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CHAPITRE IV.

ERREUR DE LA RAISON OU PANTHÉISME.

Eritis sicut dii.

GEN., cap. III, v. 5.

Le panthéisme, portant avec lui l'idée de la communication divine à tous les êtres, conduit directement au dogme de la souveraineté humaine, à l'athéisme et à l'an-archie. Cette seule observation est ma réponse à ceux de mes lecteurs qui pourraient se demander comment j'aborde la question du panthéisme dans un livre intitulé: De la Nature des Sociétés humaines.

Les panthéistes modernes n'ont rien inventé. On trouve déjà des traces de panthéisme dans les Védas (1);

(4) Les livres les plus anciens, où l'on puisse rechercher la philosophie primordiale, sont les livres sacrés de l'Inde, connus sous le nom de Védas.

et les Védantas forment le système du panthéisme le plus complet qui ait jamais été imaginé. Dieu, selon les Védantas, est un, infini, éternel, immuable. Brahma (puissance), Vichnou (intelligence), Schiba (amour), sont trois perfections de Dieu. Pracriti (la matière, l'éther), est une expansion de la substance divine, qui constitue l'univers. L'âme humaine, pure illusion, brillante féerie, simple vapeur, doit, après diverses transformations, se perdre dans l'âme divine, en sorte que l'identification des âmes individuelles avec l'âme suprême est leur destruction définitive. -Dieu tend à se dégager des illusions, et les illusions s'évanouiront.

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Védantas veut dire dérivé des Védas; ce système s'appelle aussi Mimansa. Il est attribué à Djaïmini.

Védas signifie connaissance ou science par excellence. Il y a quatre Védas. Ils ont été réunis par Vayassa.

Upavédas, ou appendice aux Védas : il y en a quatre. Védangas, compléments des Védas: il y en a six. Puranas ou histoire : ce sont des espèces de longs poèmes, ou les livres sacrés de l'Inde.

Les Védas ont été rédigés par Vyasa.

Tous les peuples ont puisé à une tradition primitive, mais tous ne l'ont pas gardée avec la même pureté. Les croyances ne diffèrent que par le degré et la nature de l'altération de cette tradition primitive.

Toutes les vérités contenues dans les Védas sont venues du nord de l'Inde, c'est-à-dire de la partie de l'Inde la plus voisine du pays dans lequel, d'après Moïse, le genre humain se répandit d'abord en se dispersant. Il n'est donc pas étonnant que tous les philosophes amis de la vérité soient allés l'étudier dans les livres et dans les traditions de l'Inde. La vanité plus tard a emprunté à cette école ses divines et nouvelles

théories!

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Pourquoi s'évanouiront-elles? Parce qu'elles sont incompatibles avec la nécessité de l'existénce divine. Mais comment existent-elles? La nécessité de l'existence divine n'est-elle pas la même dans tous les temps? Il suffit de cette remarque pour détruire de fond en comble le système des Védantas et l'idée d'unité absolue.

Tout ce qui est contraire à la raison métaphysique des êtres entraîne nécessairement la négation de ces êtres. A ce titre, le panthéisme devait conduire à la négation de Dieu. L'émanation et l'absorption divine sont également contraires à la raison métaphysique de l'être divin. Spinosa, le plus profond des panthéistes, dut être et fut le plus intrépide des athées. Bizarre destinée d'une théorie qui engendre l'antithèse de sa conclusion !

J'ai dit que le panthéisme conduisait directement au dogme de la souveraineté humaine ou de l'an-archie. En effet, qu'on ouvre les ouvrages de nos philosophes ou de nos utopistes, et l'on y verra prédominer cette double idée développée en raison de la profondeur de vue ou de la puissance déductive avec lesquelles leurs auteurs auront pénétré dans les systèmes du panthéisme. M. Proudhon formule nettement l'idée d'autonomie individuelle ou d'an-archie. Mais aussi notre premier devoir, selon lui, est d'arracher Dieu de nos cœurs. Hoc est primum et magnum mandatum, dit-il : voilà où a aboutit le panthéisme de M. Proudhon. M. Cousin, avec le tact d'un artiste délicat et habile, effleurant seulement les questions, se borne à affirmer la souveraineté de la raison en philosophie, petite église

dans le grand tout. M. Cousin pense sans doute, avec Platon, qu'il a beaucoup étudié, que « la nature n'a » fait ni cordonniers ni forgerons; de pareilles occu>>pations dégradant les gens qui les exercent, vils >> mercenaires, misérables sans nom, qui sont exclus, » par leur état même, des droits politiques. » L'âme d'un philosophe seule a reçu l'émanation divine. Après cela, M. Cousin est-il panthéiste? M. l'Herminier ne le sait pas, et il affirme que M. Cousin ne le sait pas non plus (1). Il est probable que, panthéiste résolu, il n'eût pas enfermé le dogme de la souveraineté de la raison dans le trou de la philosophie, selon l'expression de M. Jouffroy (2); il eût généralisé le nombre des élus !

M. l'abbé de Lamennais ayant appris à raisonner par l'exercice de sa propre raison et à être lui-même, la lumière s'est faite en lui; il voit par sa propre lumière; il sait certainement, et il va dire aux autres ce qui en est et mettre leur raison à son aise. Ecce magnus effectus sum, et præcessi omnes sapientia........ et mens mea contemplata est multa sapienter et didici. (Lib. ecclesiast, cap. 1.)

Dieu, dit M. de Lamennais, n'est multiple et varié que parce qu'il est puissance, intelligence, amour: «< Brahma, Vichnou, Schiba. » Dieu réalise ces trois conditions de sa nature dans tout ce qui existe, en s'y multipliant, en s'y variant par une triple action: l'électricité, la lumière, le calorique. C'est l'éther, émanation

(1) Lettre à un Berlinois.
(2) Cité par Pierre Leroux,

de la substance divine, qui renferme, à l'état latent, l'électricité, la lumière, le calorique, et qui fournit la substance à tous les êtres de l'univers. (Pracriti, émanation de la substance de Dieu.) Les âmes elles-mêmes ne sont que des émanations de la substance divine, dont elles s'étaient échappées comme des météores fugitifs. Dieu les concrète et les individualise hors de lui-même (1). Dans ce système, Dieu est un et immuable, ce qui ne l'empêche pas de changer, en laissant échapper et en reprenant ses émanations. Il est infini; infini, quand il laisse échapper ses émanations; infini, quand il les a perdues; infini, quand il les a reprises. C'est un infini qui augmente et qui diminue. Il individualise, en les concrétant, les parcelles évaporées de sa substance divine; il les individualise, et il reste seul individu.

Cette théorie, renouvelée de nos jours, n'avait pas satisfait la raison de tous les panthéistes anciens, loin de mettre à l'aise celle de tout le monde. C'est Kant, né à Konisberg, au XVIIe siècle, philosophe aussi pieux que profond, a dit M. Proudhon, qui est le grand centre des idées panthéistiques.

<< L'humanité semblait placée éternellement entre une >> question insoluble et une négation impossible, lors» que, sur la fin du dernier siècle, un philosophe, Kant, >> aussi remarquable par sa profonde piété que par l'in>> comparable puissance de la réflexion, s'avisa d'atta

(1) Esquisse d'une philosophie, Livre du peuple, Amschaspands et Dervands.

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