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X.

Il me semble que voilà jusqu'où la philosophie d'un laquais méritoit d'aller ; je crois que toute gaîté en cet état-là est bien suspecte1. (MAXIME 504.)

Lettre à madame de Sable, manusc., folio 161.
Lettre à madame de Sablė, manusc., folio 161.

RÉFLEXIONS

DIVERSES

Je ne prétends pas détruire, par ce que je dis, la confiance si nécessaire entre les hommes, puisqu'elle est le lien de la société et de l'amitié. Je prétends seulement y mettre des bornes et la rendre honnête et fidèle. Je veux qu'elle soit toujours vraie et toujours prudente, et qu'elle n'ait ni foiblesse ni intérêt. Je sais bien qu'il est malaisé de donner de justes limites à la manière de recevoir toute sorte de confiance de nos amis, et de leur faire part de la nôtre. On se confie le plus souvent par vanité, par envie de parler, par le desir de s'attirer la

DU DUC DE LA ROCHEFOUCAULD. confiance des autres, et pour faire un échange

I.

De la Confiance.

Bien que la sincérité et la confiance aient du rapport, elles sont néanmoins différentes en plusieurs choses.

La sincérité est une ouverture de cœur qui nous montre tels que nous sommes; c'est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un desir de se dédommager de ses défauts, et de les diminuer même par le mérite de les avouer.

La confiance ne nous laisse pas tant de liberté: ses règles sont plus étroites; elle demande plus de prudence et de retenue, et nous ne sommes pas toujours libres d'en disposer. Il ne s'agit pas de nous uniquement, et nos intérêts sont mêlés d'ordinaire avec les intérêts des autres : elle a besoin d'une grande justesse pour ne pas livrer nos amis en nous livrant nousmêmes, et pour ne pas faire des présents de leur bien, dans la vue d'augmenter le prix de ce que nous donnons.

La confiance plaît toujours à celui qui la reçoit : c'est un tribut que nous payons à son mérite; c'est un dépôt que l'on commet à sa foi; ce sont des gages qui lui donnent un droit sur nous, et une sorte de dépendance où nous nous assujettissons volontairement.

La Rochefoucauld cite, dans la 504 Maxime, le trait d'un laquais qui dansa sur l'échafaud où il alloit être roué.

Les Réflexions suivantes sont tirées d'un Recueil de pièces d'histoire et de littérature, Paris, 1731, tome 1er, page 32. Gabriel Brotier est le premier qui les ait insérées à la suite des Maximes, dans l'édition qu'il a donnée de cet ouvrage.

de secrets.

Il y a des personnes qui peuvent avoir raison de se fier en nous, vers qui nous n'aurions pas raison d'avoir la même conduite; et on s'acquitte avec ceux-ci en leur gardant le secret, et en les payant de légères confidences.

et à

Il y en a d'autres dont la fidélité nous est connue, qui ne ménagent rien avec nous, qui on peut se confier par choix et par estime. On doit ne leur rien cacher de ce qui ne regarde que nous; se montrer à eux toujours vrais dans nos bonnes qualités et dans nos défauts même, sans exagérer les unes et sans diminuer les autres; se faire une loi de ne leur faire jamais des demi-confidences: elles embarrassent toujours ceux qui les font, et ne contentent jamais ceux qui les reçoivent. On leur donne des lumières confuses de ce qu'on veut cacher; on augmente leur curiosité; on les met en droit de vouloir en savoir davantage, et ils se croient en liberté de disposer de ce qu'ils ont pénétré. Il est plus sûr et plus honnête de ne leur rien dire, que de se taire quand on a commencé à parler. Il y a d'autres règles à suivre pour les choses qui nous ont été confiées; plus elles sont importantes, et plus la prudence et la fidélité y sont nécessaires.

Tout le monde convient que le secret doit être inviolable; mais on ne convient pas toujours de la nature et de l'importance du secret. Nous ne consultons le plus souvent que nousmêmes sur ce que nous devons dire et sur ce que nous devons taire. Il y a peu de secrets de tous les temps, et le scrupule de le révéler ne dure pas toujours.

