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MALHERBE (1556-1628). STANCES À DU PERRIER.— DESCARTES (1596-1650). DISCOURS SUR LA

MALHERBE.

MÉTHODE.

Ainsi donc nous avons vu la langue se dégrossir peu à peu. Elle s'est transformée grâce à la culture assidue des littérateurs; mais elle manquait encore un peu d'ordre. Un poète parut alors qui mit le sceau de la perfection sur l'instrument qui devait servir aux grands génies du XVIIe siècle.

Malherbe vint, qui, le premier en France
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir
Et réduisit la muse aux règles du devoir.

BOILEAU, Art Poétique.

Ainsi,

Malherbe était un critique très sévère pour lui-même. mécontent d'un billet de condoléance qu'il avait écrit un de ses amis qui avait perdu sa femme, il prit tant de temps à le corriger et le recorriger que l'ami le reçut au moment où il venait de se remarier. A ce compte, le poète pouvait être sévère pour les autres. Aussi ne ménagea-t-il pas leurs fautes. Il se donna pour mission de purifier la langue de ses dernières imperfections, et son bon sens et la justesse de ses critiques lui acquirent sur ses contem. porains une autorité incontestée.

5

Lui-même n'a pas écrit de chef-d'œuvre proprement dit. De ses nombreuses poésies, il ne surnage guère qu'une ode, superbe il est vrai de pensée et d'expression:

STANCES À DU PERRIER SUR LA MORT DE SA FILLE.

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle ?

Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours ?

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Je sais de quels appas son enfance était pleine
Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine

Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses

Ont le pire destin

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin !

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau la prier.

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.

DESCARTES.

Avec Descartes commence la série des grands écrivains français; il est le premier de nos classiques.-Par classiques il faut entendre ces auteurs dont les qualités de méthode, de style et de pensée nous servent de modèles.

Descartes était un caractère original. Dès l'âge de seize ans il avait fini ses études telles qu'elles étaient alors, le latin, le grec, la logique, et quelque peu de mathématiques. Mais tout cela était enseigné d'une manière purement routinière; tout cela était factice, vide de sens, partant peu satisfaisant pour un esprit vraiment intelligent. Le jeune étudiant voulait quelque chose de vivant; il avait soif de la vérité dégagée de nuages. Pour la trouver, rejetant ses livres, il se met à observer de ses propres yeux, à raisonner, et, - chose nouvelle à penser pour lui-même; il voyage, fait la guerre, puis, riche de faits, il se sépare de la société et vit dans la plus stricte solitude à Paris d'abord et après en Hollande.

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Le fruit de ses réflexions est bien connu dans le monde de la philosophie qu'il a révolutionné; on l'appelle avec raison le père de la philosophie moderne. Le point de départ en est ce mot si souvent cité: "je pense, donc je suis."

Mais il avait préludé à ses réflexions en inventant pour sa recherche de la verité une méthode à lui propre, toute de grand sens. C'est cette méthode qu'il révèle dans le premier chef-d'œuvre que la langue française ait produit. Le style en est des plus simples; c'est là sa force. Il exprime exactement la pensée, et la pensée vivifie la forme. On pourrait tout au plus trouver qu'il y a trop d'ampleur dans ses périodes, et que les phrases sont quelque peu enchevêtrées. Néanmoins l'idée est toujours claire et facile à saisir.

Tout le Discours est à lire; ce n'est pas un gros volume. La première partie traite de la méthode proprement dite. Les trois dernières parties contiennent en substance les principes de sa philosophie. Il les a développés plus tard dans ses Méditations; mais ce dernier ouvrage, il l'a écrit en latin!

La publication du Discours donna à Descartes une réputation immense, et aussi lui suscita des ennemis nombreux. Pour fuir l'une aussi bien que les autres, il accepta l'offre de Christine, reine de Suède, qui le pressait de venir à Stockholm et de l'instruire dans les sciences; mais il ne put supporter la rigueur du climat et mourut après quelques mois,

DISCOURS DE LA MÉTHODE.

Sitôt que l'âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l'étude des lettres; et me résolvant de ne chercher plus d'autre science que celle 5 qui se pourrait trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde, j'employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m'éprouver moi-même dans les ren10 contres que la fortune me proposait, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient que j'en pusse tirer quelque profit. Car il me semblait que je pourrais rencontrer beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, et 15 dont l'évènement le doit punir bientôt après s'il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet, et qui ne lui sont d'autre conséquence sinon que peut-être il en tirera d'autant plus de vanité qu'elles 20 seront plus éloignées du sens commun, à cause qu'il aura dû employer d'autant plus d'esprit et d'artifice à tâcher de les rendre vraisemblables. Et j'avais toujours un extrême désir d'apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux, pour voir clair en mes actions et marcher avec assurance en 25 cette vie.

Comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées; ainsi au lieu de ce grand nombre de préceptes. 30 dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et cou

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stante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer. Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne connusse évidemment être telle; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes juge- 5 ments que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.

Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, et 10 qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

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Comme ce n'est pas assez, avant de commencer à rebâtir le logis où on demeure, que de l'abattre, et de faire pro- 20 vision de matériaux et d'architectes, ou s'exercer soi-même à l'architecture, et outre cela d'en avoir soigneusement tracé le dessein; mais qu'il faut aussi s'être pourvu de quelque autre, où on puisse être logé commodément pendant le temps qu'on y travaillera; ainsi, afin que je ne 25 demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m'obligerait de l'être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes dont je veux bien 30 vous faire part.

La première était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle

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