Page images
PDF
EPUB

de la grotte de Calipfo: » Les doux »zéphirs confervoient en ce lieu, mal» gré les ardeurs du foleil, une déli»cieuse fraîcheur: des fontaines cou» lant avec un doux murmure fur des »prés femés d'amaranthes & de vio»lettes, formoient en divers lieux des » bains auffi purs & auffi clairs que le cryftal. Mille fleurs naiffantes » émailloient les tapis verds dont la » grotte étoit environnée : là on trou» voit un bois de ces arbres touffus » qui portent des pommes d'or, & » dont la fleur qui fe renouvelle dans >> toutes les faifons, répand le plus » doux de tous les parfums. Ce bois » fembloit couronner ces belles prai»ries, & formoit une nuit que les » rayons du foleil ne pouvoient per»cer: là on n'entendoit jamais que » le chant des oiseaux ou le bruit » d'un ruiffeau qui fe précipitant du » haut d'un rocher, tomboient à gros >> bouillons pleins d'écume, & s'en» fuyoit au travers de la prairie.,, Qui ne fent pas la mélodie que répand dans ces périodes le choix & l'enchaînement de ces mots, une délicieufe fraî cheur; des prés femés d'amaranthes & de violettes; auffi clair que le cryftal; mille

fleurs naiffantes émailloient ces tapis verds &c. Que l'on déplace, que l'on change quelques-uns de ces nombres; qu'au-lieu de cette chûte, tomboit à gros bouillons en écumant, il femble que ce ne foit plus la même chofe, tant l'harmonie ajoûte à la couleur. Mais pour peindre la fuite du ruiffeau, il eût fallu des nombres fugitifs; & au travers de la prairie eft une finale traînante.

[ocr errors]

Aucun de ces exemples, me dirat-on, n'eft inconteftable ; je l'avoue, & la raison en eft que la profodie de la langue n'eft pas encore décidée. Mais 1o. j'ofe dire qu'il n'eft pas de bon lecteur qui ne donne aux mots que j'ai notés la quantité que je leur affigne; 29. fi les exemples font douteux, l'expérience eft infaillible; & il n'y a perfonne qui n'éprouve tous les jours en écrivant, qu'après avoir rendu complettement fon idée, il lui manque fou vent quelque chofe. Or cette inquiétude n'eft pas celle de l'efprit, car il eft content; mais celle de l'oreille qui demande le nombre, & qui n'eft tranquille qu'après qu'un mot, quelque fois, inutile au fens, eft venu remplir la mefure.

C'eft fur-tout dans le récit, que le Poéte doit rechercher les nombres; ils ajoûtent au coloris des peintures un degré de vérité qui les rend mobiles & vivantes. Par-là les petits objets deviennent intéreflans; une paille, une feuille qui voltige dans un vers nous étonne & nous charme l'oreille.

Sæpe levem peleam & frondes volitare caducas (a).

Mais, dans le ftyle paffionné, c'eft à la coupe des périodes qu'il faut s'attacher; c'eft de-là que dépend effentiellement l'imitation des mouvemens de l'ame.

Me me adfum qui fecit in me convertite ferrum O'Rutuli! mea fraus omnis: nihil ifte nec aufus, Nec potuit (b)..

Virg.

L'impatience, la crainte de Nifus pouvoit-elle être mieux exprimée? quoi de plus vif, de plus preffant que cet or dre de Jupiter?

(a) On voit voler la feuille & la paille légere. (b) Me voici j'ai tout fait tournez fur moi voa coups,

Rutules! c'eft mon crime: il n'en eft point complice. Mon ami n'a rien pu, rien tenté contre vous

Vade, age, nate, voca zephiros & labere

pennis (a).

Idem.

Voyez au contraire dans le monologue d'Armide, l'effet des mouvemens interrompus.

Frapppons.... Ciel ! qui peut m'arrêter? Achevons.... Je frémis. Vengeons-nous.... Je foupire.

Eft-ce ainfi que je dois me venger aujourd'hui?
Ma colere s'éteint quand j'approche de lui,
Plus je le vois, plus ma vengeance eft vaine.
Mon bras tremblant fe refufe à ma haine.
Ah quelle cruauté de lui ravir le jour !
A ce jeune héros tout céde fur la terre,
Qui croiroit qu'il fût né feulement pour la
guerre

?

Il femble être fait pour l'amour.

Dans tout ce que je viens de dire en faveur de notre langue, pour encourager les Poëtes à y chercher la double harmonie des fons & des mouvemens, je n'ai propofé que la fimple analogie des nombres avec le caractere de la pensée. La reffemblance réel le & fenfible des fons & des mouvemens de la langue avec ceux de la nature, cette harmonie imitative qu'on appelle Onomatopée, & dont nous

(a) Vole, appelle Zéphire, & defcends fur fes ailes.

voyons tant d'exemple dans les An ciens, n'eft pas permife à nos Poétes. La raison en eft, que dans la formation des langues Grecque & Latine, l'oreille avoit été confultée, au-lieu que les langues modernes ont pris naillance dans des tems de barbarie, où l'on parloit pour le befoin & nullement pour le plaifir. En général, plus les peuples ont eu l'oreille fenfi ble & jufte, plus le rapport des fons avec les chofes a été obfervé dans l'invention des termes. La dureté de l'organe a produit les langues âpres & rudes; l'exceffive délicateffe a pro! duit les langues foibles, fans énergie & fans couleur. Or une langue qui n'a que des fyllabes âpres & fermes, our que des fyllabes molles & liantes, a le défaut d'un monocorde. C'est de la variété des voyelles & des articu lations, que dépend la fécondité d'u ne belle harmonie. Dire d'une langue qu'elle eft donc ou qu'elle eft forte, c'eft dire qu'elle n'a qu'un mo de; une langue riche les a tous. Mais fi les divers caracteres de fermeté & de molleffe, de douceur & d'âpreté, de vîteffe & de lenteur, y font répandus au hafard, elle exige de l'Ecrivain une

« PreviousContinue »