Le lion sort, et vient d'un pas agile. O Jupiter! montre-moi quelque asile, La vraie épreuve de courage N'est que dans le danger que l'on touche du doigt: Borée et le Soleil virent un voyageur Qui s'était muni par bonheur Contre le mauvais temps. On entrait dans l'automne, Rend ceux qui sortent avertis Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire : Les Latins les nommaient douteux (2), pour cette affaire. Notre homme s'était donc à la pluie attendu : Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte. 'Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu A tous les accidents; mais il n'a pas prévu Que je saurai souffler de sorte Qu'il n'est bouton qui tienne : il faudra, si je veux, L'ébattement pourrait nous en être agréable: Vous plaît-il de l'avoir? Eh bien, gageons nous deux, (1) Lokman, 34, trad. de Marcel, 1803, in-18, p. 115, le Soleil et le Vent. Philibert Hegemon, fable vi, du Soleil et de la Bise, dans la Colombière, ou Maison rustique. Paris, 1583, p. 58, verso. (2) Incertis mensibus. (VIRGILE.) A qui plus tôt aura dégarni les épaules Du cavalier que nous voyons. Commencez je vous laisse obscurcir mes rayons. Fait un vacarme de démon, Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau : Le tout au sujet d'un manteau. Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage Ne se pût engouffrer dedans. Cela le préserva. Le Vent perdit son temps; Plus il se tourmentait, plus l'autre tenait ferme : Il eut beau faire agir le collet et les plis. Sitôt qu'il fut au bout du terme Qu'à la gageure on avait mis, Récrée et puis pénètre enfin le cavalier Sous son balandras (3) fait qu'il sue, Le contraint de s'en dépouiller : Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance. Plus fait douceur que violence. (1) Davantage, du mot latin magis. (2) Ch. Nodier critique cette fin de vers: à gage, dit-il, n'est là que pour la rime. M. Géruzez, à son tour, critique avec raison la remarque de Nodier, et il explique très-justement le sens de souffleur à gage; c'est une allusion à la gageure qui vient d'être faite. (3) Balandras ou balandran, espèce de manteau qui était déjà connue au XIIIe siècle. IV. Jupiter et le Métayer (1). Jupiter eut jadis une ferme à donner. Mercure en fit l'annonce, et gens se présentèrent, Ce ne fut pas sans bien tourner; L'un alléguait que l'héritage Était frayant (2) et rude, et l'autre un autre si. Un d'eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage, Le laissât disposer de l'air, Lui donnât saison à sa guise, Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise, Aussitôt qu'il aurait bâillé (3). Jupiter y consent. Contrat passé ("), notre homme Monsieur le receveur fut très-mal partagé. La température des cieux. (1) Faërn., lib. V, fab. x111, Rusticus et Jupiter. — Æsop., 77, 269, Pater el Filia. (2) Occasionnait beaucoup de frais. (3) Ouvert la bouche, et non pas passé bail, comme l'ont pensé plusieurs commentateurs. Les éditions données du vivant de La Fontaine portent en effet baaillé. (4) Ch. Nodier veut que l'on ponctue ainsi ce vers : Jupiter y consent. Contra passé; notre homme Son champ ne s'en trouve pas mieux; Jupiter en usa comme un maître fort doux. Concluons que la Providence Sait ce qu'il nous faut mieux que nous (1). (1) « Hélas! que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au ciel le soin des choses qu'il nous faut ! » MOLIÈRE. Festin de Pierre, acte V, sc. 6. V. Le Cochet, Chat, et le Souriceau (1). Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu, Voici comme il conta l'aventure à sa mère: Qui cherche à se donner carrière, Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude; Sur la tête un morceau de hair, (1) Abstemius, 67, de Mure quæ cum Fele amiciliam contrahere volebat. L'apologue, toujours populaire dans les écrivains du moyen âge, se rencontre quelquefois là où l'on ne s'attendrait guère à le trouver, dans la chaire catholique. Michel Menot, l'un des plus hardis prédicateurs des premières années du XVIe siècle, nous en fournit un exemple, et cet exemple est précisément la fable ci-dessus. Voici le texte de Menot: Cattus erat in horreo, et mus habebat nidum ibi; vidit gallum, timuit, et ponebat se juxta illum bonum hominem, le chat. O, dicit mater, si estis juxta illum quem vocatis le bonhomme et vocatis Mitis, comedet vos alius autem non. D Une sorte de bras dont il s'élève en l'air La queue en panache étalée. Or, c'était un cochet dont notre souriceau Comme d'un animal venu de l'Amérique. Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique, Le maudissant de très-bon cœur. Marqueté, longue queue, une humble contenance Avec messieurs les rats; car il a des oreilles Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat, D'un malin vouloir est porté. Bien éloigné de nous mal faire, Servira quelque jour peut-être à nos repas. Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. Garde-toi, tant que tu vivras, |