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CCCCLXIII.

Il y a souvent plus d'orgueil que de bonté à plaindre les malheurs de nos ennemis; c'est pour leur faire sentir que nous sommes audessus d'eux, que nous leur donnons des marques de compassion.

CCCCLXIV.

Il y a un excès de biens et de maux qui passe notre sensibilité.

CCCCLXV.

Il s'en faut bien que l'innocence trouve autant de protection que le crime.

CCCCLXVI.

De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal aux femmes, c'est l'amour.

CCCCLXVII.

La vanité nous fait faire plus de choses contre notre goût que la raison.

* CCCCLXVIII.

CCCCLXXIII.

Quelque rare que soit le véritable amour, il l'est encore moins que la véritable amitié. * CCCCLXXIV.

Il y a peu de femmes dont le mérite dure plus que la beauté.

CCCCLXXV.

L'envie d'être plaint ou d'être admiré, fait souvent la plus grande partie de notre confiance. CCCCLXXVI.

Notre envie dure toujours plus long-temps que le bonheur de ceux que nous envions.

CCCCLXXVII.

La même fermeté qui sert à résister à l'amour, sert aussi à le rendre violent et durable; et les personnes foibles, qui sont toujours agitées des passions, n'en sont presque jamais véritablement remplies.

CCCCLXXVIII.

L'imagination ne sauroit inventer tant de diverses contrariétés, qu'il y en a naturelle

Il y a des méchantes qualités qui font de ment dans le cœur de chaque personne. grands talents.

CCCCLXIX.

*CCCCLXXIX.

Il n'y a que les personnes qui ont de la

On ne souhaite jamais ardemment ce qu'on fermeté qui puissent avoir une véritable doune souhaite que par raison.

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sances; et jamais personne ne s'est donné la peine d'étendre et de conduire son esprit aussi loin qu'il pourroit aller.

CCCCLXXXIII.

* CCCCXCII.

L'avarice produit souvent des effets contraires il y a un nombre infini de gens qui sacrifient tout leur bien à des espérances douteuses et éloignées; d'autres méprisent de

On est d'ordinaire plus médisant par vanité grands avantages à venir pour de petits inque par malice. térêts présents.

CCCCLXXXIV.

les Quand on a le cœur encore agité par restes d'une passion, on est plus près d'en prendre une nouvelle, que quand on est entièrement guéri.

CCCCLXXXV.

Ceux qui ont eu de grandes passions, se trouvent toute leur vie heureux et malheureux d'en être guéris.

CCCCLXXXVI.

CCCCXCIII.

Il semble que les hommes ne se trouvent pas assez de défauts; ils en augmentent encore le nombre par de certaines qualités singulières dont ils affectent de se parer, et ils les cultivent avec tant de soin, qu'elles deviennent à la fin des défauts naturels qu'il ne dépend plus d'eux de corriger.

CCCCXCIV.

Ce qui fait voir que les hommes connoissent mieux leurs fautes qu'on ne pense, c'est qu'ils

Il y a encore plus de gens sans intérêt que n'ont jamais tort quand on les entend parler

sans envie.

CCCCLXXXVII.

de leur conduite le même amour-propre qui les aveugle d'ordinaire, les éclaire alors, et

Nous avons plus de paresse dans l'esprit leur donne des vues si justes, qu'il leur fait que dans le corps. supprimer ou déguiser les moindres choses qui peuvent être condamnées.

CCCCLXXXVIII.

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D.

Il y a des gens si remplis d'eux-mêmes, que, lorsqu'ils sont amoureux, ils trouvent moyen d'être occupés de leur passion, sans l'être de la personne qu'ils aiment.

* Dİ.

L'amour, tout agréable qu'il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre, que par lui-même.

DII.

Peu d'esprit avec de la droiture ennuie moins à la longue, que beaucoup d'esprit avec du

travers.

DIII.

La jalousie est le plus grand de tous les maux, et celui qui fait le moins de pitié aux personnes qui le causent.

* DIV.

