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mais il venait de cette Italie merveilleuse, qui avait alors le privilége de fournir par toute l'Europe des amans aux reines et des favoris aux rois ; il était du pays qui devait envoyer Monaldeschi à Christine et Concini à Louis XIII. La lire qu'il portait à la main lui avait ouvert les portes du palais d'Holyrood, et la poésie, cette autre lyre qu'il portait dans la tête, lui ouvrit le cœur de Marie. Elle l'aima, du moins c'est ce que l'on crut. Six mois ne s'étaient pas écoulés depuis leur mariage, que les deux illustres époux en étaient déjà au dégoût, presque à la haine. Ces mêmes familles qui avaient été si fières et si joyeuses de cette union, se demandèrent ce que le Piémontais pouvait être à la reine, depuis que le roi ne lui était plus rien. Elles remarquèrent le domestique nombreux du musicien, et le faste splendide de sa personne, et se dirent avec quelque apparence de raison, que ce n'était pas en jouant du théorbe chez les filles de la reine qu'il avait gagné le magnifique joyau pendu à son cou, les vingt-huit paires de culottes de velours, brodées d'or et d'argent, étalées dans sa garde-robe, les vingt-deux épées, les poignards, les pistolets, les arquebuses à foison, enrichies de ciselures et de pierreries, qui faisaient de sa chambre le musée le plus curieux d'Édimbourg. Qu'était donc David Rizzio à Marie Stuart enceinte, et qu'était-il à Jacques VI, enfant à naître dans trois mois? Nous ne prendrons pas telles licences, que d'avoir par nous-mêmes une opinion en ceci. Henri IV, entendant qu'on donnait à Jacques VI, alors roi d'Angleterre et déjà vieux, le surnom de Salomon, répondit que cela était juste, puisqu'il avait pour père le joueur de harpe David. C'était là l'opinion du Béarnais, et nous l'avons donnée, parce que ce n'est pas trop d'un roi pour juger une reine.

Les familles alliées aux Douglas, qui avaient tant espéré du mariage du lord Darnley, rabattirent donc promptement et singulièrement de leurs espérances. Peut-être auraient-elles pardonné au musicien son joyau et ses épées, ses arquebuseset ses culottes de velours; peut-être même lui auraient-ellles pardonné d'être roi par le luth, autant que le lord Henrî par le sceptre ; mais il voulut l'être davantage, et c'est qui le perdit. En quelques mois, ce fut fait de lui. Il eut pour ennemis impla cables, d'abord le roi, puis George Douglas, comte d'Angus, le lord William Maitland de Tirlestane, sir John Lindsay de

Balcarres, huitième comte de Crawford, et, le plus terrible de tous, sir Patrick, troisième lord de Ruthven, prévôt de Perth et père du lord William, premier comte de Gowrie.

A quelque temps de là, le 9 mars 1566, un samedi, à huit heures du soir, il y avait bon feu et bon souper dans un petit cabinet, au château d'Holyrood, à côté de la chambre de parade de la reine. Trois personnes, deux femmes et un homme, étaient assises autour d'une table servie et illuminée dans le goût du temps. L'une des femmes était assise sur un lit de repos; l'autre un peu plus bas, sur une chaise; l'homme entre elles, sur un tabouret. La première femme était Marie Stuart; la seconde, lady Hélène, fille du lord James Hamilton, premier comte d'Arran, femme d'Archibald Campbell, quatrième comte d'Argyll. L'homme était David Rizzio. Il avait la tête couverte. Derrière la reine se tenaient debout deux pages. Il paraît que l'appétit était frais, la causerie vive. Peut-être parlait-on de l'enfant à naître dans trois mois, et du beau baptême qu'on lui ferait, en lui donnant pour compères sa majesté monseigneur Charles de Valois, neuvième du nom, roi de France, et son altesse monseigneur Emmanuel Philibert, duc couronné de Savoie, oncle de feue sa majesté, monseigneur le roi François II, premier mari de la reine; et pour commère, madame Élisabeth, reine d'Angleterre.

