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mental, nous nous sommes efforcés de le réduire en quatre-vingts articles. Le mérite d'une constitution doit être dans une combinaison forte, qui, créant une réalité à des idées philosophiques, maintienne tous les élémen: du corps social à leur place; mais son mérite extérieur ne peut consister que dans la brièveté qui convient à des républicains: plus un peuple est immense ou agité, plus il importe de n'offrir à son assentiment que les axiomes de la raison, ou au moins que les premières conséquences de ces axiomes, irrésistibles et pures comme la lumière dont elles émanent; plus il est pressant que ce peuple se démontre à luimême qu'il possède des lois, qu'on voulait son bonheur, afin que le fantôme de l'anarchie s'évanouisse devant un système ordonné, et que les esprits faibles, réconciliés avec la cause populaire, ne soient pas plus longtemps les instrumens aveugles des esprits malveillans.

› La puissance des législateurs est tout entière dans leur génie ; leur génie n'est grand que lorsqu'il force la sanction, et qu'il recule les conventions nationales.

› Nous vous devons l'explication des motifs qui nous ont dirigés dans plusieurs points capitaux.

› Nous avons fait d'abord l'attention la plus sérieuse au principe de la représentation. On sait qu'elle ne peut être fondée que sur la population, surtout dans une république aussi peuplée que la nôtre; cette question ne peut plus être douteuse aujourd'hui que dans l'esprit des riches, accoutumés à calculer autrement que les autres hommes. Il s'ensuit que la représentation doit être prise immédiatement dans le peuple; autrement on ne le représente pas la monarchie s'isole et se retire sur des sommets, d'où elle distribue le pouvoir : le peuple au contraire reste sur la base, où il se distribue lui-même et s'unit. Pour parvenir à cette volonté générale, qui dans la rigueur du principe ne se divise pas, qui forme une représentation et non pas des représentans, nous aurions voulu qu'il eût été possible de ne faire qu'un seul scrutin sur tout le peuple: dans l'impossibilité physique d'y réussir, après avoir épuisé toutes les combinaisons et

tous les modes quelconques, on sera forcé d'en revenir comme nous au moyen le plus naturel et le plus simple, à celui que nous avons consigné dans notre projet. Il consiste à faire nommer sur un seul scrutin de liste un député par chaque réunion de cantons formant une population de cinquante mille ames. Il ne peut pas y avoir une autre manière; on approche par là aussi près qu'il est possible de la volonté générale recueillie individuellement ; et il devient vrai de dire que les représentans sortent du recensement de cette volonté par ordre des majorités. Toute autre tentative dans ce genre serait infructueuse et erronée : si vous usez, comme on a fait jusqu'à présent, du mode des assemblées électorales, vous anéantissez le principe démocratique de la représentation; vous n'acquérez pas même une ombre de majorité; vous renversez la souveraineté. Si vous croyez épurer les scrutins par des listes doubles ou triples, ou par des balottages, vous vous trompez: borné à un scrutin définitif, le peuple (ût été intéressé à faire les meilleurs choix : vous abusez de sa raison et de son temps par des complications superflues; vous le fatiguez par les formes de la démocratie, au lieu de lui faire aimer la liberté.

› La méthode que nous indiquons renferme le plus précieux des avantages: elle brise toutes les séparations de territoire en fondant et en rendant plus compacte que jamais l'ensemble départemental; en sorte que la patrie n'aurait plus pour ainsi dire qu'un seul et même mouvement.

› Qu'on ne nous reproche pas d'un autre côté d'avoir conservé des assemblées électorales après avoir rendu un hommage si entier à la souveraineté du peuple et à son droit d'élection. Nous avons cru essentiel d'établir une forte différence entre la représentation, d'où dépendent les lois et les décrets, en un mot la destinée de la République, et la nomination de ce grand nombre de fonctionnaires pub'ics à qui d'une part il est indispensable de faire sentir leur dépendance dans leur origine et dans leurs fonctions, tandis que de l'autre le peuple lui-même doit reconnaître que la plupart du temps il n'est pas en état de les choisir, soit

parce que dans les cantons on ne connaît pas un assez grand nombre d'individus capables, soit parce que leurs fonctions ne sont pas d'un genre simple et unique, soit enfin parce que le recensement de leurs scrutins consumerait trop de peines et de délais. Voilà quelle a été notre intention en laissant aux assemblées électorales le choix de toutes les fonctions qui ne seraient pas celles des représentans ou du grand jury national.