On a des liaisons étroites avec des amis don t

plus grandes choses; il voit et connoît les plus petites; ses pensées sont relevées, étendues, justes et intelligibles: rien n'échappe à sa pénétration, et elle lui fait souvent découvrir la vérité au travers des obscurités qui la cachent aux autres.

on connoît la fidélité; ils nous ont toujours parlé sans réserve, et nous avons toujours gardé les mêmes mesures avec eux. Ils savent nos habitudes et nos commerces, et ils nous voient de trop près pour ne pas s'apercevoir du moindre changement. Ils peuvent savoir par ailleurs ce que nous sommes engagés de ne Un bel esprit pense toujours noblement ; il dire jamais à personne. Il n'a pas été en notre produit avec facilité des choses claires, agréapouvoir de les faire entrer dans ce qu'on nous bles et naturelles; il les fait voir dans leur a confié; ils ont peut-être même quelque in-plus beau jour, et il les pare de tous les ornetérêt de le savoir, on est assuré d'eux comme ments qui leur conviennent; il entre dans le de soi, et on se voit réduit à la cruelle néces- goût des autres, et retranche de ses pensées ce sité de perdre leur amitié, qui nous est pré- qui est inutile, ou ce qui peut déplaire. cieuse, ou de manquer à la foi du secret. Cet état est sans doute la plus rude épreuve de la fidélité; mais il ne doit pas ébranler un honnète homme c'est alors qu'il lui est permis de se préférer aux autres. Son premier devoir est de conserver indispensablement ce dépôt en son entier. Il doit non seulement ménager ses paroles et ses tons, il doit encore ménager | ses conjectures, et ne laisser rien voir dans ses discours ni dans son air, qui puisse tourner l'esprit des autres vers ce qu'il ne veut pas dire.

On a souvent besoin de force et de prudence pour les opposer à la tyrannie de la plupart de nos amis, qui se font un droit sur notre confiance, et qui veulent tout savoir de nous on ne doit jamais leur laisser établir ce droit sans exception. Il y a des rencontres et des circonstances qui ne sont pas de leur juridiction : s'ils s'en plaignent, on doit souffrir leurs plaintes, et s'en justifier avec douceur; mais s'ils demeurent injustes, on doit sacrifier leur amitié à son devoir, et choisir entre deux maux inévitables, dont l'un se peut réparer, et l'autre est sans

remède.

II.

De la Différence des esprits.

Bien que toutes les qualités de l'esprit se puissent rencontrer dans un grand génie, il y en a néanmoins qui lui sont propres et particulières; ses lumières n'ont point de bornes, il agit toujours également et avec la même activité; il discerne les objets éloignés comme s'ils étoient présents; il comprend, il imagine les

Un esprit adroit, facile, insinuant, sait éviter et surmonter les difficultés. Il se plie aisément à ce qu'il veut, il sait connoître l'esprit et l'humeur de ceux avec qui il traite; et en ménageant leurs intérêts, il avance et il établit les siens.

Un bon esprit voit toutes choses comme elles doivent être vues; il leur donne le prix qu'elles méritent, il les fait tourner du côté qui lui est le plus avantageux, et il s'attache avec fermeté à ses pensées, parcequ'il en connoît toute la force et toute la raison.

Il y a de la différence entre un esprit utile et un esprit d'affaires; on peut entendre les affaires, sans s'appliquer à son intérêt particulier. Il y des gens habiles dans tout ce qui ne les regarde pas, et très malhabiles dans tout ce qui les regarde; et il y en a d'autres au contraire qui ont une habileté bornée à ce qui les touche, et qui savent trouver leur avantage en toutes choses.

On peut avoir tout ensemble un air sérieux dans l'esprit, et dire souvent des choses agréables et enjouées. Cette sorte d'esprit convient à toutes personnes et à tous les âges de la vie. Les jeunes gens ont d'ordinaire l'esprit enjoué et moqueur, sans l'avoir sérieux; et c'est ce qui lès rend souvent incommodes.

Rien n'est plus aisé à soutenir que le dessein d'être toujours plaisant ; et les applaudissements qu'on reçoit quelquefois, en divertissant les autres,ne valent pas que l'on s'expose à la honte de les ennuyer souvent quand ils sont de méchante humeur.