Tout d'un coup, les trois convives cessèrent à la fois de parler, se regardèrent avec inquiétude, et se demandèrent des yeux ce que signifiait un bruit entendu dans la chambre d'à côté, et qui n'était pas dans le programme de la fête. Le bruit approchant, et devenant sinistre par ce qu'il avait de semblable à un cliquetis d'armures, les deux femmes et l'homme se tournèrent à la fois vers la porte, dont la portière en drap d'or se soulevait. Et alors, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, les deux pages portèrent la main à leurs poignards d'enfans, et les trois convives pâlirent, frappés tous cinq de cette soudaine apparition. Or, il convient de dire au lecteur que les quatre ennemis de Rizzio, George Douglas, William Maitland, John Lindsay, Patrick de Ruthven, sans compter le roi, qui n'était ni le moins intéressé, ni le moins implacable, avaient choisi ce lieu, ce jour, cette heure, pour avoir raison de l'Orphée piémontais. Il étaient entrés tous cinq, Henri Darnley en

TOME VII.

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tête, dans la chambre même du roi ; de là, par un escalier dérobé, ils étaient montés dans la chambre de parade de la reine, où s'était fait le bruit. Dans cette chambre, les rôles furent distribués; George Douglas, John Lindsay, William Maitland, attendirent; le lord de Ruthven et le roi entrèrent dans la galante salle du festin, et y causèrent à peu près autant de satisfaction et d'aise que la statue du Commandeur au souper de don Juan.

Il est certain que sir Patrick surtout pouvait passer aisément pour une statue, et du plus fin marbre de Carrare. Il sortait d'une longue maladie qui l'avait maigri et blanchi; il était vêtu de pied en cap de sa meilleure armure, et la pâleur de son visage se détachant du fond noir de la chambre dont la porte lui servait de cadre, il était bien fait pour effrayer des femmes, des pages et un musicien. Ajoutez que sa faiblesse extrême ne lui permettant pas de porter à lui seul la charge d'acier ciselé dont il était revêtu, il marchait le corps plié et les bras pendans, soutenu par deux écuyers de sa maison. Le roi était à côté de lui, jeune, frêle, beau, il n'y a pas encore huit mois l'amant adoré de la capricieuse Marie, montant par le même escalier, entrant par le même cabinet, relevant la même tenture, rencontrant les mêmes regards; mais précédé alors par quelque page, tenant une bougie parfumée à la main, tandis qu'aujourd'hui il venait glacé, terrible, sans être attendu; ayant pour introducteur le lord de Ruthven, qui l'éclairait du reflet de son armure.

Le roi entra le premier, sa toque sur la tête. Il ordonna au musicien d'abord d'ôter son chapeau, et puis de sortir. Le Piémontais, devinant que puisque le roi avait pris la peine de venir lui-même lui intimer ces deux ordres, accompagné du lord de Ruthven, il s'agissait pour lui d'autre chose que d'un simple manquement à l'étiquette, se précipita derrière la reine, s'attacha aux plis de sa robe en criant grace, et s'y cacha. Marie se leva sur son lit de repos, pâle de sa frayeur et de sa grossesse, et dit au roi que c'était sa volonté que David fût auprès d'elle. Le lord de Ruthven, intervenant, s'écria que c'était une grande pitié qu'un roi et une reine, qui étaient mari et femme, se dissent de pareilles choses; et puis, comme il avait l'habitude de se conduire d'après la devise expéditive des lords de

Fairfax, parle et agis, fare, fac, il passa tout en parlant derrière la reine, fit rentrer d'un regard dans leurs gaînes dorées les poignards des deux pages qui faisaient mine d'en sortir, prit avec son lourd gantelet la main blanche du Piémontais, et l'entraîna hors du cabinet, tandis que le roi tenait la reine.

