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maine, auquel sens il est manifeste que la nature de Dieu, de la façon que je l'ai décrite, est possible, parce que je n'ai rien supposé en elle, sinon ce que nous concevons clairement et distinctement lui devoir appartenir, et ainsi je n'ai rien supposé qui répugne à la pensée ou au concept humain; ou bien vous vons feignez quelque autre possibilité, de la part de l'objet même, laquelle, si elle ne convient avec la precédente, ne peut jamais être connue par l'entendement humain, et partaut elle n'a pas plus de force pour nous obliger à nier la nature de Dieu ou son existence que pour détruire toutes les autres choses qui tombent sous la connaissance des hommes; car, par la même raison que l'on nie que la nature de Dieu est possible, encore qu'il ne se rencontre aucune impossibilité de la part du concept ou de la pensée, mais qu'au contraire toutes les choses qui sont contenues dans ce concept de la nature divine soient tellement connexes entre elles qu'il nous semble y avoir de la contradiction à dire qu'il y en ait quelqu'une qui n'appartienne pas à la nature de Dieu, on pourra aussi nier qu'il soit possible que les trois angles d'un triangle soient égaux à deux droits, ou que celui qui pense actuellement existe; et à bien plus forte raison pourra-t-on nier qu'il y ait rien de vrai de toutes les choses que nous apercevons par les sens; et ainsi toute la connaissance humaine sera renversée sans aucune raison ni fondement.

Et pour ce qui est de cet argument, que vous comparez avec le mien, à savoir: « S'il n'implique point que Dieu existe, il « est certain qu'il existe; mais il n'implique point: donc » etc., matériellement parlant il est vrai, mais formellement, c'est un sophisme; car dans la majeure ce mot il implique regarde le concept de la cause par laquelle Dieu peut être, et dans la mineure il regarde le seul concept de l'existence et de la nature de Dieu, comme il paraît de ce que si on nie la majeure il la faudra prouver ainsi : Si Dieu n'existe point encore, il implique qu'il existe, parce qu'on ne saurait assigner de cause suffisante pour le produire; mais il n'implique point qu'il existe, comme il a été accordé dans la mineure; donc, etc. Et si on nie la mineure, il la faudra prouver ainsi : Cette chose n'implique point, dans le concept formel de laquelle il n'y a rien qui enferme contradiction; mais dans le concept formel de l'existence ou de la nature divine, il n'y a rien qui enferme contradiction; donc, etc. Et ainsi ce mot

il implique est pris en deux divers sens. Car il se peut faire qu'on ne concevra rien dans la chose même qui empêche qu'elle ne puisse exister, et que cependant on concevra quelque chose de la part de sa cause qui empêche qu'elle ne soit produite. Or, encore que nous ne concevions Dieu que très-imparfaitement, cela n'empêche pas qu'il ne soit certain que sa nature est possible, ou qu'elle n'implique point; ni aussi que nous ne puissions assurer avec vérité que nous l'avons assez soigneusement examinée et assez clairement connue, à savoir, autant qu'il suffit pour connaître qu'elle est possible, et aussi que l'existence nécessaire lui appartient. Car toute impossibilité, ou, s'il m'est permis de me servirici du mot de l'école, toute implicance consiste seulement en notre concept ou pensée, qui ne peut conjoindre les idées qui se contrarient les unes les autres; et elle ne peut consister en aucune chose qui soit hors de l'entendement, parce que de cela même qu'une chose est hors de l'entendement il est manifeste qu'elle n'implique point, mais qu'elle est possible. Or l'impossibilité que nous trouvons en nos pensées ne vient que de ce qu'elles sont obscures et confuses, et il n'y en peut avoir aucune dans celles qui sont claires et distinctes; et partant, afin que nous puissions assurer que nous connaissons assez la nature de Dieu pour savoir qu'il n'y a point de répugnance qu'elle existe, il suffit que nous entendions clairement et distinctement toutes les choses que nous apercevons être en elle, quoique ces choses ne soient qu'en petit nombre au regard de celles que nous n'apercevons pas, bien qu'elles soient aussi en elle, et qu'avec cela nous remarquions que l'existence nécessaire est l'une des choses que nous apercevons ainsi être en Dieu.

