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Tout auteur qui voudra vivre encore après lui (1) Doit s'acquérir votre suffrage.

C'est de vous que mes vers attendent tout leur prix.
Il n'est beauté dans nos écrits

Dont vous ne connaissiez jusques aux moindres traces.
Eh! qui connaît que vous (2) les beautés et les grâces ?
Paroles et regards, tout est charme dans vous.
Ma muse, en un sujet si doux,
Voudrait s'étendre davantage;

Mais il faut réserver à d'autres cet emploi;
Et d'un plus grand maître que moi (3)
Votre louange est le partage.

Olympe, c'est assez qu'à mon dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et d'abri.
Protégez désormais le livre favori

Par qui j'ose espérer une seconde vie;
Sous vos seuls auspices ces vers
Seront jugés, malgré l'envie,

Dignes des yeux de l'univers.

Je ne mérite pas une faveur si grande;
La fable en son nom la demande :

Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous.
S'il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple pour salaire :
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.

C'est-à-dire après lui-même, se survivre.
Que vous, si ce n'est vous.

(3) Louis XIV.

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Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre (1),
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Acheron (2),
Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés

.

(1) Debut pompeux et bien gradué, où la peste nous effraie avant d'être nommée.

(2) Belle image empruntée au commencement de l'EdipeRoi de Sophocle! « Le noir Pluton s'enrichit de nos pleurs et de nos gémissements. >>

A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie (1) :
Ni loup ni renard n'épiaient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyaient:

Plus d'amour, partant (2) plus de joie.
Le lion tint conseil et dit: Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-ètre il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils faits? Nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger (3).

Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur;

Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,

Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.

(1) Détails d'une touchante mélancolie; Virgile en a fourni l'idée, mais la Fontaine a peut-être surpassé son modèle. (2) Par conséquent. Mais partant ne peut se remplacer. (3) Il semblerait par ce petit vers que le lion voudrait escamoter son péché.» (Chamfort.) Au reste, toute sa confession est empreinte de la plus habile hypocrisie. « C'est un piége qu'il tend aux consciences pures mais timides, et dans lequel l'âne tombera. » (Ch. Nodier.)

Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples matins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit: J'ai souvenance
Qu'en un pré de moine passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue (1). Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro (2) sur le baudet.

Un loup quelque peu clerc (3) prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour(4) vous rendront blanc ou noir (5).

(1) Toutes les circonstances de la confession de l'âne seraient propres à atténuer ses torts devant un juge impartial et désintéressé; mais sa perte est résolue d'avance.

(2) Cri qu'on poussait en Normandie en poursuivant les malfaiteurs.

(3) Savant.

(4) Cour de justice.

(5) On peut dire avec Chamfort que c'est ici « le plus bea des apologues de la Fontaine et de tous les apologues ».

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Les Levantins (1) en leur légende Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici-bas, Dans un fromage de Hollande

Se retira loin du tracas.

La solitude était profonde,
S'étendant partout à la ronde (2).

Notre ermite nouveau subsistait là dedans.
Il fit tant des pieds et des dents,
Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vœu d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

Les peuples du Levant, les Orientaux.

« Ces mots si simples, si usités, deviennent plaisants ici, parce que cette solitude était un vaste fromage. »>

(Chamfort.)

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