignorer que la place publique. Quand sur une si belle montre l'on a seulement essayé du personnage, et qu'on l'a un peu écouté, l'on reconnoît qu'il manque au dénombrement de ses qualités, celle de mauvais prédicateur.

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L'oisiveté des femmes et l'habitude qu'ont les hommes de les courir par-tout où elles s'assemblent, donnent du nom à de froids orateurs, et soutiennent quelque temps ceux qui ont décliné.

Devroit-il suffire (*) d'avoir été grand et puissant dans le monde, pour être louable ou non, et devant le saint autel, et dans la chaire de la vérité loué et célébré à ses funérailles? N'y a-t-il point d'autre grandeur que celle qui vient de l'autorité et de la naissance ? Pourquoi n'est-il pas établi de faire publiquement le panégyrique d'un homme qui a excellé pendant sa vie dans la bonté, dans l'équité, dans la douceur, dans la fidélité, dans la piété ? Ce qu'on appelle une oraison funèbre n'est aujourd'hui bien reçue du plus grand nombre des auditeurs qu'à mesure qu'elle s'éloigne davantage du discours chrétien; ou, si vous l'aimez mieux ainsi, qu'elle approche de plus près d'un éloge profane. L'Orateur cherche par ses discours un évêché: l'apôtre fait des conversions; il mérite de trouver, ce que l'autre cherche.

(*) Contre les oraisons funèbres.

Tome II.

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