La moquerie est une des plus agréables et des plus dangereuses qualités de l'esprit. Elle

plaît toujours quand elle est délicate; mais on craint aussi toujours ceux qui s'en servent trop souvent. La moquerie peut néanmoins être permise quand elle n'est mêlée d'aucune malignité, et quand on y fait entrer les personnes mêmes dont on parle.

Il est malaisé d'avoir un esprit de raillerie sans affecter d'être plaisant, ou sans aimer à se moquer; il faut une grande justesse pour railler long-temps sans tomber dans l'une ou l'autre de ces extrémités.

La raillerie est un air de gaîté qui remplit l'imagination, et qui lui fait voir en ridicule les objets qui se présentent : l'humeur y mêle plus ou moins de douceur ou d'âpreté.

Il y a une manière de railler, délicate et flatteuse, qui touche seulement les défauts que les personnes dont on parle veulent bien avouer, qui sait déguiser les louanges qu'on leur donne sous des apparences de blâme, et qui découvre ce qu'elles ont d'aimable, en feignant de le vouloir cacher.

Un esprit fin et un esprit de finesse sont très différents. Le premier plaît toujours : il est délié, il pense des choses délicates, et voit les plus imperceptibles; un esprit de finesse ne va jamais droit : il cherche des biais et des détours pour faire réussir ses desseins. Cette conduite est bientôt découverte; elle se fait toujours craindre, et ne mène presque jamais aux grandes choses.

Il y a quelque différence entre un esprit de feu et un esprit brillant : un esprit de feu va plus loin et avec plus de rapidité. Un esprit brillant a de la vivacité, de l'agrément et de la justesse.

La douceur de l'esprit est un air facile et accommodant, et qui plaît toujours quand il n'est point fade.

Un esprit de détail s'applique avec de l'ordre et de la règle à toutes les particularités des sujets qu'on lui présente. Cette application le renferme d'ordinaire à de petites choses; elle n'est pas néanmoins toujours incompatible avec de grandes vues; et quand ces deux qualités se trouvent ensemble dans un même esprit, elles l'élèvent infiniment au-dessus des autres.

On a abusé du terme de bel esprit; et bien que tout ce qu'on vient de dire des différentes

qualités de l'esprit puisse convenir à un bel esprit, néanmoins comme ce titre été donné à un nombre infini de mauvais poètes et d'auteurs ennuyeux, on s'en sert plus souvent pour tourner les gens en ridicule que pour les louer.

Bien qu'il y ait plusieurs épithètes pour l'esprit, qui paroissent une même chose, le ton et la manière de les prononcer y mettent de la différence : mais comme les tons et les manières ne se peuvent écrire, je n'entrerai point dans un détail qu'il seroit impossible de bien expliquer. L'usage ordinaire le fait assez entendre ; et en disant qu'un homme a de l'esprit, qu'il a beaucoup d'esprit, et qu'il a un bon esprit, il n'y a que les tons et les manières qui puissent mettre de la différence entre ces expressions, qui paroissent semblables sur le papier, et qui expriment néanmoins différentes sortes d'esprit.

On dit encore qu'un homme n'a qu'une sorte d'esprit, qu'il a de plusieurs sortes d'esprit, et qu'il a toutes sortes d'esprit.

On peut être sot avec beaucoup d'esprit, et on peut n'être pas sot avec peu d'esprit.

Avoir beaucoup d'esprit est un terme équivoque. Il peut comprendre toutes les sortes d'esprit dont on vient de parler; mais il peut aussi n'en marquer aucune distinctement. On peut quelquefois faire paroître de l'esprit dans ce qu'on dit, sans en avoir dans sa conduite. On peut avoir de l'esprit, et l'avoir borné. Un esprit peut être propre à de certaines choses, et ne l'être pas à d'autres : on peut avoir beaucoup d'esprit, et n'être propre à rien; et avec beaucoup d'esprit on est souvent fort incommode. Il semble néanmoins que le plus grand mérite de cette sorte d'esprit est de plaire quelquefois dans la conversation.

Bien que les productions d'esprit soient infinies, on peut, ce me semble, les distinguer de cette sorte :

Il y a des choses si belles, que tout le monde est capable d'en voir et d'en sentir la beauté. Il y en a qui ont de la beauté, et qui ennuient.

Il y en a qui sont belles, et que tout le monde sent, bien que tous n'en sachent pas la raison.

