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SECOND SUPPLEMENT.

PENSÉES

TIRÉES DES LETTRES MANUSCRITES

QUI SE TROUVENT A LA BIBLIOTHÈQUE du roi'.

I.

est fait, on en est assez content pour ne se mettre pas d'ordinaire fort en peine du succès de l'entreprise que l'on veut faire réussir ; et il est certain que ceux qui s'exposent et font autant qu'il est nécessaire pour prendre une place que l'on attaque, ou pour conquérir une province, ont plus de mérite, sont meilleurs officiers, et ont de plus grandes et plus utiles vues que ceux qui s'exposent seulement pour mettre leur honneur à couvert; il est fort commun de trouver des gens de la dernière espèce, et fort

L'intérêt est l'ame de l'amour-propre : de rare d'en trouver de l'autre. (MAXime 219.)

sorte que comme le corps privé de son ame est sans vue, sans ouïe, sans connoissance, sans sentiment et sans mouvement; de même l'amour-propre séparé, s'il le faut dire ainsi, de son intérêt, ne voit, n'entend, ne sent et ne se remue plus de là vient qu'un même homme qui court la terre et les mers pour son intérêt devient soudainement paralytique pour l'intérêt des autres; de là vient le soudain assoupissement et cette mort que nous causons à tous ceux à qui nous contons nos affaires ; de là vient leur prompte résurrection lorsque dans notre narration nous y mêlons quelque chose qui les regarde de sorte que nous voyons dans nos conversations et dans nos traités, que dans un même moment un homme perd connoissance et revient à soi, selon que son propre intérêt s'approche de lui ou qu'il s'en retire.

Lettre à madame de Sablé, manusc., folio 241.

II.

Ce qui fait tant crier contre les maximes qui découvrent le cœur de l'homme, est que l'on craint d'y être découvert. (MAXIME 103.) Manusc., folio 510.

III.

Lettre à M. Esprit, manusc., folio 173.

V.

Le goût change, mais l'inclination ne change point. (MAXIME 252.)

Lettre à madame de Sablé, manusc., folio 223.

VI.

Le pouvoir que des personnes que nous aimons ont sur nous, est presque toujours plus grand que celui que nous avons nous-mêmes. (MAXIME 259.)

Lettre à madame de Sable, manusc., folio 244.

VII.

Ce qui fait croire si facilement que les autres ont des défauts, c'est la facilité que l'on a de croire ce que l'on souhaite. (MAXIME 397.)

Lettre à madame de Sable, manusc., folio 223.

VIII.

Je sais bien que le bon sens et le bon esprit ennuient à tous les âges, mais les goûts n'y mènent pas toujours, et ce qui seroit bien en un temps, ne seroit pas bien en un autre. Ce qui me fait croire que peu de gens savent être

L'espérance et la crainte sont inséparables. vieux. (MAXIME 423.) (MAXIME 168.)

Lettre à madame de Sablė, manusc., folio 222.

IV.

Il est assez ordinaire de hasarder sa vie pour empêcher d'être déshonoré; mais quand cela

• Nous avons indiqué les numéros des Maximes auxquelles les Pensées de ce supplément peuvent servir de variantes.

Lettre à madame de Sable, manusc., folio 202.

IX.

Dieu a permis, pour punir l'homme du péché originel, qu'il se fit un bien de son amourpropre pour en être tourmenté dans toutes les actions de sa vie. (MAXIME 494.)

Manusc., folio 510.

X.

Il me semble que voilà jusqu'où la philosophie d'un laquais méritoit d'aller ; je crois que toute gaîté en cet état-là est bien suspecte1. (MAXIME 504.)

Lettre à madame de Sablé, manusc., folio 461.

RÉFLEXIONS

DIVERSES

Je ne prétends pas détruire, par ce que je dis, la confiance si nécessaire entre les hommes, puisqu'elle est le lien de la société et de l'amitié. Je prétends seulement y mettre des bornes et la rendre honnête et fidèle. Je veux qu'elle soit toujours vraie et toujours prudente, et qu'elle n'ait ni foiblesse ni intérêt. Je sais bien qu'il est malaisé de donner de justes limites à la manière de recevoir toute sorte de confiance de nos amis, et de leur faire part de la nôtre. On se confie le plus souvent par vanité, par envie de parler, par le desir de s'attirer la

DU DUC DE LA ROCHEFOUCAULD. confiance des autres, et pour faire un échange

I.