Après avoir parlé de la fausseté de tant de vertus apparentes, il est raisonnable de dire quelque chose de la fausseté du mépris de la mort. J'entends parler de ce mépris de la mort que les païens se vantent de tirer de leurs propres forces, sans l'espérance d'une meilleure vie. Il y a différence entre souffrir la mort constamment et la mépriser. Le premier est assez ordinaire; mais je crois que l'autre n'est jamais sincère. On a écrit néanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort n'est point un mal, et les hommes les plus foibles, aussi-bien que les héros, ont donné mille exemples célèbres pour établir cette opinion. Cependant je doute que personne de bon sens l'ait jamais cru; et la peine que l'on prend pour le persuader aux autres et à soi-même, fait assez voir que cette entreprise n'est pas aisée. On peut avoir divers sujets de dégoût dans la vie; mais on n'a jamais raison de mépriser la mort. Ceux même qui se la donnent volontairement, ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils s'en étonnent et la rejettent comme les autres, lorsqu'elle vient à eux par une autre voie que celle qu'ils ont choisie. L'inégalité que l'on remarque

dans le courage d'un nombre infini de vaillants hommes, vient de ce que la mort se découvre différemment à leur imagination, et y paroît plus présente en un temps qu'en un autre. Ainsi il arrive qu'après avoir méprisé ce qu'ils ne connoissent pas, ils craignent enfin ce qu'ils connoissent. Il faut éviter de l'envisager avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire qu'elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s'empêcher de la considérer; mais tout homme qui la sait voir telle qu'elle est, trouve que c'est une chose épouvantable. La nécessité de mourir faisoit toute la constance des philosophes. Ils croyoient qu'il falloit aller de bonne grace où l'on ne sauroit s'empêcher d'aller; et ne pouvant éterniser leur vie, il n'y avoit rien qu'ils ne fissent pour éterniser leur réputation et sauver du naufrage ce qui en peut être garanti. Contentons-nous, pour faire bonne mine, de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons, et espérons plus de notre tempérament que de ces foibles raisonnements, qui nous font croire que nous pouvons approcher de la mort avec indifférence. La gloire de mourir avec fermeté, l'espérance d'être regretté, le desir de laisser une belle réputation, l'assurance d'être affranchi des misères de la vie, et de ne dépendre plus des caprices de la fortune, sont des remèdes qu'on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu'ils soient infaillibles. Ils font pour nous assurer, ce qu'une simple haie fait souvent à la guerre, pour assurer ceux qui doivent approcher d'un lieu d'où l'on tire: quand on en est éloigné, on s'imagine qu'elle peut mettre à couvert ; mais quand on en est proche, on trouve que c'est un foible secours. C'est nous flatter, de croire que la mort nous paroisse de près ce que nous en avons jugé de loin, et que nos sentiments, qui ne sont que foiblesse, soient d'une trempe assez forte pour ne point souffrir d'atteinte par la plus rude de toutes les épreuves. C'est aussi mal connoître les effets de l'amourpropre, que de penser qu'il puisse nous aider à compter pour rien ce qui le doit nécessairement détruire; et la raison, dans laquelle on croit trouver tant de ressources, est trop foible en

cette rencontre pour nous persuader ce que qu'il avoit lui-même rédigé au moins une de ces Préfaces.

nous voulons. C'est elle au contraire qui nous trahit le plus souvent, et qui, au lieu de nous inspirer le mépris de la mort, sert à nous découvrir ce qu'elle a d'affreux et de terrible. Tout ce qu'elle peut faire pour nous, est de nous conseiller d'en détourner les yeux pour les arrêter sur d'autres objets. Caton et Brutus en choisirent d'illustres. Un laquais se contenta, il y a quelque temps, de danser sur l'échafaud où il alloit être roué. Ainsi, bien que les motifs soient différents, ils produisent les mêmes effets: de sorte qu'il est vrai que quelque disproportion qu'il y ait entre les grands hommes et les gens du commun, on a vu mille fois les uns et les autres recevoir la mort d'un même visage; mais ç'a toujours été avec cette différence, que, dans le mépris que les grands hommes font paroître la mort, c'est l'amour de la gloire qui leur pour du commun, gens en ôte la vue; et dans les n'est qu'un effet de leur peu de lumières qui les empêche de connoître la grandeur de leur mal, et leur laisse la liberté de penser à autre chose.

