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plet qui ait jamais été imaginé. Dieu, selon le Védanta, est un, infini, éternel, immuable. Brahma (puissance), Vishnou (intelligence), Schiba (amour), sont trois perfections de Dieu. Pracriti (la matière, l'éther) est une expansion de la substance divine qui constitue l'univers. L'âme humaine, pure illusion, brillante féerie, simple vapeur, doit, après diverses transformations, se perdre dans l'âme divine, en sorte que l'identification des âmes individuelles avec l'âme suprême est leur destruction définitive. - Dieu tend à se dégager des illusions, et les illusions s'évanouiront. Pourquoi s'évanouiront-elles? Parce qu'elles sont incompatibles avec la nécessité de l'existence divine. - Mais comment existent-elles? La nécessité de l'existence divine n'est-elle pas la même dans tous les temps? Il suffit de cette remarque pour détruire de fond en comble le système Védanta et l'idée d'unité absolue.

Tout ce qui est contraire à la raison métaphysique des êtres entraîne nécessairement la négation de ces êtres. A ce titre, le panthéisme devait conduire à la négation de Dieu. L'émanation et l'absorption divines sont également contraires à la raison métaphysique de l'être divin. Spinosa, le plus profond des panthéistes, dut être et fut le plus intrépide des athées. Bizarre destinée d'une théorie qui engendre l'antithèse de sa conclusion!

J'ai dit que le panthéisme conduisait directement au dogme de la souveraineté humaine ou de l'anarchie. En

l'Inde, c'est-à-dire de la partie de l'Inde la plus voisine du pays dans lequel, d'après Moïse, le genre humain se répandit d'abord en se dispersant. Il n'est donc pas étonnant que tous les philosophes amis de la vérité soient allés l'étudier dans les livres et dans les traditions de l'Inde. La vanité plus tard a emprunté à cette école ses divines et nouvelles théories,

effet, qu'on ouvre les ouvrages de nos philosophes ou de nos utopistes, et l'on y verra prédominer cette double idée développée en raison de la profondeur de vue ou de la puissance déductive avec lesquelles leurs auteurs auront pénétré dans les systèmes du panthéisme. M. Proudhon formule nettement l'idée d'autonomie individuelle ou d'anarchie. Mais aussi notre premier devoir, selon lui, est d'arracher Dieu de nos cœurs. Hoc est primum et magnum mandatum, dit-il voilà où a abouti le panthéisme de M. Proudhon. M. Cousin, avec le tact d'un artiste délicat et habile, effleurant seulement les questions, se borne à affirmer la souveraineté de la raison en philosophie, petite église dans le grand tout. M. Cousin pense sans doute, avec Platon qu'il a beaucoup étudié, que « la nature n'a >> fait ni cordonniers ni forgerons; de pareilles occupations >> dégradant les gens qui les exercent, vils mercenaires, >> misérables sans nom, qui sont exclus, par leur état » même, des droits politiques. » L'âme d'un philosophe seule a reçu l'émanation divine. Après cela, M. Cousin est-il panthéiste? M. Lerminier ne le sait pas, et il affirme que M. Cousin ne le sait pas non plus (1). Il est probable que, panthéiste résolu, il n'eût pas enfermé le dogme de la souveraineté de la raison dans le trou de la philosophie, selon l'expression de M. Jouffroy (2); il eût généralisé le nombre des élus !

M. l'abbé de Lamennais ayant appris à raisonner par l'exercice de sa propre raison et à être lui-même, la lumière s'est faite en lui; il voit par sa propre lumière; il sait certainement, et il va dire aux autres ce qui en est et

(1) Lettre à un Berlinois.

(2) Cité par Pierre Leroux.

mettre leur raison à son aise. Ecce magnus effectus sum et præcessi omnes sapientiâ... et mens mea contemplata est multa sapienter et didici. (Lib. Ecclesiast, cap., 1.)

Dieu, dit M. de Lamennais, n'est multiple et varié que parce qu'il est puissance, intelligence, amour: «<< Brahma, Vishnou, Schiba. » Dieu réalise ces trois conditions de sa nature dans tout ce qui existe, en s'y multipliant, en s'y variant par une triple action: l'électricité, la lumière, le calorique. C'est l'éther, émanation de la substance divine, qui renferme, à l'état latent, l'électricité, la lumière, le calorique, et qui fournit la substance à tous les êtres de l'univers. (Pracriti, émanation de la substance de Dieu.) Les âmes elles-mêmes ne sont que des émanations de la substance divine, dont elles s'étaient échappées comme des météores fugitifs. Dieu les concrète et les individualise hors de lui-même (1). Dans ce système, Dieu est un et immuable, ce qui ne l'empêche pas de changer, en laissant échapper et en reprenant ses émanations. Il est infini, infini quand il laisse échapper ses émanations, infini quand il les a perdues, infini quand il les a reprises. C'est un infini qui augmente et qui diminue. Il individualise, en les concrétant, les parcelles évaporées de sa substance divine; il les individualise, et il reste seul individu.