De la Confiance.

Bien que la sincérité et la confiance aient du rapport, elles sont néanmoins différentes en plusieurs choses.

La sincérité est une ouverture de cœur qui nous montre tels que nous sommes ; c'est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un desir de se dédommager de ses défauts, et de les diminuer même par le mérite de les avouer.

La confiance ne nous laisse pas tant de liberté: ses règles sont plus étroites; elle demande plus de prudence et de retenue, et nous ne sommes pas toujours libres d'en disposer. Il ne s'agit pas de nous uniquement, et nos intérêts sont mêlés d'ordinaire avec les intérêts des autres : elle a besoin d'une grande justesse pour ne pas livrer nos amis en nous livrant nousmêmes, et pour ne pas faire des présents de leur bien, dans la vue d'augmenter le prix de ce que nous donnons.

La confiance plaît toujours à celui qui la reçoit c'est un tribut que nous payons à son mérite; c'est un dépôt que l'on commet à sa foi; ce sont des gages qui lui donnent un droit sur nous, et une sorte de dépendance où nous nous assujettissons volontairement.

La Rochefoucauld cite, dans la 504 Maxime, le trait d'un laquais qui dansa sur l'échafaud où il alloit être roué.

Les Réflexions suivantes sont tirées d'un Recueil de pièces d'histoire et de littérature, Paris, 1731, tome 1er, page 32. Gabriel Brotier est le premier qui les ait insérées à la suite des Maximes, dans l'édition qu'il a donnée de cet ouvrage.

de secrets.

Il y a des personnes qui peuvent avoir raison de se fier en nous, vers qui nous n'aurions pas raison d'avoir la même conduite; et on s'acquitte avec ceux-ci en leur gardant le secret, et en les payant de légères confidences.

Il y en a d'autres dont la fidélité nous est connue, qui ne ménagent rien avec nous, et à qui on peut se confier par choix et par estime. On doit ne leur rien cacher de ce qui ne regarde que nous; se montrer à eux toujours vrais dans nos bonnes qualités et dans nos défauts même, sans exagérer les unes et sans diminuer les autres; se faire une loi de ne leur faire jamais des demi-confidences: elles embarrassent toujours ceux qui les font, et ne contentent jamais ceux qui les reçoivent. On leur donne des lumières confuses de ce qu'on veut cacher; on augmente leur curiosité; on les met en droit de vouloir en savoir davantage, et ils se croient en liberté de disposer de ce qu'ils ont pénétré. Il est plus sûr et plus honnête de ne leur rien dire, que de se taire quand on a commencé à parler. Il y a d'autres règles à suivre pour les choses qui nous ont été confiées; plus elles sont importantes, et plus la prudence et la fidélité y sont nécessaires.

Tout le monde convient que le secret doit être inviolable; mais on ne convient pas toujours de la nature et de l'importance du secret. Nous ne consultons le plus souvent que nousmêmes sur ce que nous devons dire et sur ce que nous devons taire. Il y a peu de secrets de tous les temps, et le scrupule de le révéler ne dure pas toujours.

On a des liaisons étroites avec des amis dont

Un bel esprit pense toujours noblement ; il produit avec facilité des choses claires, agréables et naturelles; il les fait voir dans leur

ments qui leur conviennent; il entre dans le goût des autres, et retranche de ses pensées ce qui est inutile, ou ce qui peut déplaire.

