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d'augmenter les commoditez de la vie, & d'amaffer des richeffes fuperflues; il y a beaucoup d'apparence, que les gens un peu riches & qui avoient de l'efprit, engagérent ceux qui étoient groffiers, & peu accommodez, à travailler pour eux moiennant un certain falaire. Cela aiant enfuite paru commode aux uns & aux autres, les derniers fe réfolurent infenfiblement à entrer pour toûjours dans la famille des premiers, à condition que ceux-ci leur fourniroient la nourriture & toutes les autres chofes néceffaires à la vie. Ainfi la Servitude a été d'abord établie par un libre confentement des Parties, & par un Contract de faire, afin que l'on nous donne.

Le but d'une telle Société fait voir aisément quelle eft naturellement l'étendue du Pouvoir des Maîtres fur leurs Serviteurs (1). Un Maître a donc droit d'exiger de fes Serviteurs toute forte de travail & de fervice, pourvû (2) qu'il aît égard à leurs forces, & à leur adreffe naturelle. Il peut auffi pour (3) les corriger de leur pareffè & de leur négligence, les traiter avec quelque rigueur, felon le naturel de chacun: mais cela ne va pas jufqu'à lui donner le droit de les faire mourir; & la plus grande peine pour de tels Serviteurs, c'eft d'être chaffez de la maifon de leur Maître, & abandonnez à leur propre fainéantife. Il ne femble pas même, que le Maître puiffe légitimement les vendre, ou les donner à un autre Maître, à moins qu'ils n'y confentent eux-mêmes: puis qu'ils ne font au fond que des valets ou des mercénaires (4) perpétuels, qui, pendant qu'ils demeurent au fervice de leur Maître, n'aquiérent rien pour eux-mêmes, & doivent lui rendre un fidéle compte de tout

S.IV. (1) Grotius, Lib. II. Cap. V. §. 30. diftingue entre la Servitude parfaite, dont il s'agit ici; & la Servitude imparfaite, qui n'eft que pour un tems, ou fous condition, ou pour certaines chofes feulement, felon que tout cela fe trouve réglé, ou par les Loix du Païs, ou par les Conventions des intéreffez. Voiez les exemples, qu'il en allégue. Je me contente de rapporter ici ce que mon Auteur dit, dans fon Abrégé de Officio Hom.

Civis, Lib. II. Cap. IV. §. 2. au fujet des Mercénaires à tems, ou de ce que nous appellons aujourd'hui un Dọmeftique. Le Maitre, dit-il, doit à fon Domeftique le falaire qu'il lui a promis; & le Domestique de fon côté, eft tenu de s'aquitter exactement du travail & du service, auquel il s'eft engagé en fe louant à fon Maitre. De plus, comme dans un tel Contract la condition du Maître eft plus avantageufe, que celle du Domeftique; le Domeftique doit avoir du refpect pour fon Maître, felon le rang que celui-ci occupe dans le monde; & lors que par malice, ou par négligence, il s'aquitte mal de fa tâche, le Maître peut le châtier avec modération, mais non pas fe porter jufqu'à lui infliger une punition corporelle un peu confidérable, moins encore le faire mourir de fa pure autorité. Mr. Titius (Obferv. DXXIX.) prétend néanmoins, que ce châtiment, tout modéré que nôtre Auteur le fuppofe, n'eft pas une fuite directe des droits d'un Maître fur fon Domeftique. Car, dit-il, outre que la permiflion d'en venir-là ne femble pas devoir être accordée aux Maîtres dans un Etat bien policé; le but d'une telle Société ne demande pas naturellement que le Maître aît un fi grand pouvoir fur fon Domestique: il fuffit que celui-ci foit obligé de réparer d'une manière ou d'autre le dommage qu'il a caufé par fa faute. Que s'il s'attire des coups en faifan à fon Maitre qnelque outrage ou quelque injure, le Maître ne les lui donne pas en forme de peine proprement ainfi nommée, dont l'infliction appartient uniquement au Magiftrat; mais en vertu du droit de la guerre, qui lui permet de repouffer avec modération les injures qu'on lui fait. Au refte, nôtre Auteur fuppofe fans doute dans toute cette matiére, qu'aucun Serviteur, ni Efclave n'eft obligé d'obéir à fon Maître, lors qu'il lui commande quelque chofe de contraire au Droit Naturel, on aux Loix de l'Etat. Voiez Grotius, Lib. II. Cap. XXVI. §. 3.