Il y en a qui sont si fines et si délicates, que

peu de gens sont capables d'en remarquer tou- | est sur un même ton. Cet accord les fait juger

tes les beautés.

Il y en a d'autres qui ne sont pas parfaites, mais qui sont dites avec tant d'art, et qui sont soutenues et conduites avec tant de raison et tant de grâce, qu'elles méritent d'être admi

rées.

III.

Des Goûts.

Il y a des personnes qui ont plus d'esprit que de goût, et d'autres qui ont plus de goût que d'esprit. Il y a plus de variété et de caprice dans le goût que dans l'esprit.

Ce terme de goût a diverses significations, et il est aisé de s'y méprendre. Il y a différence entre le goût qui nous porte vers les choses, et le goût qui nous en fait connoître et discerner les qualités en nous attachant aux règles.

On peut aimer la comédie sans avoir le goût assez fin et assez délicat pour en bien juger; et on peut avoir le goût assez bon pour bien juger de la comédie sans l'aimer. Il y a des goûts qui nous approchent imperceptiblement de ce qui se montre à nous, et d'autres nous entraînent par leur force ou par leur durée.

Il y a des gens qui ont le goût faux en tout, d'autres ne l'ont faux qu'en certaines choses; et ils l'ont droit et juste dans tout ce qui est de leur portée. D'autres ont des goûts particuliers, qu'ils connoissent mauvais, et ne laissent pas de les suivre. Il y en a qui ont le goût incertain; le hasard en décide : ils changent par légèreté, et sont touchés de plaisir ou d'ennui sur la parole de leurs amis. D'autres sont toujours prévenus; ils sont esclaves de tous leurs goûts, et les respectent en toutes choses. Il y en a qui sont sensibles à ce qui est bon, et choqués de ce qui ne l'est pas leurs vues sont nettes et justes, et ils trouvent la raison de leur goût dans leur esprit et dans leur discernement.

Il y en a qui, par une sorte d'instinct, dont ils ignorent la cause, décident de ce qui se présente à eux, et prennent toujours le bon parti. Ceux-ci font paroître plus de goût que d'esprit, parceque leur amour-propre et leur humeur ne prévalent point sur leurs lumières naturelles. Tout agit de concert en eux, tout y

sainement des objets, et leur en forme une idée véritable: mais à parler généralement, il y a peu de gens qui aient le goût fixe et indépendant de celui des autres; ils suivent l'exemple et la coutume, et ils en empruntent presque tout ce qu'ils ont de goût.

Dans toutes ces différences de goûts qu'on vient de marquer, il est très rare, et presque impossible, de rencontrer cette sorte de bon goût qui sait donner le prix à chaque chose, qui en connoît toute la valeur, et qui se porte généralement sur tout. Nos connoissances sont trop bornées, et cette juste disposition de qualités qui font bien juger, ne se maintient d'ordinaire que sur ce qui ne nous regarde pas directement.

Quand il s'agit de nous, notre goût n'a plus cette justesse si nécessaire ; la préoccupation la trouble; tout ce qui a du rapport à nous paroît sous une autre figure. Personne ne voit des mêmes yeux ce qui le touche, et ce qui ne le touche pas. Notre goût n'est conduit alors que par la pente de l'amour-propre et de l'humeur, qui nous fournissent des vues nouvelles, et nous assujettissent à un nombre infini de changements et d'incertitudes. Notre goût n'est plus à nous, nous n'en disposons plus. Il change sans notre consentement; et les mêmes objets nous paroissent par tant de côtés différents, que nous méconnoissons enfin ce que nous avons vu et ce que nous avons senti.

IV.

De la Société.

Mon dessein n'est pas de parler de l'amitié en parlant de la société; bien qu'elles aient quelque rapport, elles sont néanmoins très différentes : la première a plus d'élévation et d'humilité, et le plus grand mérite de l'autre est de lui ressembler.

Je ne parlerai donc présentement que du commerce particulier que les honnêtes gens doivent avoir ensemble. Il seroit inutile de dire combien la société est nécessaire aux hommes: tous la desirent, et tous la cherchent; mais peu se servent des moyens de la rendre agréable et de la faire durer.

