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Laiffe aux pleurs d'une époufe attendrir fa victoire, Et par les malheureux quelquefois defarmé, Sçait imiter en tout les Dieux qui l'ont formé..

Titus avoue les égaremens de fa jeuneffe..

Ma jeuneffe nourrie à la Cour de Néron S'égaroit, cher Paulin,. par l'exemple abufée, Et fuivoit du plaifir la pente trop aifée...

Qu'a-t-il fait pour mériter l'eftime de Béré nice?

J'entrepris le bonheur de mille malheureux;
On vit de toutes parts mes bontés fe répandre:
Heureux, & plus heureux que tu ne peux compren-
dre,

Quand je pouvois paroître à fes yeux fatisfaits,
Chargé de mille cœurs conquis par mes bienfaits.

C'eft en faifant fentir à Néron le bonheur de la vertu que Burrhus tâche de l'ébranler.

Ah! de vos premiers ans l'heureuse expérience Vous fait-elle, Seigneur, haïr votre innocence?.

Ces trois ans de vertus font plus d'impreffion fur Néron même, que toutes les remontrances; & il répond à Narciffe qui lui demande ce qui peut l'arrêter:

Tout: Octavie, Agrippine, Burrhus, Senéque, Rome entiere, & trois ans de vertus..

Je ferois connoître par beaucoup d'autres endroits le cœur du Poëte; mais de crainte que ce morceau, qui me paroît court, ne paroiffe trop long à d'autres, je le finis en rapportant de quelle H 7

mag

maniere Acomat veut diffiper un fcrupule de Ba

jazet.

Le fang des Ottomans

Ne doit point en efclave obéir aux fermens:
Confultez ces héros que le droit de la Guerre
Mena victorieux jufqu'au bout de la Terre.
Libres dans leur victoire, & maîtres de leur foi,.
L'intérêt de l'Etat fut leur unique loi;

Et d'un trône fi faint la moitié n'eft fondée
Que fur la foi promife, & rarement gardée.
Je m'emporte, Seigneur..

Plus d'un Politique débiteroit peut-être de pareilles maximes à fon Maître dans de pareilles circonftances. Cependant ces deux mots, je m'emporte, font juger de ce qu'en pense l'Auteur, quoiqu'il les mette dans la bouche d'un GrandVifir.

Je répéte donc que tout Poëte, fans y penfer, laiffe échapper des traits qui font connoître fon caractere; qu'il fe peint toujours dans fes Ouvrages; & que comme ce portrait de fon âme le fera toujours mieux connoître que les traits de fon vifage, confervés dans le tableau le plus reffemblant, tout Poëte en comparant fon propre Ouvrage avec celui du Peintre qui a fait fon portrait, peut dire comme Martial: Certior in noftre carmine vultus erit.

CHA

CHAPITRE VI.

DU VRAI DANS LA POESIE.

EN examinant la nature de la Poëfie, j'ai fait voir jufqu'ici les diverfités qui fe trouvent dans les loix de la Verfification, dans l'ufage des figures, & dans l'imitation des mœurs; diverfités qui ont pour caufe, les unes la différence des langues, les autres la différence des tems & des nations: mais comme dans tous les tems & dans toutes les nations, la Poëfie a eu un agréable empire fur les hommes, je vais chercher fi, indépendamment du génie des langues, du goût des nations, & des modes paffageres, elle ne doit pas cet empire à une beauté certaine & invariable.

M. Pascal femble avoir cru qu'elle n'en avoit aucune qui fût certaine, fi l'on juge de fon fentiment par l'une de fes penfées, où l'on eft étonné de lire: Qu'on ne dit point beauté géométrique, mais qu'on dit beauté poetique, parce qu'on fçait bien quel eft l'objet de la Géométrie, mais qu'on ne fait pas en quoi confifte l'agrément qui est l'objet de la Poëfie.On ne fçait, ajoûte M. Pafcal, quel est ce modèle qu'il faut imiter. Faute de le connoltre, on a inventé cer tains termes bifarres, fiécle d'or, bel aftre, & on a appellé ce jargon beauté poëtique.

