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on, facile de conserver la constitution, tout en établissant la république; il suffisait de substituer à la royauté un conseil exécutif. Robespierre, Péthion, Grégoire, Buzot, demandaient la mise en jugement du roi et sa déchéance. Les deux Lameth, Dupont, Dandré, La RochefoucauldLiancourt, soutinrent l'inviolabilité de la personne royale et la nécessité de la royauté constitutionnelle.

L'Assemblée avait hâte de terminer la crise. Elle resta inébranlable dans les principes qu'elle avait professés jusqu'alors, et adhéra aux paroles de Barnave, qui, lisant dans l'avenir, prédit qu'une république amènerait fatalement la dictature d'un général victorieux. « Il est temps, » dit-il en finissant, « que la révolution s'arrête. >>

L'Assemblée rendit trois décrets :

D

Par le premier, la personne du roi est reconnue inviolable;

Par le second, Bouillé, responsable de l'enlèvement du roi, est traduit devant la haute cour d'Orléans;

Le troisième, concernant les éventualités de l'avenir et destiné à devenir un article de la constitution, est ainsi conçu :

« Si le roi rétracte son serment à la constitution, s'il se met à la tête d'une armée pour en diriger les forces contre la nation, ou qu'il ne s'oppose pas, par un acte formel, à toute entreprise de cette espèce commencée en son nom, il sera censé avoir abdiqué, redeviendra simple citoyen, et sera accusable suivant les formes ordinaires, pour tous les délits postérieurs à son abdication. >>

Les démagogues étaient furieux de la défaite qu'ils venaient d'essuyer. Au sortir de la séance, ils se ruèrent. avec fureur sur les députés, que la garde nationale protégea efficacement. Barnave surtout, naguère si populaire, fut couvert par eux d'exécrations. L'agitation dans Paris devint extrême, grâce aux discours provocateurs prononcés à la tribune des Jacobins, qui se déclarèrent ouver

tement pour Robespierre; aussi beaucoup de membres constitutionnels, indignés, quittèrent alors avec éclat les Jacobins pour se réunir aux Feuillants, entre autres les Lameth. Les rues étaient parcourues par des groupes proclamant à haute voix qu'ils ne reconnaissaient plus ni le roi ni la royauté. Chaque place publique, chaque salle de spectacle, chaque café, chaque cabaret, était devenu une espèce de forum où les motions les plus violentes étaient applaudies. On prévoyait pour le lendemain dimanche, 17 juillet, de graves désordres. Bailly et Lafayette se tinrent prêts.

Le dimanche, dès sept heures du matin, la municipalité de Paris se déclare en permanence, la garde nationale prend les armes. Des officiers municipaux, accompagnés de forts détachements, parcourent les rues et les places, répétant partout à haute voix les décrets de la veille et proclamant la loi martiale. Un bataillon de la garde nationale s'établit sur la place de la Bastille, rendez-vous ordinaire des agitateurs, et empêche les rassemblements de se former; dans le même temps, de nombreux détachements armés se croisaient en tout sens dans la ville, et rendaient partout une émeute impossible.

Les agitateurs, ne pouvant rien faire dans la ville, indiquent comme point de réunion le champ de Mars, où s'amasse bientôt une foule nombreuse, pour signer, avant tout, sur l'autel de la Patrie, une pétition à l'Assemblée. Par cette pétition, on lui demandait de casser ses décrets de la veille, de recevoir l'abdication que Louis XVI, en fuyant, était censé avoir donnée, de se dissoudre ellemême, et de convoquer une convention nationale qui procéderait au jugement du coupable et à l'organisation d'un nouveau pouvoir exécutif.

Debout, près de l'autel de la Patrie, et au milieu de la foule de plus en plus compacte, Danton, qui avait une taille d'athlète et une voix de stentor, lit tout haut la pé

tition. Cette lecture est suivie d'applaudissements auxquels se mêle bientôt un effroyable tumulte. On venait de découvrir sous la charpente de l'autel deux hommes cachés : c'étaient deux invalides, qui probablement avaient voulu tout entendre, sans s'exposer à être pressés dans la foule. On les saisit; on s'écrie qu'ils ont voulu sans doute faire sauter les patriotes par l'explosion d'un baril de' poudre; quoiqu'il n'y eût là ni baril ni poudre, on les déclare coupables, on les pend à un réverbère, on met au bout d'une pique leurs têtes, que l'on promène en triomphe.

La nouvelle de ce rassemblement tumultueux, de ce double meurtre, arrive à l'hôtel de ville. Il était à peu près six heures. A l'instant, Bailly et les conseillers municipaux se mettent en marche vers le champ de Mars; devant eux flotte le drapeau rouge; derrière eux marche un bataillon de grenadiers. Lafayette les joint en route avec d'autres bataillons, de la cavalerie et des canons.