PREMIER SUPPLÉMENT.

PENSÉES

SUPPRIMÉES PAR L'AUTEUR,

AVEC LA DATE DES ÉDITIONS.

AVIS DE L'ÉDITEUR.

се

La Rochefoucauld avoit inséré dans les premières éditions plusieurs Maximes qu'il a successivement rejetées. Brotier en a compté cent-vingt et une; mais des recherches exactes nous ont appris que les nos 6, 49, 58, 59, 74, 75, 77, 83, 96, 118 et 121 des Pensées, rangées par Brotier sous le titre de premières Pensées, sont la répétition de celles comprises sous les nos 18,51, 162, 177, 178, 223, 228, 265, 251 et 284 des Reflexions morales, et qui par conséquent doivent être supprimées pour éviter un double emploi. Les autres Pensées que Brolier a placées sous le même titre, et qu'on ne retrouve point ici, ne sont que des Variantes. On les trouvera au bas du texte : les Maximes rejetées par

La Rochefoucauld se réduisent à soixante-quatre.

Nous reproduisons ici les deux Avis au Lecteur des éditions 1665 et 1666, qui ont été supprimés dans toutes les éditions publiées après la mort de l'auteur. Une Lettre de La Rochefoucauld à madame de Sablé semble prouver

Voici cette Lettre: « Je vous envoie une manière de Pré« face pour les Maximes; mais comme je la dois rendre << dans deux heures, je vous supplie très humblement, << Madame, de me la renvoyer par le même laquais qui vous « porte ce billet. Je vous demande aussi de me dire ce que << vous en trouvez. »

AVIS AU LECTEUR,

de l'Édition DE 1663.

Voici un portrait du cœur de l'homme que je donne au public, sous le nom de Réflexions ou Maximes morales. Il court fortune de ne plaire pas à tout le monde, parcequ'on trouvera peut-être qu'il ressemble trop, et qu'il ne flatte pas assez. Il y a apparence que l'intention du peintre n'a jamais été de faire paroître cet ouvrage, et qu'il seroit encore renfermé dans son cabinet si une méchante copie qui en a couru et qui a passé même depuis quelque temps en Hollande, n'avoit obligé un de ses amis de m'en donner une autre, qu'il dit être tout-à-fait conforme à l'original; mais toute correcte qu'elle est, possible n'évitera-t-elle pas la censure de certaines personnes qui ne peuvent souffrir que l'on se mêle de pénétrer dans le fond de leur cœur, et qui croient être en droit d'’empêcher que les autres les connoissent, parcequ'elles ne veulent pas se connoître elles-mêmes. Il est vrai que, comme ces Maximes sont remplies de ces sortes de vérités dont l'orgueil humain ne se peut accommoder, il est presque impossible qu'il ne se soulève contre elles, et qu'elles ne s'attirent des censeurs. Aussi est-ce pour eux que je mets ici une Lettre que l'on m'a donnée, qui a été faite depuis que le manuscrit a paru, et dans le temps que chacun se meloit d'en dire son avis; elle m'a semblé assez propre pour répondre aux principales difficultés que l'on peut opposer aux Réflexions, et pour expliquer les sentiments de leur auteur : elle suffit pour faire voir que ce qu'elles contiennent n'est autre chose que l'abrégé d'une morale conforme aux pensées de plusieurs Pères de l'Eglise, et que celui qui les a écrites a eu beaucoup de raison de croire qu'il ne pouvoit s'égarer en suivant de si bons guides, et qu'il lui étoit permis de parler de l'homme comme les Pères en ont parlé; mais si le respect qui leur est dû n'est pas capable de retenir le chagrin des critiques, s'ils ne font point de scrupule de condamner l'opinion de ces grands hommes en condamnant ce livre, je prie le lecteur de ne les pas imiter, de ne laisser point entraîner son esprit au premier mouvement de son cœur, et de donner ordre, s'il est possible, que l'amour-propre ne se mêle point dans le jugement qu'il en fera: car s'il le consulte, il ne faut pas s'attendre