En septième lieu, j'ai déjà donné la raison, dans l'abrégé de mes Méditations, pourquoi je n'ai rien dit ici touchant l'immortalité de l'àmé; j'ai aussi fait voir ci-devant comme quoi j'ai suffisamment prouvé la distinction qui est entre l'esprit et toute sorte de corps.

Quant à ce que vous ajoutez, que « de la distinction de l'âme « d'avec le corps il ne s'ensuit pas qu'elle soit immortelle, « parce que nonobstant cela on peut dire que Dieu l'a faite « d'une telle nature que sa durée finît avec celle de la vie du a corps,» je confesse que je n'ai rien à y répondre; car je n'ai pas tant de présomption que d'entreprendre de déterminer par

la force du raisonnement humain une chose qui ne dépend que de la pure volonté de Dieu.

La connaissance naturelle nous apprend que l'esprit est différent du corps, et qu'il est une substance; et aussi que le corps bumain, en tant qu'il diffère des autres corps, est seulement composé d'une certaine configuration de membres, et autres semblables accidents; et enfin que la mort du corps dépend seulement de quelque division ou changement de figure. Or, nous n'avons aucun argument ni aucun exemple qui nous persuade que la mort ou l'anéantissement d'une substance telle que l'esprit doive suivre d'une cause si légère comme est un changement de figure, qui n'est autre chose qu'un mode, et encore un mode non de l'esprit, mais du corps, qui est réellement distinct de l'esprit. Et même nous n'avons aucun argument ni exemple qui nous puisse persuader qu'il y a des substances qui sont sujettes à être anéanties. Ce qui suffit pour conclure que l'esprit ou l'âme de l'homme, autant que cela peut être connu par la philosophie naturelle, est immortelle.

Mais si on demande si Dieu, par son absolue puissance, n'a point peut-être déterminé que les âmes des hommes cessent d'être au même temps que les corps auxquels elles sont unies sont détruits, c'est à Dieu seul d'en répondre. Et puisqu'il nous a maintenant révélé que cela n'arrivera point, il ne nous doit plus rester touchant cela aucun doute.

Au reste, j'ai beaucoup à vous remercier de ce que vous avez daigné si officieusement et avec tant de franchise m'avertir, non-seulement des choses qui vous ont semblé dignes d'explication, mais aussi des difficultés qui pouvaient m'être faites par les athées, ou par quelques envieux et médisants. Car encore que je ne voie rien entre les choses que vous m'avez proposées que je n'eusse auparavant rejeté ou expliqué dans mes Méditations (comme, par exemple, ce que vous avez allégué des mouches qui sont produites par le soleil, des Canadiens, des Ninivites, des Turcs, et autres choses semblables, ne peut venir en l'esprit de ceux qui, suivant l'ordre de ces Méditations, mettront à part pour quelque temps toutes les choses qu'ils ont apprises des sens, pour prendre garde à ce que dicte la plus pure et la plus saine raison, c'est pourquoi je pensais avoir déjà rejeté toutes ces choses), encore, dis-je, que cela soit, je juge néanmoins que ces objections seront fort utiles à

mon dessein, d'autant que je ne me promets pas d'avoir beaucoup de lecteurs qui veuillent apporter tant d'attention aux choses que j'ai écrites, qu'étant parvenus à la fin ils se ressouviennent de tout ce qu'ils auront lu auparavant; et ceux qui ne le feront pas tomberont aisément en des difficultés auxquelles ils verront par après que j'aurai satisfait par cette réponse, ou du moins ils prendront de là occasion d'examiner plus soigneusement la vérité.

Pour ce qui regarde le conseil que vous me donnez de disposer mes raisons selon la méthode des géomètres, afin que tout d'un coup les lecteurs les puissent comprendre, je vous dirai ici en quelle façon j'ai déjà tâché ci-devant de la suivre, et comment j'y tâcherai encore ci-après.