on connoît la fidélité; ils nous ont toujours | plus grandes choses; il voit et connoît les plus parlé sans réserve, et nous avons toujours petites; ses pensées sont relevées, étendues, gardé les mêmes mesures avec eux. Ils savent justes et intelligibles: rien n'échappe à sa pénos habitudes et nos commerces, et ils nous nétration, et elle lui fait souvent découvrir la voient de trop près pour ne pas s'apercevoir vérité au travers des obscurités qui la cachent du moindre changement. Ils peuvent savoir par aux autres. ailleurs ce que nous sommes engagés de ne dire jamais à personne. Il n'a pas été en notre pouvoir de les faire entrer dans ce qu'on nous a confié; ils ont peut-être même quelque in-plus beau jour, et il les pare de tous les ornetérêt de le savoir, on est assuré d'eux comme de soi, et on se voit réduit à ́la cruelle nécessité de perdre leur amitié, qui nous est précieuse, ou de manquer à la foi du secret. Cet état est sans doute la plus rude épreuve de la fidélité; mais il ne doit pas ébranler un honnète homme : c'est alors qu'il lui est permis de se préférer aux autres. Son premier devoir est de conserver indispensablement ce dépôt en son entier. Il doit non seulement ménager ses paroles et ses tons, il doit encore ménager ses conjectures, et ne laisser rien voir dans ses discours ni dans son air, qui puisse tourner l'esprit des autres vers ce qu'il ne veut pas dire.

On a souvent besoin de force et de prudence pour les opposer à la tyrannie de la plupart de nos amis, qui se font un droit sur notre confiance, et qui veulent tout savoir de nous on ne doit jamais leur laisser établir ce droit sans exception. Il y a des rencontres et des circonstances qui ne sont pas de leur juridiction s'ils s'en plaignent, on doit souffrir leurs plaintes, et s'en justifier avec douceur; mais s'ils demeurent injustes, on doit sacrifier leur amitié à son devoir, et choisir entre deux maux inévitables, dont l'un se peut réparer, et l'autre est sans remède.

II.

De la Différence des esprits.

:

Bien que toutes les qualités de l'esprit se puissent rencontrer dans un grand génie, il y en a néanmoins qui lui sont propres et particulières; ses lumières n'ont point de bornes, il agit toujours également et avec la même activité; il discerne les objets éloignés comme s'ils étoient présents; il comprend, il imagine les

Un esprit adroit, facile, insinuant, sait éviter et surmonter les difficultés. Il se plie aisément à ce qu'il veut, il sait connoître l'esprit et l'humeur de ceux avec qui il traite; et en ménageant leurs intérêts, il avance et il établit les siens.

Un bon esprit voit toutes choses comme elles doivent être vues; il leur donne le prix qu'elles méritent, il les fait tourner du côté qui lui est le plus avantageux, et il s'attache avec fermeté à ses pensées, parcequ'il en connoît toute la force et toute la raison.

Il y a de la différence entre un esprit utile et un esprit d'affaires; on peut entendre les affaires, sans s'appliquer à son intérêt particulier. Il y a des gens habiles dans tout ce qui ne les regarde pas, et très malhabiles dans tout ce qui les regarde; et il y en a d'autres au contraire qui ont une habileté bornée à ce qui les touche, et qui savent trouver leur avantage en toutes choses.

On peut avoir tout ensemble un air sérieux dans l'esprit, et dire souvent des choses agréables et enjouées. Cette sorte d'esprit convient à toutes personnes et à tous les âges de la vie. Les jeunes gens ont d'ordinaire l'esprit enjoué et moqueur, sans l'avoir sérieux; et c'est ce qui les rend souvent incommodes.

Rien n'est plus aisé à soutenir que le dessein d'être toujours plaisant ; et les applaudissements qu'on reçoit quelquefois, en divertissant les autres,ne valent pas que l'on s'expose à la honte de les ennuyer souvent quand ils sont de méchante humeur.

La moquerie est une des plus agréables et des plus dangereuses qualités de l'esprit. Elle

plaît toujours quand elle est délicate; mais on craint aussi toujours ceux qui s'en servent trop souvent. La moquerie peut néanmoins être permise quand elle n'est mêlée d'aucune malignité, et quand on y fait entrer les personnes mêmes dont on parle.