Pour ce qui est de l'ordre de ces Réflexions, vous n'aurez pas peine à juger, mon cher Lecteur, que comme elles sont toutes sur des matières différentes, il étoit difficile d'y en observer. Et bien qu'il y en ait plusieurs sur un même sujet, on n'a pas cru les devoir mettre de suite, de crainte d'ennuyer le lecteur; mais on les trouvera dans la Table.

qu'il puisse être favorable à ces Maximes; comme | garde point ceux que Dieu en préserve par une elles traitent l'amour-propre de corrupteur de la rai- grace particulière. son, il ne manquera pas de prévenir l'esprit contre elles. Il faut donc prendre garde que cette prévention ne les justifie, et se persuader qu'il n'y a rien de plus propre à établir la vérité de ces Réflexions, que la chaleur et la subtilité que l'on témoignera pour les combattre. En effet, il sera difficile de faire croire à tout homme de bon sens, que l'on les condamne par d'autre motif que par celui de l'intérêt caché, de l'orgueil et de l'amour-propre. En un mot, le meilleur parti que le lecteur ait à prendre, est de se mettre d'abord dans l'esprit, qu'il n'y a aucune

PENSÉES

de ces Maximes qui le regarde en particulier, et qu'il TIRÉES DES PREMIÈRES ÉDITIONS,

en est seul excepté, bien qu'elles paroissent générales. Après cela, je lui réponds qu'il sera le premier à y souscrire, et qu'il croira qu'elles font encore grace au cœur humain. Voilà ce que j'avois à dire sur cet écrit en général : pour ce qui est de la méthode que l'on y eût pu observer, je crois qu'il eût été à desirer que chaque Maxime eût eu un titre du sujet qu'elle traite, et qu'elles eussent été mises dans un plus grand ordre; mais je ne l'ai pu faire sans renverser entièrement celui de la copie qu'on m'a donnée; et comme il y a plusieurs Maximes sur une même matière, ceux à qui j'en ai demandé avis, ont jugé qu'il étoit plus expédient de faire une Table à laquelle on aura recours pour trouver celles qui

traitent d'une même chose.

AVIS AU LECTEUR,

DE L'ÉDITION DE 1666.

MON CHER LECTEUR,

Voici une seconde édition des Réflexions morales

que vous trouverez sans doute plus correcte et plus

exacte en toutes façons que n'a été la première. Ainsi, vous pouvez maintenant en faire tel jugement que vous voudrez sans que je me mette en peine de tacher à vous prévenir en leur faveur, puisque si elles sont telles que je le crois, on ne pourroit leur faire plus de tort que de se persuader qu'elles eussent besoin d'apologie. Je me contenterai de vous avertir de deux choses: l'une, que par le mot d'intérêt, on n'entend pas toujours un intérêt de bien, mais le plus souvent un intérêt d'honneur ou de gloire; et l'autre, qui est la principale et comme le fondement de toutes ces Réflexions, est que celui qui les a faites n'a considéré les hommes que dans cet état dépiorable de la nature corrompue par le péché; et qu'ainsi la manière dont il parle de ce nombre infini de défauts qui se rencontrent dans leurs vertus apparentes, ne re

ET REPLACÉES Dans l'ordre où elles s'y trouvent.

I.

L'amour-propre est l'amour de soi-même et de toutes choses pour soi ; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendroit les tyrans des autres, si la fortune leur en donnoit les moyens : il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers, que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n'est si impétueux que ses desirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites: ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur ni percer les ténèbres de ses abimes. Là, il est à couvert des yeux les plus pénétrants, il y fait mille insensibles tours et retours. Là, il est souvent invisible à lui-même : il y conçoit, il y nourrit et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d'affections et de haines; il en forme de si monstrueuses, que lorsqu'il les a mises au jour, il les méconnoit, ou il ne peut se résoudre à les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu'il a de lui-même; de là viennent ses erreurs, ignorances, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet ; de là vient qu'il croit que ses sentiments sont morts lorsqu'ils ne sont qu'endormis; qu'il s'imagine n'avoir plus envie de courir dès qu'il se repose, et qu'il pense avoir perdu tous les goûts qu'il a rassasiés : mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même, n'empêche pas qu'il ne voie parfaitement ce qui est hors de

ses

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