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jour et la discussion de la Constitution comme la meilleure réponse à faire aux ennemis du bien public. Fonfrède fut d'avis qu'on devait discuter la Constitution sans s'interrompre, mais qu'on pouvait mettre au petit ordre du jour le rapport sur l'arrestation de ses collègues, dont plusieurs, selon lui, partageaient le sort d'Aristide et de Cicéron. Des rires et des murmures accueillirent ce rapprochement. Fonfrède concluait en proposant que l'on fixât un délai de huit jours, de quinze jours. A ces mots la droite se souleva, et plusieurs voix crièrent : trois jours! - Thuriot appuya dans une sortie véhémente les propositions de Lacroix qui furent renvoyées au comité de salut public.

Le 12, la Convention apprit que Brissot, se rendant, disaiton, à Lyon, avait été arrêté à Moulins. Voici la lettre par laquelle les administrateurs de l'Allier annonçaient cet événement et celle où Brissot expliquait sa fuite.

Le conseil-général du département de l'Allier, au citoyen président de la Convention nationale. -Moulins, ce 10 juin, l'an 2 de la République.

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Citoyen président, les circonstances où nous nous trouvons nous commandent la surveillance la plus active. Pénétrée de ce sentiment, la municipalité de Moulins a arrêté aujourd'hui, et fait conduire au conseil-général du dépôt, un étranger se disant négociant de Neufchâtel en Suisse, qui lui a paru suspect. Le conseil-général n'ayant point trouvé sur son passeport la signature du citoyen Barthélemy, chargé d'affaires de la République en Suisse, a cru devoir s'assurer de sa personne. Le comité de salut public a été chargé de visiter ses papiers et sa voiture. Il s'est transporté à la maison commune, où l'étranger a déclaré s'appeler J. P. Brissot, et être membre de la Convention. Nous vous envoyons le procès-verbal dressé par les membres du comité de salut public, conjointement avec les officiers municipaux, ainsi que l'arrêté que nous avons pris à ce sujet. Nous attendons les ordres de la Convention, auprès de laquelle nous

vous prions, citoyen président, d'être l'interprète de notre respect et de notre dévouement. Signé, DUBARY, président; MERsecrétaire.

LIN,

Jean-Pierre Brissot, député, au président de la Convention

nationale.

⚫ Citoyen président, les menaces d'assassinat dont j'ai été particulièrement l'objet depuis quelque temps, m'ont forcé de quitter Paris dans ce moment où la Convention, délibérant sous les baïonnettes, a été contrainte de mettre en arrestation trentecinq de ses membres sans les avoir entendus. J'ai balancé, je l'avoue, dans le premier instant, la fuite me paraissant indigne d'un représentant du peuple; mais réfléchissant que si d'un côté je devais me reposer sur la justice de la Convention et la loyauté du peuple de Paris, de l'autre il était évident que les puissances étrangères entretenaient dans cette ville une armée de brigands, pour massacrer les députés et dissoudre la Convention; réfléchissant qu'elle n'avait maintenant aucunes forces pour les réprimer, j'ai cru devoir attendre dans la solitude que la Convention ait repris l'autorité suprême dont elle doit être investie, et que ses membres pussent sûrement et librement repousser dans son sein les accusations fausses élevées contre eux. C'est dans cet esprit que j'allais chercher un asile ignoré, lorsque j'ai été arrêté dans cette ville. Mon passeport était sous un nom étranger; c'est une faute, sans doute; mais les persécutions qui, en environnant mon nom d'une cruelle célébrité, me forçaient de le taire, la rendent sans doute excusable.

› Je demande à la Convention, et c'est un acte de justice, d'être entendu contre tous mes calomniateurs : je voudrais l'être à la face de la France entière. Je demande surtout que la Convention, en ordonnant ma translation chez moi, à Paris, ne rende aucune décision sans m'entendre. Signé, J. P. BRISSOT.

P. S. Le citoyen Souque, qui avait un passeport bien en règle, et qui, par amitié pour moi, m'a suivi dans mon voyage, a été arrêté avec moi. Je demande à la Convention de vouloir

bien en ordonner la rélaxation. S'il existe un délit, j'en suis seul coupable; et un ami généreux ne doit pas être puni de son dévouement. >

La lecture de ces lettres fut suivie d'une légère discussion. Un membre proposait que Brissot restât en état d'arrestation à Moulins. Thuriot s'y opposa: il dit que Brissot venait d'encourir la peine de six ans de fer en usant d'un faux passeport; que d'ailleurs il n'y avait pas de cachot assez noir pour un pareil conspirateur, et il demanda que le comité de salut public présentât enfin le mode de faire monter à l'échafaud les hommes qui n'avaient cessé de travailler à la perte de leur patrie. Cette affaire fut envoyée au comité, et un décret du 17 juin ordonna la translation à Paris, sous bonne et sûre garde, de J.-P. Brissot, député à la Convention, et de Souque, agent du pouvoir exécutif.

