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- Le Renard, le Singe, et ies Animaux (1).

Les animaux, au décès d'un lion,

En son vivant prince de la contrée,
Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée :
Dans une chartre (2) un dragon la gardait.
Il se trouva que, sur tous essayée,
A pas un d'eux elle ne convenait :
Plusieurs avaient la tête trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le singe aussi fit l'épreuve en riant;
Et, par plaisir la tiare essayant,
Il fit autour force grimaceries (3),
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu'en un cerceau.
Aux animaux cela sembla si beau,
Qu'il fut élu : chacun lui fit hommage.
Le renard seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
Il dit au roi Je sais, sire, une cache,
Et ne crois pas qu'autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,
Appartient, sire, à votre majesté.

Le nouveau roi bâille (*) après la finance;
Lui-même Ꭹ court pour n'être
pas trompé
* C'était un piége: il y fut attrapé..
Le renard dit, au nom de l'assistance:

(1) Esop., 69, 29, Vulpes et Simius.

(2) Un lieu de réserve, une prison.
(3) Mot inventé par La Fontaine.
(4) Aspire après la finance.

Prétendrais-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ?
Il fut démis; et l'on tomba d'accord
Qu'à peu de gens convient le diadème.

VII. Le Mulet se vantant de sa généalogie (1).

-

Le mulet d'un prélat se piquait de noblesse,
Et ne parlait incessamment
Que de sa mère la jument,

Dont il contait mainte prouesse.
Elle avait fait ceci, puis avait été là.
Son fils prétendait pour cela

Qu'on le dût mettre dans l'histoire.
Il eût cru s'abaisser, servant un médecin.
Étant devenu vieux, on le mit au moulin •
Son père l'âne alors lui revint en mémoire.

Quand le malheur ne serait bon
Qu'à mettre un sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu'on le dit bon à quelque chose.

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Un vieillard sur son âne aperçut en passant

Un pré plein d'herbe et fleurissant :

Il y lâche sa bête, et le grison se rue
Au travers de l'herbe menue,

(1) Phædr., I, 15, Asinus ad Senem pastorem.

Se vautrant, grattant, et frottant,
Gambadant, chantant, et broutant,
Et faisant mainte place nette.
L'ennemi vient sur l'entrefaite.
Fuyons, dit alors le vieillard.

Pourquoi? répondit le paillard (');

Me fera-t-on porter double bât, double charge?
Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large.
Et que m'importe donc, dit l'âne, à qui je sois?
Sauvez-vous, et me laissez paître.

Notre ennemi, c'est notre maître :
Je vous le dis en bon françois.

(1) Celui qui couche sur la paille, le paysan. Ce mot n'a plus cette signification

IX.

Le Cerf se voyant dans l'eau (1).

Dans le cristal d'une fontaine
Un cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,

Et ne pouvait qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,

Dont il voyait l'objet (2) se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur:
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte;
Mes pieds ne me font point d'honneur.

Tout en parlant de la sorte,

Un limier le fait partir.

(1) Phædr., I, 12, Cervus ad fontem.

Esop., 66, 184, Cerva et Leo.

Aphtonius, 18, Fabula Cervi admonens ut differatur judicium de aliqua re, priusquam ejus factum sit periculum. Anonymus Neveleti, 47, de Cervo et Venators.

(2) L'image projetée devant lui: objectus.

11 tâche à se garantir;

Dans les forêts il s'emporte:

Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le ciel lui fait tous les ans.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile;
Et le beau souvent nous détruit.

Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile;
Il estime un bois qui lui nuit.

X.

Le Lièvre et la Tortue (1).

Rien ne sert de courir; il faut partir à point :
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt moi ce but.. Sitôt! êtes-vous sage?

que

Repartit l'animal léger:

Ma commère, il faut vous purger
Avec quatre grains d'ellébore.
Sage, ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.

Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire;

J'entends de ceux qu'il fait lorsque, prêt (2) d'être atteint, Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes (1,

(1) Esop., 173, 292, Testudo el Lupus.

Prêt d'étre, conforme aux éditions données par La Fontaine. (8) Aux calendes grecques. C'étaient les Romains, et non les Grecs, qui

Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.
Elle part, elle s'évertue;

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose;
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit

Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?

Moi l'emporter! et que serait-ce
Si vous portiez une maison?

avaient des calendes dans leur calendrier; et cette expression les calendes grecques, pour signifier un terme ou un temps indéfini, quoique empruntée à la langue de l'érudition, est devenue populaire. (WALCK.)

XI.

L'Ane et ses Maîtres (1).

L'âne d'un jardinier se plaignait au Destin
De ce qu'on le faisait lever devant l'aurore.
Les coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin,
Je suis plus matineux encore.

Et pourquoi? pour porter des herbes au marché.
Belle nécessité d'interrompre mon somme!

(1) Esop., 132, Asinus et Coriarius; 45, Asinus et Hortulanus.

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