Lorsque la tête de la colonne parut à l'entrée du champ de Mars, la foule l'accueillit par des cris forcenés : « A bas les baïonnettes! A bas le drapeau rouge! » Bientôt à ces cris, à ces huées, succède une grêle de pierres. La garde nationale fait halte. Lafayette ordonne de tirer quelques coups de fusil en l'air, espérant que la peur et le bruit engageront les factieux à se retirer. En effet, plusieurs d'entre eux prirent d'abord la fuite: mais les chefs, revenus de leur première frayeur, et voyant que personne n'était blessé, rallient les fuyards et les rassemblent sur l'autel de la Patrie. Là les cris« A bas le drapeau rouge! éclatent avec plus de violence; les pierres recommencent à voler, et quelques coups de pistolet sont tirés de trèsprès sur les gardes nationaux.

>>

Lafayette ne fait point de sommations: la loi l'en dispensait dans les périls pressants. Il ordonne une décharge, réelle cette fois. L'effet en fut terrible. Plus de cent personnes furent tuées ou grièvement blessées. La foule

épouvantée se précipite vers toutes les issues; la garde nationale fond sur ceux qui tenaient ferme; et la cavalerie, s'ébranlant en même temps, achève la déroute de l'émeute.

La soirée était très-belle, et une foule considérable se promenait alors dans les Champs-Élysées, séparés du champ de Mars par le fleuve. En entendant les cris des fugitifs et le bruit de la fusillade, une terreur subite s'empare de tous les promeneurs. En un instant les ChampsElysées, la place Louis XV, et les rues avoisinantes, sont déserts; chacun court se renfermer chez soi : circonstance qui contribua beaucoup à empêcher d'autres désordres. En vain des groupes d'émeutiers parcouraient les rues, criant qu'on égorgeait les patriotes. Personne ne sortait de sa maison pour se joindre à eux. Le plus nombreux de ces groupes, portant sur une civière le corps d'une des victimes, voulut entrer dans le PalaisRoyal pour y organiser l'insurrection; on avait fermé toutes les grilles, leur projet avorta.

La nuit fut tranquille. Le lendemain, les citoyens de Paris reprirent paisiblement leurs travaux.

Les chefs du mouvement avaient la rage dans le cœur, et en même temps ils étaient glacés d'épouvante. Marat, Danton, Desmoulins, se cachèrent pendant quelques jours; quand ils virent que les constitutionnels, loin d'abuser de leur victoire, respectaient la liberté de tout le monde, ils sortirent de leurs cachettes, plus exaltés que jamais, et gardant en traits de feu dans leur mémoire la date du 17 juillet. Les Jacobins aussi, qui, par des discours incendiaires, avaient provoqué la signature de la pétition, furent d'abord atterrés; ils ne comptaient plus dans leurs rangs que six députés, Robespierre, Péthion, Buzot, Roderer et deux autres; le reste les avait quittés pour les Feuillants mais après quelques jours les Jacobins aussi reprirent toute leur audace.

L'Assemblée décréta que l'acte constitutionnel, tel qu'elle l'avait modifié, serait présenté à l'acceptation du roi.

Pour que le refus ou l'acceptation soit un libre effet de sa volonté, on déclare que sa captivité est terminée; on lui rend la faculté de donner tous les ordres qu'il jugera convenables pour la sûreté et la dignité de sa personne. Le premier ordre qu'il donna fut de rouvrir le jardin des Tuileries au public.

Tandis que Louis XVI, s'enfermant dans son cabinet, se livrait sur l'acte constitutionnel aux méditations les plus profondes et les plus consciencieuses, éclata tout à coup la fameuse déclaration de Pilnitz. L'empereur Léopold et le roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et du comte d'Artois, déclarent conjointement « qu'ils regardent la situation où se trouve actuellement le roi de France comme un objet d'un intérêt commun à tous les souverains de l'Europe; qu'ils comptent sur le concours de toutes les puissances pour mettre le roi de France en état d'agir avec liberté; que dès à présent ils sont résolus d'agir promptement, avec les forces nécessaires, et vont donner à leurs troupes des ordres convenables pour qu'elles soient à portée de se mettre en activité. »

En envoyant cette déclaration à leur frère, LouisStanislas et Charles-Philippe le conjuraient, par une lettre collective, de ne point accepter l'acte constitutionnel :

Les autres puissances du continent se joindront à la Prusse et à l'Autriche; du fond du Nord accourront à votre aide le magnanime Gustave et l'immortelle Catherine. Un grand forfait n'est point à craindre, parce que tout Paris sait qu'à l'instant même des armées puissantes viendraient fondre sur la ville impie.

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Après la réception de cette lettre et de la déclaration Louis XVI n'interrompit pas ses méditations, et l'Assemblée n'interrompit pas non plus ses travaux.

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