La sensation que cette nouvelle devait naturellement produire disparut en un instant et fit place aux plus vives alarmes. Au moment où on lisait à la Convention la dépêche des administrateurs de l'Allier, le département de Paris en recevait une de Momoro, son commissaire en Vendée, qui faisait part d'une déroute complète et de la prise de Saumur par les royalistes. Il arrêta aussitôt des mesures extrêmes, dont la principale portait qu'un corps de mille hommes, composé principalement de canonniers, partirait dans les vingt-quatre heures avec quarantehuit pièces de canons fournies par les sections. Le bulletin de Momoro fut communiqué à la Convention, en même temps que l'arrêté pris en cette circonstance, et qui fut immédiatement converti en décret.

Une lettre de Tallien à Ballois, lue aux Jacobins le 17, apporta les détails de la prise de Saumur. Voici cette pièce :

Tours, le 13 juin 1793. La journée de dimanche (10) est une des plus funestes que nous ayons encore éprouvées. L'ennemi se présenta le vendredi précédent à Doué, où il mit notre armée dans une déroute complète. Obligés de nous replier sur Saumur, nous avions dix mille hommes réunis dans cette ville,

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et une formidable artillerie. Nous avions un poste avancé, et des redoutes assez bien disposées sur la butte de Bournan, très-avantageusement située. L'affaire s'engagea à deux heures après midi; nos troupes paraissaient dans d'assez bonnes dispositions ; les généraux, les membres de la Convention nationale et les agens du conseil exécutif avaient parcouru les rangs, et employé tous les moyens pour ranimer le courage. Dans les premiers instans nous eûmes quelques succès; la cavalerie chargea avec assez de vigueur, et fut soutenue par deux bataillons de volontaires. L'affaire était engagée depuis environ une heure, lorsque des cris: A la trahison! se firent entendre ; Menou donna ordre à un détachement de cavalerie de charger une colonne ennemie, mais ilne fut pas obéi. Un détachement de cuirassiers de la légion germanique prit la fuite à toute bride, criant: Sauve qui peut. Ce fut alors que la déroute devint complète, que les bataillons se débandèrent, que les généraux se virent abandonnés. Quelques corps se jetèrent dans le château et s'y enfermèrent. En vain les généraux et les députés firent tous leurs efforts pour rallier les troupes; ils ne purent jamais y parvenir : la terreur panique était telle que rien ne put les arrêter. Plus de trente pièces d'artillerie furent abandonnées dans cette malheureuse journée. Un très-grand nombre de bagages sont restés dans la ville de Saumur. Le général Menou a eu deux coups de feu, son cheval tué sous lui, et renversé de quinze pieds de hauteur. Le général Berthier s'est signalé dans cette affaire par un courage et une activité rares. Santerre est arrivé à deux heures, s'est battu depuis deux heures et demie jusqu'à huit heures du soir, avec un sang-froid et une intrépidité rares dans un homme qui paraissait pour la première fois au feu. Il a fat retraite sur Baugé avec quinze cents hommes; trois mille environ se sont repliés sur Angers et autant sur Tours avec les membres de la commission centrale. Il sera difficile de réparer cet échec funeste sous tous les rapports, car les brigands' se trouvent aujourd'hui maîtres de la Loire, ce qui est un très-grand mal; car ils pourront, par ce moyen, pénétrer dans la ci-devant Bretagne, où 15

T. XXVIII.

ils trouveront beaucoup de partisans. Nous nous occupons cependant des moyens de réparer nos pertes; nous comptons beaucoup sur l'armée de Niort que l'on dit forte de vingt-cinq mille bommes et bien composée. Mais il faut absolument de la discipline, de la confiance dans les chefs; car, sans cela, il ne peut exister d'armée, et nous serions toujours battus. Tours n'est qu'à quinze lieues de l'ennemi; nous ignorons s'il viendra nous attaquer. Son dessein paraît être de se porter sur Angers et sur Nantes. Nous allons rassembler tous les débris de notre armée et tenter une attaque; car il est à remarquer que nous avons toujours été victorieux quand nous avons attaqué, tandis que nous avons toujours été battus lorsque nous nous sommes laissé attaquer. Il nous faut du canon, des armes et des généraux ; car nous sommes à cet égard dans une grande pénurie. Je suis cependant bien loin de désespérer. Je crois au contraire que, si l'on veut un peu s'entendre, nous ne tarderons pas à obtenir des succès; mais si l'on tarde encore quelque temps à prendre des mesures, les plus affreux malheurs fondront sur nous. La garnison du château de Saumur s'est parfaitement conduite; elle a tenu jusqu'à lundi à midi; mais les chefs des révoltés ayant menacé de mettre le feu aux quatre coins de la ville, les femmes sont venues se jeter à genoux auprès du château. La garnison se trouvait malheureusement composée en partie de citoyens de Saumur : une capitulation fût proposée et acceptée; nos troupes ont été renvoyées prisonnières sur parole. Les habitans de Saumur se sont conduits de la manière la plus abominable. On a tiré des croisées sur Santerre et sur les députés. Les dames sont allées complimenter les chefs des brigands, ont assisté au Te Deum qui a été chanté hier, et elles ont pris le deuil de Louis XVI.

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L'esprit public se pervertit de jour en jour; déjà on efface sur les enseignes tous les signes de la liberté. Les ouvriers d'une manufacture de Tours ont aujourd'hui crié hautement vive le roi! Le défaut de subsistances vient encore augmenter nos inquiétudes. Nous sommes dans une position difficile, mais nous nous en tirerons ou nous périrons. Avec de l'ordre, de la subor

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