Les trois lords qui attendaient dans la chambre de parade, reçurent le pauvre David des mains de sir Patrick. Ils l'emmenaient par où ils étaient venus, et allaient lui faire descendre l'escalier dérobé, pensant le garder cette nuit, et le faire pendre le lendemain matin, sous quelque prétexte, à la croix d'Édimbourg, lorsque, selon la relation adressée aux lords du conseil privé d'Angleterre, le 27 mars, dix-huit jours après le fait, par sir Thomas Randolph et sir Francis Russel, lord de Cheneys, deuxième comte de Bedford, quelqu'un de ceux qui étaient là, et qui lui en voulait, lui ayant donné un coup de poignard, l'exemple entraîna les autres, et l'infortuné musicien en reçut en tout cinquante-six, quarante-trois de plus qu'il n'en avait fallu pour tuer César. Son corps sanglant obstruant l'entrée de l'escalier dérobé, les lords le firent descendre. Il mourut comme il avait vécu, parfumé d'odeurs suaves et revêtu d'habits éclatans. Il avait une robe de chambre de damas violet, fourrée de martre, une veste de satin et une culotte de velours écarlate. A mort galant, galant suaire.

Une fois l'Italien dépêché, le lord de Ruthven rentra dans le cabinet de la reine, toujours plié sous le faix de son armure et toujours soutenu par ses deux écuyers. Dès qu'il parut, Marie, qui n'avait pas entendu dans ses propres plaintes les plaintes de la victime, et qui ne savait pas ce qui venait de se passer dans sa chambre de parade, mais qui voyait un poignard nu dans la main du sir Patrick, lui demanda, moitié pleurante, moitié menaçante, qu'il ne fût fait aucun mal à David. En même temps, elle se mit à reprocher au lord Henri de s'être ainsi prêté à un complot. A ces paroles, commencèrent entre la reine et le roi des récriminations peu décentes, même pour des époux qui n'auraient pas été sur le trône. Le lord de Ruthven étant intervenu de nouveau, Marie lui coupa la parole, ajoutant qu'elle ne voyait pas pourquoi, elle, la reine, n'aurait pas pu quitter le roi pour un autre, puisque aussi bien lady Ruthven, sa femme, avait pu quitter son premier mari pour lui, lord Patrick. Le

vieux guerrier, dont la harangue se trouvait gravement compromise par cette sortie ad hominem, répondit que, lorsque lady Ruthven quittait un homme, elle divorçait. Il continua par d'autres considérations aussi plausibles et non moins respectueuses; mais, comme si l'éloquence avait plus fatigué sa poitrine que le poignard n'avait fatigué sa main, il chancela malgré le soutien des deux écuyers, et s'assit sur le lit de repos, près de se trouver mal. On lui versa un peu de vin d'un flacon qui était sur la table, et peut-être même dans la coupe du pauvre David, et, quand il fut revenu à lui-même, il demanda pardon à leurs majestés d'en avoir usé si librement.

La suite des événemens qui seront déduits en cette histoire montrera qu'il y avait comme un avertissement de mauvais augure dans cet affaissement soudain du vieux Patrick. Il venait de commencer avec la mère une lutte qui sera reprise avec le fils; lutte d'abord sans but apparent, sans motif plausible, sans issue raisonnable; qui s'éclaircira pourtant et s'expliquera peut-être en marchant, et qui se terminera, comme se terminaient au XVIe siècle toutes les batailles de noble roi, par la chute et la ruine du noble.

En effet, à peu de temps de là, Marie Stuart se trouva la partie la plus forte. Trois mois et dix jours après la mort de Rizzio, le 19 juin, l'enfant qui s'appela Jacques VI vint au monde. Le roi n'eut pas assez de crédit pour protéger les quatre lords meurtriers de David: ils étaient en fuite et réfugiés en Angleterre. La venue de cet enfant n'éteignit ni la jalousie du roi, ni l'animosité de la reine. L'ambassadeur de France, M. de Castelnau, tenta de réunir les époux après les relevailles de l'accouchée: mais ses efforts n'y purent rien. Il les avait mis deux nuits de suite sous la même clef: ils s'échappèrent à la troisième.

On dirait que les destinées de cet enfant, auquel nous allons nous attacher, avaient été fixées avant sa naissance; la noblesse qui s'était en quelque sorte soulevée contre lui, dans la personne des gentilshommes qui avaient envahi si violemment le cabinet de la reine, protesta de nouveau à sa naissance et protestera jusqu'à sa mort. Il y a dans toutes les chroniques écossaises une tradition qui rapporte que, même dans sa vieillesse, Jacques VI ne pouvait pas voir sans pâlir la lame nue d'un

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