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point fatigante; il coule de fource; il eft doux fans lenteur; il eft rapide fans cascade ; & l'inégalité des deux hémistiches, avec le mélange des finales alternativement fonores & muettes, en fuppofant les rimes croifées fuffiroit pour le fauver de la monotonie, fans qu'on altérât le

mouvement.

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Il faut avouer cependant qu'il n'y a que les vers Grecs & Latins où la variété des nombres fe concilie pleinement avec la régularité de la mefure, & c'eft dans cette fource qu'on doit puifer l'art de la verfification; mais pour tirer quelque fruit de l'exemple des Anciens, il faut commencer par fe perfuader que notre langue a fa profodie, ou peut l'avoir comme les leurs, & je crois l'avoir démontré. Il eft vrai que dans la langue Françoife, comme dans toutes les langues, tels nombres font plus rares & tels nombres plus familiers: auffi n'eft - elle pas indifférente à toutes les formes de vers ; & de là vient, par exemple, le mauvais fuccès de nos anciens Poêtes, qui ont voulu composer en françois des Elégiaques fur le modele des Latins. Mais cela prouve feulement qu'ils n'avoient pas étudié le caractere de la langue ; & nous allons ; voir qu'il y a des mouvemens qu'elle obferve fans nul effort.

Je demanderois feulement qu'on accordât à la profodie poétique ce que l'oreille ne lui refuse pas, & ce que l'usage même lui cede. A propos de l'e féminin, qui redoublé à la fin d'un mot, fe change en é mafculin fur la pénultieme, "La langue (dit M. d'Olivet) a confulté les principes de l'harmonie, qui demandent que la pénultieme foit fortifiée fi la derniere eft

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Il obferve ailleurs "Qu'une fyllabe dou,, teufe, & qu'on abrege dans le cours de la phrase eft allongée fi elle fe trouve à la fin on dit un homme honnête, un homme brave; mais on dit un honněte homme, un brave homme.,,

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"

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Il fait remarquer auffi que la premiere fyllabe d'heure eft breve dans une heure entiere & longue dans, depuis une heure , par la raifon que dans l'une elle, eft paffagere, & que dans l'autre c'eft le point du repos.

Le même, après avoir mis au nombre des fyllabes breves la pémultième de modele, fidele, Pareffe, careffe, tranquille, facile, &c. ajoute: « Mais cela n'empêche pas que dans le chant » & dans la déclamation foutenue, on n'allonge » quelquefois ces finales. » Et la raison qu'il en donne eft, « que l'oreille a besoin d'un soutien, » & que ne le trouvant pas dans la derniere

» elle le prend dans la pénultieme. » Par la même raison il doit donc être permis d'allonger auffi dans les vers, quand le nombre l'exige la pénultieme des mots fuivants, fût- elle décidée breve dans le langage familier: audace, menace; fatale, rivale organe, profane; vaste faftes éclate flatte ; tenebres, célebres; veine, peines regrette, fecrete; pénetre, lettre ; funefte, céleftes fublime, victime; justice, propice; habite, fubite; idole, immole ; couronne, ronne homme Rome; parfume, allume ; chûte, exécute, &c.

envi

La Mufique vocale les prolonge, & l'oreille n'en eft point offenfée; la déclamation peut donc les prolonger auffi bien entendu cependant qu'elle n'altere point la qualité du fon: par exemple, l'a de fatale & d'organe fera fermé, quoiqu'il foit long, ainfi que l'e pénultieme de mifere & de mere. De même l'o de couronne de Rome & d'idole fe prolongera, fans approcher du fon de l'o grave de trône, d'atôme & de pôle ; ce qu'il eft important d'obferver.

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On peut m'opposer le peu de volume du fon de l'é, de l'i & de l'u; mais ces mêmes fons auffi grêles dans le latin, ne laiffent pas de

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s'y prolonger, & en effet, le volume du fon n'en décide pas la durée.

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aux

Dans les exemples que donne M. l'Abbé d'Olivet des pénultiemes longues dans certains mots & breves dans d'autres, j'obferve que la longue eft le plus fouvent affectée aux termes nobles, ufités au théâtre; & la breve mots qui font plus en ufage dans le langage familier ce qui prouve que la Mufique & la déclamation tendent infenfiblement à se ménager des appuis fur le fon qui précede la finale muette; car l'oreille eft fans ceffe occupée à ramener la langue aux principes de l'harmonie, & c'eft au fpectacle furtout qu'elle apporte un difcerne. ment délicat.

Si la déclamation & le chant étoient confultés fur la profodie poétique, non- feulement les voyelles qui précedent l'e muet feroient longues, mais toute finale pleine auroit droit de l'être, au moins dans le repos.

La valeur des articles, & d'une infinité de monofyllabes qui femblent douteux, feroit décidée par la même voie. Par exemple, l'usage conftant du théâtre veut que l'e ouvert de mes, fes, les, fe prolonge s'il eft fuivi d'une breve, mēs amis, ou d'un monofyllabe long, mes yeux;

mais il permet qu'on l'abrege avant les mots dont la premiere eft longue, les enfers; & tel eft le génie de notre langue, que dans un nombre, quel qu'il foit, l'oreille & la voix ne demandent qu'un point d'appui. De trois fyllabes, dont chacune feroit longue au besoin, la voix choifira donc celle dont la lenteur favorife le plus l'expreffion, & gliffera fur les deux autres. Ecoutez une A&rice récitant ce vers dans le rôle d'Inès.

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Éloignez mes enfans, ils redoublent mes maux.

Vous allez voir que dans ce nombre, mes enfans, la voix paffe rapidement la premiere, appuie en gémiffant fur la feconde, & tombe comme épuifée fur la troifieme.

Cette obfervation peut faire entendre comment une infinité de syllabes changent de valeur, pour favorifer l'expreffion & le nombre : avantage inestimable de notre langue, fi l'on favoit en profiter. Les Grecs fe donnoient la même licence, & l'on en a fait des figures de mots fous le nom de fiftole & de diafole; mais les chofes de fentiment n'ont pas befoin d'autorité.

En général, l'ufage du théâtre applanit pref que toutes les difficultés de la profodie poétique. Soit que la fenfible Clairon récite les vers de Racine; foit que le mélodieux Lully ait noté les

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