Chacun veut trouver son plaisir et ses avan- | faut du moins qu'elle paroisse libre, et qu'en tages aux dépens des autres. On se préfère tou- suivant le sentiment de nos amis, ils soient perjours à ceux avec qui on se propose de vivre, et suadés que c'est le nôtre aussi que nous suion leur fait presque toujours sentir cette préfé- vons. rence: c'est ce qui trouble et ce qui détruit la société. Il faudroit du moins savoir cacher ce desir de préférence, puisqu'il est trop naturel en nous pour nous en pouvoir défaire. Il faudroit faire son plaisir de celui des autres, mé-qués, et qu'on en soit choqué. On doit essayer nager leur amour-propre, et ne le blesser jamais.

L'esprit a beaucoup de part à un si grand ou- | vrage; mais il ne suffit pas seul pour nous conduire dans les divers chemins qu'il faut tenir. Le rapport qui se rencontre entre les esprits ne maintiendroit pas long-temps la société, si elle n'étoit réglée et soutenue par le bon sens, par l'humeur, et par les égards qui doivent être entre les personnes qui veulent vivre ensemble. S'il arrive quelquefois que des gens opposés d'humeur et d'esprit paroissent unis, ils tiennent sans doute par des raisons étrangères, qui ne durent pas long-temps. On peut être aussi en société avec des personnes sur qui nous avons de la supériorité par la naissance, ou par des qualités personnelles; mais ceux qui ont cet avantage n'en doivent pas abuser : ils doivent rarement le faire sentir, et ne s'en servir que pour instruire les autres. Ils doivent leur faire apercevoir qu'ils ont besoin d'être conduits, et les mener par la raison en s'accommodant, autant qu'il est possible, à leurs sentiments et à leurs intérêts.

Pour rendre la société commode, il faut que chacun conserve sa liberté. Il ne faut point se voir, ou se voir sans sujétion, et pour se divertir ensemble. Il faut pouvoir se séparer sans que cette séparation apporte de changement. Il faut se pouvoir passer les uns des autres, si on ne veut pas s'exposer à embarrasser quelquefois; et on doit se souvenir qu'on incommode souvent, quand on croit ne pouvoir jamais incommoder. Il faut contribuer autant qu'on le peut au divertissement des personnes avec qui on veut vivre, mais il ne faut pas être toujours chargé du soin d'y contribuer.

La complaisance est nécessaire dans la société, mais elle doit avoir des bornes : elle devient une servitude quand elle est excessive. Il

Il faut être facile à excuser nos amis, quand leurs défauts sont nés avec eux, et qu'ils sont moindres que leurs bonnes qualités. Il faut souvent éviter de leur faire voir qu'on les ait remar

de faire en sorte qu'ils puissent s'en apercevoir eux-mêmes, pour leur laisser le mérite de s'en corriger.

Il y a une sorte de politesse qui est nécessaire dans le commerce des honnêtes gens : elle leur fait entendre raillerie, et elle les empêche d'être choqués, et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser quand on soutient son opinion avec chaleur.

Le commerce des honnêtes gens ne peut subsister sans une certaine sorte de confiance; elle doit être commune entre eux; il faut que chacun ait un air de sûreté et de discrétion quine donne jamais lieu de craindre qu'on puisse rien dire par imprudence.

Il faut de la variété dans l'esprit: ceux qui n'ont que d'une sorte d'esprit, ne peuvent pas plaire long-temps; on peut prendre des routes diverses, n'avoir pas les mêmes talents, pourvu qu'on aide au plaisir de la société, et qu'on y observe la même justesse que les différentes voix et les divers instruments doivent observer dans la musique.

Comme il est malaisé que plusieurs personnes puissent avoir les mêmes intérêts, il est nécessaire, au moins pour la douceur de la société, qu'ils n'en aient pas de contraires.

On doit aller au-devant de ce qui peut plaire à ses amis, chercher les moyens de leur être utile, leur épargner des chagrins, leur faire voir qu'on les partage avec eux, quand on ne peut les détourner, les effacer insensiblement sans prétendre de les arracher tout d'un coup, et mettre à la place des objets agréables, ou du moins qui les occupent. On peut leur parler de choses qui les regardent, mais ce n'est qu'autant qu'ils le permettent, et on y doit garder beaucoup de mesure. Il y a de la politesse, et quelquefois même de l'humanité à ne pas entrer

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