Dans la façon d'écrire des géomètres je distingue deux choscs, à savoir, l'ordre et la manière de démontrer.

L'ordre consiste en cela seulement que les choses qui sont proposées les premières doivent être connues sans l'aide des suivantes, et que les suivantes doivent après être disposées de telle façon qu'elles soient démontrées par les seules choses qui les précèdent. Et certainement j'ai tâché autant que j'ai pu de suivre cet ordre en mes Méditations. Et c'est ce qui a fait que je n'ai pas traité dans la seconde de la distinction qui est entre l'esprit et le corps, mais seulement dans la sixième; et que j'ai omis tout exprès beaucoup de choses dans tout ce traité, parce qu'elles présupposaient l'explication de plusieurs autres.

La manière de démontrer est double: l'une se fait par l'a nalyse ou résolution, et l'autre par la synthèse ou composition. L'analyse montre la vraie voie par laquelle une chose a été méthodiquement inventée, et fait voir comment les effets dépendent des causes; en sorte que si le lecteur la veut suivre et jeter les yeux soigneusement sur tout ce qu'elle contient, il n'entendra pas moins parfaitement lachose ainsi démontrée, et ne la rendra pas moins sienne que si lui-même l'avait inventée. Mais cette sorte de démonstration n'est pas propre à convaincre les lecteurs opiniâtres ou peu attentifs; car si on laisse échapper sans y prendre garde la moindre des choses qu'elle propose, la nécessité de ses conclusions ne paraîtra point; et on n'a pas coutume d'y exprimer fort amplement les choses qui sont assez claires d'elles-mêmes, bien que ce soit ordinairement celles auxquelles il faut le plus prendre garde.

La synthèse, au contraire, par une voie toute différente, et comme en examinant les causes par leurs effets, bien que la preuve qu'elle contient soit souvent aussi des effets par les cau ses, démontre à la vérité clairement ce qui est contenu en ses conclusions, et se sert d'une longue suite de définitions, de demandes, d'axiomes, de théorèmes et de problèmes, afin que si on lui en nie quelques conséquences, elle fasse voir comment elles sont contenues dans les antécédents, et qu'elle arrache le consentement du lecteur, tant obstiné et opiniâtre qu'il puisse être; mais elle ne donne pas comme l'autre une entière satisfaction à l'esprit de ceux qui désirent d'apprendre, parce qu'elle n'enseigne pas la méthode par laquelle la chose a été inventée.

Les anciens géomètres avaient coutume de se servir seulement de cette synthèse dans leurs écrits: non qu'ils ignorassent entièrement l'analyse, mais à mon avis parce qu'ils en faisaient tant d'état qu'ils la réservaient pour eux seuls comme un secret d'importance.

Pour moi, j'ai suivi seulement la voie analytique dans mes Méditations, pour ce qu'elle me semble être la plus vraie et la plus propre pour enseigner; mais quant à la synthèse, laquelle sans doute est celle que vous désirez de moi, encore que, touchant les choses qui se traitent en la géométrie, elle puisse utilement être mise après l'analyse, elle ne convient pas toutefois si bien aux matières qui appartiennent à la métaphysique. Car il y a cette différence que les premières notions qui sont supposées pour démontrer les propositions géométriques, ayant de la convenance avec les sens, sont reçues facilement d'un chacun; c'est pourquoi il n'y a point là de difficulté, sinon à bien tirer les conséquences, ce qui se peut faire par toutes sortes de personnes, même par les moins attentives, pourvu seulement qu'elles se ressouviennent des choses précédentes; et on les oblige aisément à s'en souvenir en distinguant autant de diverses propositions qu'il y a de choses à remarquer dans la difficulté proposée, afin qu'elles s'arrêtent séparément sur chacune, et qu'on les leur puisse citer par après pour les avertir de celles auxquelles elles doivent penser. Mais, au contraire, touchant les questions qui appartiennent à la métaphysique, la principale difficulté est de concevoir clairement et distinctement les premières notions. Car, encore que de leur nature elles ne soient

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