Cette théorie, renouvelée de nos jours, n'avait pas satisfait la raison de tous les panthéistes anciens, loin de mettre à l'aise celle de tout le monde. C'est Kant, né à Koenigsberg au dix-septième siècle, philosophe aussi pieux que profond, a dit M. Proudhon, qui est le grand centre des idées panthéistiques.

« L'humanité semblait placée éternellement entre une (1) Esquisse d'une philosophie, Livre du peuple, Amschaspandset Darvands.

>> question insoluble et une négation impossible, lorsque, >> sur la fin du dernier siècle, un philosophe, Kant, aussi » remarquable par sa profonde piété que par l'incompa>> rable puissance de la réflexion, s'avisa d'attaquer le pro>> blème théologique d'une façon toute nouvelle.

>>> Il ne se demanda plus, comme tout le monde avait fait >> avant lui qu'est-ce que Dieu? et quelle est la vraie re>>ligion? D'une question de fait il fit une question de » forme, et il se dit: D'où vient que je crois en Dieu? » Comment, en vertu de quoi se produit en moi cette idée? >> Quel en est le point de départ et le développement? >> Quelles sont ses transformations et au besoin sa décrois»sance? Comment enfin est-ce que, dans l'âme religieuse, » les choses, les idées se passent?

» Tel fut le plan d'études que se proposa, sur Dieu et la >> religion, le philosophe de Koenigsberg. Renonçant à » poursuivre davantage le contenu ou la réalité de l'idée » de Dieu, il se mit à faire, si j'ose ainsi dire, la biogra» phie de l'idée (1), au lieu de prendre comme un anacho

(1) Un faux point de départ, ou une simple omission dans cette biographie de l'idée, a conduit la théorie de Kant à une négation impossible, et cette donnée de Kant, imprudemment introduite dans l'école, a ruiné l'enseignement philosophique en France. Kant ne fit attention qu'au travail intérieur de l'âme, sans examiner que cette opération ne peut avoir lieu qu'autant qu'elle est excitée par une lumière externe. Que dirait-on du physicien qui se mettrait à expliquer le phénomène de la vue, en omettant d'une manière absolue l'intervention de la lumière et des corps externes? L'homme est bien une substance, une double substance; mais sa vie, comme celle de tous les ètres finis, n'est qu'un rapport. Et il faut, dans une vaste synthèse, embrasser tous les êtres qui déterminent ce rapport, si l'on veut donner une véritable notion de la nature des êtres. Le génie de Kant a manqué d'ampleur pour embrasser toute l'étendue de la constitution des êtres; il a eu assez de pénétration pour comprendre qu'il n'aboutissait pas, et il a coupé le nœud de la difficulté par une contradiction.

>> rète, pour objet de ses méditations, l'idée de Dieu, telle » que la lui offrait une période religieuse de six mille ans. >> En un mot, il considéra dans la religion, non plus une >> révélation externe et surnaturelle de l'être infini, mais >> un phénomène de notre entendement.

» Dès ce moment, le charme fut rompu, le mystère de » la religion fut révélé à la philosophie. Ce que nous voyons >> en Dieu, comme parlait Malebranche, ce n'est point cet » être, ou, pour parler plus juste, cette entité chimérique >> que notre imagination agrandit sans cesse, et qui, par >> cela même qu'elle doit être tout, d'après la notion que >> s'en fait notre esprit, ne peut, dans la réalité, être rien : >> c'est notre propre idéal, l'essence pure de l'huma» nité (1). »

La chute est profonde; il n'y a plus de Dieu que dans l'essence pure de l'humanité, il n'y a plus de Dieu du tout. Le langage de M. Cousin est-il plus adouci? Non. La raison humaine est la lumière de toutes les lumières.

Le panthéisme ancien nie l'homme; le panthéisme moderne nie Dieu. Creusa-t-on jamais un abîme plus affreux sous les pas de l'humanité?

Si l'homme est divin, toutes ses actions participent à sa

Ses disciples sont restés dans l'impasse; ils se sont bornés à dissimuler la difficulté et à cacher leur impuissance (avouée par Jouffroy, âme naturellement vertueuse) sous des mots sonores, obscurs et indéfinis, qui ne manquaient ni de feu ni d'art pour provoquer l'admiration. L'obscurité pique la curiosité des uns, et laisse supposer que tout est clair dans l'esprit de celui qui enseigne.

Clarus ob obscuram linguam magis inter inanes...
Omnia enim stolidi magis admirantur amantque,

Inversis quæ sub verbis latitantia cernunt.

(LUCRET., lib. I, v. 640 et seq.)

(1) Proudhon, Confession d'un révolutionnai e, pages 7 et 8,

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