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monarchie, nous fassions le peuple grand ; car dans le peupe est tout,

Telle fut l'opinion d'Otanès; mais Mégabyze qui préférait l'oligarchie ainsi parla : « Ce qu'allègue Otanès afin d'abolir la tyrannie, de ma part vous soit dit également ; mais en ce qu'il conseille de porter la puissance au peuple, il a failli à rencontrer le meilleur avis. Car il n'est rien plus insolent ni moins capable de raison qu'une multitude sans frein, et de peur d'un tyran nous soumette au vil peuple, je ne vois à cela nul bon sens; l'un, s'il fait quelque mal, il le connaît du moins. L'autre ne le peut même connaître. Et que connaîtrait-il, qui ne sait ni n'apprit rien de beau ni d'honnête? il emporte de furie et précipite tout semblable à un torrent. Obéisse au peuple quiconque est ennemi du nom persan; mais nous, parmi les meilleurs hommes, choisissons, faisons une classe et lui donnons le pou voir, dont par ainsi nous serons nous-mêmes participants. Aussi que des seuls gens de bien peut venir le bien commun de tous. >>

Telle fut l'opinion de Mégabyze, sur quoi Darius le troisième déclara son avis, et dit : « Pour moi, ton propos, Mégabyze, en tant qu'il touche la multitude, me semble juste et de bon sens, mais non quant à l'oligarchie.

Car trois choses étant les meilleures qu'on sache en fait de gouvernement, le peuple supposé bon, l'oligarchie, le monarque, je maintiens celui-ci de tout point préférable. Car un chef homme de bien est ce qu'il y a ́de meilleur. Car usant de conseils selon son caractère, il gouverne le peuple irréprochablement. Outre que d'un seul les desseins contre l'ennemi sont plus secrets; mais là où la vertu s'exerce entre plusieurs, comme dans l'oligarchie, sourdent les haines privées qui sont cause de grands maux. Car chacun prétendant l'emporter et conduire les délibérations, on en vient à se haïr; de ces inimitiés naissent les factions, des factions les meurtres, qui ne sauraient finir sinon par la monarchie, d'où se peut connaître aisément combien celle-ci est meilleure. Le peuple d'autre part gouvernant, de nécessité le vice prend pied dans la commune. Le vice une fois établi engendre non pas haine entre les vicieux, mais forte amitié au contraire, eux agissant d'accord ensemble pour le mal public; et ainsi va jusqu'à ce qu'un prenne autorité sur le peuple et ôte l'empire å telles gens, lequel à raison de ce révéré par le peuple même, de cette révérence que lui porte un chacun profite et se fait monarque. En somme et pour finir d'un mot, d'où nous est venu la

liberté? qui nous l'a donnée? est-ce le peuple, l'oligarchie ou un monarque? mon sentiment, puisqu'un seul homme nous a fait libres, c'est de nous tenir à un seul et de n'innover point aux coutumes de nos pères', sages et bonnes; car ainsi ne nous vaudrait rien. »

Ces trois avis donc proposés, quatre des sept délibérants se déclarèrent pour le dernier. Alors Otanès qui avait conseillé l'Isonomie, voyant son avis rejeté, se prit à dire au milieu d'eux : « Hommes conjurés, il est sans doute qu'un de nous va devenir roi, soit par le sort, soit par le choix du peuple à qui on s'en remettra, soit de toute autre manière. Je n'entends point pour moi le disputer avec vous. Je ne veux gouverner ni être gouverné; mais je vous cède ici l'empire à une condition pourtant, qui est que nul de vous ne commandera jamais ni à moi, ni aux miens issus de moi à perpétuité. Comme il eut dit ces mots, les six lui oc troyèrent sa demande sur l'heure, moyennant quoi lui se retira du milieu d'eux, s'assit à part et ne concourut point avec eux. Aujourd'hui encore cette maison est la seule en Perse qui soit libre, et n'obéit qu'autant qu'elle veut, sauf les lois et coutumes qu'elle ne' peut transgresser.

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Le demeurant des sept tint conseil sur la manière d'élire un roi la plus équitable, et d'abord fut délibéré qu'à Otanès et ceux de sa race (venant la royauté à écheoir à un d'eux sept) serait donné par distinction particulière chaque année un habillement à la médoise et tout ce qui se peut chez les Perses de plus honorable en présent. La cause pourquoi ils voulurent lui faire ces présents, c'est qu'il avait eu le premier dessein du complot et avait assemblé les autres. Tels furent les dons et honneurs décernés à Otanès seul. Pour eux en commun ils réglèrent que toujours qui voudrait des sept entrerait au palais royal sans être annoncé, fors que le roi fût à dormir avec une femme ; que le roi ne pourrait épouser femme qui ne fût de famille d'un des conjurés ; et quant à l'élection, voici ce qu'ils résolurent; que celui dont le cheval au lever du soleil hennirait le premier sur l'esplanade, où ils iraient chevaucher le matin, celui-là serait roi. Or avait Darius, parmi ses domestiques, un palfrenier homme de sens, lequel s'appelait OEbarès. Finie la délibération, comme ils se furent séparés, Darius dit à cet homme :

OEbarès, pour élire un roi nous voulons faire ainsi. Nous monterons à cheval. Celui dont le cheval hennira le premier au lever

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du soleil aura la royauté. C'est à toi maintenant si tu sais quelque secret, de le mettre en usage pour faire que ce prix tombe à nous et non pas à quelque autre en partage. » Le palfrenier répond: « S'il ne tient qu'à cela, maître, que tu sois roi, aie bonne espérance et t'en remets à moi. J'ai telle drogue au moyen de laquelle nul autre que toi ne régnera.» Darius repart: S'il est ainsi que tu possèdes tel secret, c'est le temps ou jamais de l'employer. Car au point du jour se fait l'épreuve qui doit décider entre nous. »

Cela entendu, OEbarès s'y prit en cette façon. La nuit venue, il conduisit à l'esplanade une jument, celle qu'aimait davantage le cheval de Darius, l'ayant liée, en fit ap procher le cheval de Darius, par plusieurs fois le fit aller et venir au long de cette ca vale et même la toucher en passant, puis enfin lui permit de saillir la cavale. Or le jour commençant à poindre, voici venir les six ainsi qu'il était convenu, montés sur leurs chevaux, et eux traversant l'esplanade, comme ils furent vers cet endroit où la nuit passée la cavale avait été liée, là le cheval de Darius se mit à courir et hennir. En même temps on ouït tonner et se vit un éclair sans nuage, qui fut à Darius une sorte d'inaugu ration et comme une voix du ciel se déclarant

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