› C'est ici le moment de vous entretenir de ce jury national, de cette grande institution dont la majesté du souverain a besoin, et qui sans doute désormais sera placée à côté de la représentation elle-même. Qui de nous en effet n'a pas été souvent frappé d'une des plus coupables réticences de cette constitution dont nous allons enfin nous affranchir? Les fonctionnaires publics sont responsables, et les premiers mandataires du peuple ne le sont pas encore! comme si un représentant pouvait être distingué autrement que par ses devoirs et par une dette plus rigoureuse envers la patrie! Nulle réclamation, rul jugement ne peuvent l'atteindre; on eût rougi de dire qu'il serait impuni; on l'a appelé inviolable. Ainsi les anciens consacraient un empereur pour le légitimer! La plus profonde des injustices, la plus écrasante des tyrannies nous a saisis d'effroi. Nous en avons cherché le remède dans la formation d'un grand jury destiné à venger le citoyen opprimé dans sa personne des vexations, s'il pouvait en survenir, du corps législatif et du conseil, tribunal imposant et consolateur, créé par le peuple à la même heure et dans les mêmes formes qu'il crée ses représentans; auguste asile de la liberté, où nulle vexation ne serait pardonnée, et où le mandataire coupable n'échapperait pas plus à la justice qu'à l'opinion. Mais ce ne serait pas encore assez d'établir ce jury, de lui donner une existence parallèle à la vôtre; il nous a paru grand et moral de vous inviter à déposer dans le lieu de vos séances l'urne qui contiendra les noms réparateurs de l'outrage, afin que chacun de nous craigne sans cesse de les voir sortir. Comparons la différence des siècles et des institutions même républicaines : jadis le triomphateur sur son char se faisait ressouvenir de l'humanité par un

esclave: à des hommes libres, à des législateurs français l'urne du juré national exposera tous leurs devoirs.

> Nous pensons avoir rétabli sur la représentation nationale une grande vérité, connue sans doute, mais qui désormais ne restera probablement plus sans effet; c'est que la constitution française ne peut pas être exclusivement appelée représentative, parce qu'elle n'est pas moins démocratique que représentative. En effet, la loi n'est point le décret, comme il est facile de le démontrer; dès lors le député sera revêtu d'un double caractère: mandataire dans les lois qu'il devra proposer à la sanction du peuple, il ne sera représentant que dans les décrets; d'où il résulte évidemment que le gouvernement français n'est représentatif que dans toutes les choses que le peuple ne peut pas faire lui-même.

» On nous dira peut-être : pourquoi consulter le peuple sur toutes les lois? Ne suffit-il pas de lui déférer les lois constitutionnelles, et d'attendre ses réclamations sur les autres ?... Nous répondrions: c'est une offense au peuple que de détailler les divers actes de sa souveraineté. Nous répondrions encore: avec les formes et les conditions dont ce qui s'appelle proprement loi sera entouré, ne croyez pas que les mandataires fassent un si grand nombre de lois dans une année. On se guérira peu à peu de cette manie de législation qui écrase la législation au lieu de la relever ; et dans tous les cas il vaut mieux attendre et se passer même d'une bonne loi, que de se voir exposé à la multiplicité des mauvaises.

» Il faut maintenant vous parler de l'établissement du conseil exécutif. Conséquemment à notre opinion de ne faire nommer directement et immédiatement par le peuple que ses députés et le jury national, et non pas les agens de ses volontés, nous n'avons point voulu que le conseil reçût sa mission au premier degré de la base populaire. Il nous a paru que l'assemblée électorale de chaque département devait nommer un candidat pour former le conseil, et que les ministres de l'exécution, nommés agens en chef, devaient être choisis hors du conseil : car ce n'est

point à eux à en faire partie; le conseil est un corps intermédiaire entre la représentation et les ministres pour la garantie du peuple; cette garantie n'existe plus si les ministres et le conseil ne sont séparés.

› On ne représente point le peuple dans l'exécution de sa volonté le conseil ne porte donc aucun caractère de représentation. S'il était élu par la volonté générale son autorité deviendrait dangereuse, pouvant être érigée en représentation par une de ces méprises si faciles en politique, nous en avons conclu qu'il devait être élu par les assemblées électorales, sauf ensuite à faire diminuer par un autre mode l'existence d'un trop grand nombre de membres; d'où il suit que la dignité n'étant plus que dans l'établissement, et non pas dans les hommes, qui se mettent toujours à la place des établissemens, le conseil, ainsi subordonné, et désormais gardien sans péril des lois fondamentales, concourt à l'unité de la République par la concentration du gouvernement, tandis que cette même unité ne peut être garantie à son tour que par l'exercice de la volonté générale et par l'unité de la représentation. Heureux si de cette manière très-simple nous sommes parvenus à résoudre le problème de J.-J. Rousseau dans le Conrat social, lorsqu'il proposait de trouver un gouvernement qui se resserrât à mesure que l'état s'agrandit, et dont le tout subalterne fût tellement ordonné qu'en affermissant sa constitution il n'alterât point la constitution générale.

› Pouvions-nous ne pas conserver les municipalités, quelque nombreuses qu'elles soient? Ce serait une ingratitude envers la révolution, et un crime contre la liberté; que dis-je! ce serait vraiment anéantir le gouvernement populaire : quel malheur pour les citoyens si dans quelques-unes de leurs communes (et pour peu qu'on réduise, la réduction ne peut pas aller à moins de quatorze mille), ils étaient privés de la consolation de s'administrer fraternellement ! L'espèce humaine est un composé de familles dispersées çà et là, et plus ou moins nombreuses, mais qui toutes ont les mêmes droits à la police et au bonheur : l'écharpe qui couvre des lambeaux est tout aussi auguste que l'écharpe des

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