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yais proposer dans la ftructure de nos vers. Il ne s'agit encore ici que de la profe poétique.

La profe ne doit pas être un mê lange de vers; mais les mouvemens qu'on emploie dans les vers, peuvent tous paffer dans la profe. Sa liberté la rend même fufceptible d'une har monie plus variée, & par conféquent plus expreffive que celle des vers dont la mefure limite les nombres. Il eft vrai que la gêne de notre fyntaxe eft effrayante pour qui ne connoît point encore les foupleffes & les reffources de la langue : l'inverfion qui donnoit aux Anciens l'heureufe liberté de placer les mots dans l'ordre le plus harmonieux, nous eft prefque abfolument interdite ; mais cette difficulté même n'a fait qu'exciter l'émulation du génie, & les Auteurs qui ont eu de l'oreille, n'ont pas laiffé de fe ménager au befoin, des nombres analogues au fentiment ou à l'image qu'ils vouloient rendre.

Il feroit peut-être impoffible de rendre l'harmonie continue dans notre profe; & les bons Ecrivains ne fe font attachés à peindre la penfée, que dans les mots dont l'efprit & l'oreille

devoient être vivement frappés. C'est auffi à quoi fe bornoit l'ambition des Anciens; & l'on va voir quel effet produit dans le ftyle oratoire & poétique, des nombres placés à propos.

Fléchier dans l'Oraifon funébre de M. de Turenne, termine ainfi la premiere période :,, Pour louer la vie &

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» pour déplorer la mort du sage et vaillant Macchabee. S'il eût dit, » du vaillant & fage Macchabée ; » s'il eut dit, » pour louer la vie du fage & vaillant Macchabée, & pour déplo,, rer fa mort. » La période n'avoit plus cette majefté fombre qui en fait le caractere la caufe phyfique en eft dans la fucceffion de l'iambe, de l'anapefte & du dichorée, qui n'eft plus la même dès que les mots font tranfpofés. On doit fentir en effet que de ces nombres les deux premiers fe fou. tiennent, & que les deux derniers en s'écoulant, femblent laiffer tomber la période avec la négligence & l'abandon de la douleur. » Cet homme (ajoûtte l'Orateur) cet homme que Dieu avoit mis autour d'Ifraël comme un , mur d'airain où fe briferent tant de fois toutes les forces de l'Afie......

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venoit tous les ans comme les moindres Ifraélites, réparer avec fes mains triomphantes, les ruines du ,, fanctuaire. Il eft aifé de voir avec quel foin l'analogie des nombres, relativement aux images, eft obfervée dans tous ces repos: pour fonder un mur d'airain, il a choifi le grave fpondée; & pour réparer les ruines du temple, quels nombres majeftueux il a pris! Si vous voulez en mieux fentir l'effet, fubftituez à ces mots des fynonymes qui n'aient pas les mêmes quantités; fuppofez victo rieufes à la place de triomphantes; temple, au-lieu de fanctuaire. " Il venoit »tous les ans, comme les moindres » Hraélites, réparer avec fes mains victorieufes les ruines du tem

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ple»; Vous ne retrouvez plus cette harmonie qui vous a charmé. » Ce vaillant homme repouffant enfin avec un courage invincible, les ennemis qu'il avoit réduits à une fuite honteufe, reçoit le coup mortel, & demeure cenfevéli dams fon triomphe. » Que ce foit par fentiment ou par choix que l'Orateur a peint cette mort imprévtie par deux iambes & un fpondée, & qu'il a.op

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pofé la rapidité de cette chutte, comme enseveli, à la lenteur de cette image, dans son triomphe, ou deux nazales fourdes retentiffent lugubrement; il n'eft pas poffible d'y méconnoître l'analogie des nombres avec les idées. Elle n'eft pas moins fenfible dans la peinture fuivante : » Au premier bruit de ce funefte accident toutes les villes de Judée furent émûes, des ruiffeaux de larmes.coulerent des "yeux de tous leurs habitans; ils fu,, rent quelque-tems faifis, muets ,,immobiles: un effort de douleur rompant enfin ce long & morne filence, d'une voix entrecoupée de ,, fanglots, que formoient dans leurs coeurs la trifteffe, la piété, la crainte, ils s'écrierent: Comment eft ,, mort cet homme puiffant qui fauvoit le peuple d'Ifrael? A ces cris Jérufalem redoubla fes pleurs; les voutes du temple s'ébranlerent, le Jourdain fe troubla, & tous fes rivages retentirent du fon de ces lugubres paroles: Comment eft mort ,, cet homme puiffant ? &c.,, Avec quel foin l'Orateur a coupé, comme par des foupirs, ces mots faifis, muets, immobiles! Comme les deux dactiles.

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renverfés expriment bien l'impétuofité de la douleur, & les deux fpondées qui les fuivent l'effort qu'elle fait pour éclater! Comme la lenteur & la refonnance des fons rendent bien l'image de ce long & morne filence! Comme le dipirriche & le dactile fuivis d'un fpondée, peignent vivement les pleurs de Jérufalem! Comme le mouvement renverfé de l'iambe & du chorée dans s'ébranlerent, eft analogue à l'action qu'il exprime! Combien plus frappante encore eft l'harmonie imitative dans ces mots,,, le Jourdain fe troubla, & fes rivages retentirent du fon de ces ,, lugubres paroles,, !

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• Boffuet n'a pas donné une attention auffi férieufe au choix des nombres: fon harmonie eft plutôt dans la coupe des périodes, brifées ou fufpendues à propos, que dans la lenteur ou la rapidité des fyllabes; mais ce qu'il n'a prefque jamais négligé dans les peintures majestueufes, c'eft de donner des appuis à la voix fur des fyllabes fonores & für des nombres impofans.

,, Celui qui régne dans les cieux, ,,& de qui relevent tous les Empi,, res, à qui feul appartient la gloire, la majefté, l'indépendance, &c.

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