Il est malaisé d'avoir un esprit de raillerie sans affecter d'être plaisant, ou sans aimer à se moquer; il faut une grande justesse pour railler long-temps sans tomber dans l'une ou l'autre de ces extrémités.

La raillerie est un air de gaîté qui remplit l'imagination, et qui lui fait voir en ridicule les objets qui se présentent : l'humeur y mêle plus ou moins de douceur ou d'âpreté.

Il y a une manière de railler, délicate et flatteuse, qui touche seulement les défauts que les personnes dont on parle veulent bien avouer, qui sait déguiser les louanges qu'on leur donne sous des apparences de blâme, et qui découvre ce qu'elles ont d'aimable, en feignant de le vouloir cacher.

Un esprit fin et un esprit de finesse sont très différents. Le premier plaît toujours : il est délié, il pense des choses délicates, et voit les plus imperceptibles; un esprit de finesse ne va jamais droit: il cherche des biais et des détours pour faire réussir ses desseins. Cette conduite est bientôt découverte; elle se fait toujours craindre, et ne mène presque jamais aux grandes choses.

Il y a quelque différence entre un esprit de feu et un esprit brillant : un esprit de feu va plus loin et avec plus de rapidité. Un esprit brillant a de la vivacité, de l'agrément et de la justesse.

La douceur de l'esprit est un air facile et accommodant, et qui plaît toujours quand il n'est point fade.

Un esprit de détail s'applique avec de l'ordre et de la règle à toutes les particularités des sujets qu'on lui présente. Cette application le renferme d'ordinaire à de petites choses; elle n'est pas néanmoins toujours incompatible avec de grandes vues; et quand ces deux qualités se trouvent ensemble dans un même esprit, elles l'élèvent infiniment au-dessus des autres.

On a abusé du terme de bel esprit; et bien que tout ce qu'on vient de dire des différentes

qualités de l'esprit puisse convenir à un bel esprit, néanmoins comme ce titre a été donné à un nombre infini de mauvais poètes et d'auteurs ennuyeux, on s'en sert plus souvent pour tourner les gens en ridicule que pour les louer.

Bien qu'il y ait plusieurs épithètes pour l'esprit, qui paroissent une même chose, le ton et la manière de les prononcer y mettent de la différence : mais comme les tons et les manières ne se peuvent écrire, je n'entrerai point dans un détail qu'il seroit impossible de bien expliquer. L'usage ordinaire le fait assez entendre ; et en disant qu'un homme a de l'esprit, qu'il a beaucoup d'esprit, et qu'il a un bon esprit, il n'y a que les tons et les manières qui puissent mettre de la différence entre ces expressions, qui paroissent semblables sur le papier, et qui expriment néanmoins différentes sortes d'esprit.

On dit encore qu'un homme n'a qu'une sorte d'esprit, qu'il a de plusieurs sortes d'esprit, et qu'il a toutes sortes d'esprit.

On peut être sot avec beaucoup d'esprit, et on peut n'être pas sot avec peu d'esprit.

Avoir beaucoup d'esprit est un terme équivoque. Il peut comprendre toutes les sortes d'esprit dont on vient de parler; mais il peut aussi n'en marquer aucune distinctement. On peut quelquefois faire paroître de l'esprit dans ce qu'on dit, sans en avoir dans sa conduite. On peut avoir de l'esprit, et l'avoir borné. Un esprit peut être propre à de certaines choses, et ne l'être pas à d'autres : on peut avoir beaucoup d'esprit, et n'être propre à rien; et avec beaucoup d'esprit on est souvent fort incommode. Il semble néanmoins que le plus grand mérite de cette sorte d'esprit est de plaire quelquefois dans la conversation.

Bien que les productions d'esprit soient infinies, on peut, ce me semble, les distinguer de cette sorte :

Il y a des choses si belles, que tout le monde est capable d'en voir et d'en sentir la beauté. Il y en a qui ont de la beauté, et qui ennuient.

Il y en a qui sont belles, et que tout le monde sent, bien que tous n'en sachent pas la raison.

Il y en a qui sont si fines et si délicates, que

peu de gens sont capables d'en remarquer tou- | est sur un même ton. Cet accord les fait juger tes les beautés.