Il y a apparence que ce jargon méprisable, qui étoit encore fort commun du tems de M. Pafcal, lui avoit infpiré un mépris général pour toute Poëfie; & ce mépris, quoiqu'injufte, & conçu faute d'examen, ne deshonoreroit pas un fi grand

gé.

génie, toujours plongé dans des études plus férieufes. On peut cependant mieux expliquer cet te penfée, qui n'eft pas affez dévéloppée, & à laquelle, comme à plufieurs autres, l'Auteur n'a pas donné tout le jour qu'elle devoit avoir.

L'objet de la Géométrie eft de convaincre; celui de la Poëfie eft de plaîre; & l'on n'appelle beauté que ce qui plaît. On ne dit point d'une propofition géométrique, Voilà qui eft beau, on dit, Voilà qui eft vrai; & ce jugement eft prononcé par notre raifon fur des principes certains. Dans les chofes d'agrément nous difons: Voilà qui est beau, c'eft-à dire, Voilà qui nous platt, & ce jugement eft prononcé par l'imagination fans examen; ou plutôt nous ne jugeons point, parce que nous n'examinons point fi cette chofe a le droit infaillible de nous plaîre. Nous affurons feulement que dans le moment même elle nous plaît, ce qui ne prouve pas qu'elle doive nous plaire également dans la fuite, parce que la raifon que le tems & la réflexion appellent, réforme fouvent les jugemens précipités de notre imagination.

L'Architecture Gothique qui nous parut belle autrefois, ne nous le paroît plus depuis que le tems nous a fait connoître celle qui prend la nature pour modéle: nous vantons encore la hardieffe de l'Architecture Gothique, elle nous étonne; mais comme elle ne nous plaît plus, nous ne difons plus qu'elle est belle, nous difons feulement qu'elle eft hardie. Ce modèle qu'il faut imiter, fuivant les termes de M. Pascal eft le même pour la Poëfie; & depuis que nous le fçavons, nous n'appellons plus beauté, comme autrefois, un ridicule amas de métaphores outrées. Cepen. dant il nous arrive encore de nous tromper, par. ce que l'imagination promte à adınirer ce qui la flatte,prend quelquefois une beauté fardée pour

une

une beauté véritable; mais c'est alors l'objet qui nous trompe. Nous l'appellons beau, parce que faute d'examen nous le croyons conforme au modéle qu'il doit avoir; & quand nous avons reconnu qu'il n'y eft pas conforme, nous ceffons de l'appeller beau, parce que nous fommes perfuadés que la beauté poëtique confifte dans le vrai de l'imitation.

On diftingue dans l'imitation deux fortes de Vrai, le fimple & l'idéal. Le premier représente la nature telle qu'elle eft; le fecond l'embellit, non en lui prêtant une parure étrangere, mais en raffemblant dans le même point de vue fur le même objet plufieurs beautés qu'elle a difperfées fur des objets différens. C'est dans la réünion de ces deux Vrais, c'eft-à dire, dans le Vrai compofé, que confifte la perfection de la Poëfie & de la Peinture.

Mais il eft très-important d'obferver, que quoique ces deux Arts qui paroiffent fi femblables, ayent le même point de perfection, ils n'ont pas tous deux la même obligation d'y atteindre. En effet plufieurs Peintres, comme le Titien, le Baffan, &c. font fameux, quoiqu'ils n'ayent posfédé que le premier Vrai, au lieu qu'on ne peut nommer aucun Poëte fameux qui n'ait eu que le même mérite. Il eft aifé d'en dire la raison.

La Peinture imitant avec les couleurs, & ne parlant qu'aux yeux, peut fe contenter de repréfenter les objets tels qu'ils font: la Poëfie qui imite dans un langage divin; & parle toujours & l'efprit, doit enchanter par fon merveilleux. Ainfi le Vrai compofé lui est toujours néceffaire. Si fon merveilleux n'étoit pas vrai, elle ne feroit plus une imitation; & fi fon Vrai n'étoit pas merveilleux, elle ne feroit plus un langage divin. En fuivant cette divifion, je ferai voir que fon imitation confifte néceffairement dans la réunion

da

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