Il y en a d'autres qui ne sont pas parfaites, mais qui sont dites avec tant d'art, et qui sont soutenues et conduites avec tant de raison et tant de grâce, qu'elles méritent d'être admi

rées.

III.

Des Goûts.

Il y a des personnes qui ont plus d'esprit que de goût, et d'autres qui ont plus de goût que d'esprit. Il y a plus de variété et de caprice dans le goût que dans l'esprit.

Ce terme de goût a diverses significations, et il est aisé de s'y méprendre. Il y a différence entre le goût qui nous porte vers les choses, et le goût qui nous en fait connoître et discerner les qualités en nous attachant aux règles.

On peut aimer la comédie sans avoir le goût assez fin et assez délicat pour en bien juger; et on peut avoir le goût assez bon pour bien juger de la comédie sans l'aimer. Il y a des goûts qui nous approchent imperceptiblement de ce qui se montre à nous, et d'autres nous entraînent par leur force ou par leur durée.

Il y a des gens qui ont le goût faux en tout, d'autres ne l'ont faux qu'en certaines choses; et ils l'ont droit et juste dans tout ce qui est de leur portée. D'autres ont des goûts particuliers, qu'ils connoissent mauvais, et ne laissent pas de les suivre. Il y en a qui ont le goût incertain; le hasard en décide : ils changent par légèreté, et sont touchés de plaisir ou d'ennui sur la parole de leurs amis. D'autres sont toujours prévenus; ils sont esclaves de tous leurs goûts, et les respectent en toutes choses. Il y en a qui sont sensibles à ce qui est bon, et choqués de ce qui ne l'est pas leurs vues sont nettes et justes, et ils trouvent la raison de leur goût dans leur esprit et dans leur discernement.

Il y en a qui, par une sorte d'instinct, dont ils ignorent la cause, décident de ce qui se présente à eux, et prennent toujours le bon parti. Ceux-ci font paroître plus de goût que d'esprit, parceque leur amour-propre et leur humeur ne prévalent point sur leurs lumières naturelles. Tout agit de concert en eux, tout y

sainement des objets, et leur en forme une idée véritable: mais à parler généralement, il y a peu de gens qui aient le goût fixe et indépendant de celui des autres; ils suivent l'exemple et la coutume, et ils en empruntent presque tout ce qu'ils ont de goût.

Dans toutes ces différences de goûts qu'on vient de marquer, il est très rare, et presque impossible, de rencontrer cette sorte de bon goût qui sait donner le prix à chaque chose, qui en connoît toute la valeur, et qui se porte généralement sur tout. Nos connoissances sont trop bornées, et cette juste disposition de qualités qui font bien juger, ne se maintient d'ordinaire que sur ce qui ne nous regarde pas directement.

Quand il s'agit de nous, notre goût n'a plus cette justesse si nécessaire ; la préoccupation la trouble; tout ce qui a du rapport à nous paroît sous une autre figure. Personne ne voit des mêmes yeux ce qui le touche, et ce qui ne le touche pas. Notre goût n'est conduit alors que par la pente de l'amour-propre et de l'humeur, qui nous fournissent des vues nouvelles, et nous assujettissent à un nombre infini de changements et d'incertitudes. Notre goût n'est plus à nous, nous n'en disposons plus. Il change sans notre consentement; et les mêmes objets nous paroissent par tant de côtés différents, que nous méconnoissons enfin ce que nous avons vu et ce que nous avons senti.

IV.

De la Société.

Mon dessein n'est pas de parler de l'amitié en parlant de la société; bien qu'elles aient quelque rapport, elles sont néanmoins très différentes: la première a plus d'élévation et d'humilité, et le plus grand mérite de l'autre est de lui ressembler.

Je ne parlerai donc présentement que du commerce particulier que les honnêtes gens doivent avoir ensemble. Il seroit inutile de dire combien la société est nécessaire aux hommes: tous la desirent, et tous la cherchent; mais peu se servent des moyens de la rendre agréable et de la faire durer.

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