(2) 11 faut remarquer, qu'une des principales raifons TOM. II.

ce de l'inftitution du Sabbath, étoit de donner du relâche aux Serviteurs & aux Efclaves. Voiez Grotius, Lib. III. Cap. XIV. §. 5. & les Notes de Mr. Le Clerc, fur Exod. XX, 10, & Deut. V, 14.

(3) Voiez Grotius, Lib. III. Cap. XIV. §. 4. où, pour le dire en paffant, il y a une fauffe citation de la Loi Divine au fujet des Efclaves: Tu n'opprimeras point ton Efclave: tu n'exerceras pas fur lui un empire rigoureux. Cela eft tiré du Levitiq. Chap. XXV, 17, 43, 53. & non pas du Deuter. XV, 17, 45, 53. & même les premiéres paroles, qui font du verf. 17. ne regardent pas les Efclaves: car il y a dans le texte, vous ne vous opprimerez pas l'un l'autre ; & cela eft dit à l'occafion de l'aliénation des terres, que le Législateur défend, fous quelque prétexte que ce foit, au delà de l'année du Jubile. La même faute fe trouve au §. 2. num. 2. où il y a de plus Deut. XVIII. pour Levit. XXV. dans la feconde citation. Pour revenir maintenant à nôtre fujet, il faut remarquer fur tout ici deux Loix, qui fe trouvent dans l'Exode, XXI, 20, 21, 26, 27. La premiére porte, que, fi un Maitre frappe fon Efclave, & que l'Efclave meure fous le bâton, Te Maitre doit être puni comme aiant commis un homicide: mais fi l'Efclave vit un jour ou deux feulement, le Maître eft exemt de la peine. La raifon en eft, que, quand l'Efclave ne mouroit pas fur le champ, on préfumoit que le Maître n'avoit pas eù deffein de le tuer; & ainfi on le croioit affez puni de perdre ce que l'Esclave lui avoit coûté, ou le fervice qu'il en auroit tiré. C'eft ce que donnent à entendre les paroles fuivantes, comme l'a très-bien remarqué Mr. Le Clerc car cet Efclave étoit fon argent. L'autre Loi veut, que, fi un Maitre a crevé un ceuil, ou caffe une dent à fon Efclave, il lui donne la liberté, en dédommagement de cette perte; ce qui avoit lieu fans doute, à plus forte raifon, lors que la mutilation étoit plus confidérable. Voiez là-deffus le même Commentateur,

(4) Lors que ton frére étant réduit à la pauvreté, se fera vendu à toi, tu ne le contraindras pas à te fervir comme un Efclave; mais il fera avec toi comme un mercénaire, ou comme un étranger, jusques à l'année du Jubilé. Levit. XXV, 39, 40. Chryfippe, au rapport de Senéque, difoit auffi, qu'un Efclave eft un mercenaire perpétuel. Servus, ut placer Chryfippo, perpetuus mercenarius eft. De Benefic. Lib. III. Cap. XXII.

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ce qui provient de leur travail. Enfin, s'ils commettent quelque crime atroce contre d'au tres perfonnes, qui ne font pas Membres de la Famille, le Maître n'a pas non plus en ce cas-là droit de vie & de mort fur eux: il peut feulement, & il doit même, pour ne point s'attirer de querelle en fe rendant fauteur de leurs injuftices, les chaffer auffi-tôt de chez lui; ce qui eft les livrer en quelque maniére à l'offenfé. Mais s'ils ont fait quelque grande injure à lui, ou à sa Famille, il lui eft permis alors de les faire mourir par droit de Guerfa) Voiez plus re, & non pas en vertu de l'autorité. de Maître (a). C'eft là à peu près l'étendue que les Ecrivains Sacrez (5) donnent à la fujettion des Serviteurs, & au pouvoir des Maîtres.

bas, §. 8.

De quelle mamiére la Guerre produifit enfuite un grand nombre d'Efclaves.

§. V. MAIS on n'en demeura pas là. On trouva tant de commodité à faire par autrui ce que l'on auroit été obligé de faire foi-même, qu'à mesure que les Guerres fe multiplioient de tous côtez, on établit infenfiblement la coûtume de donner aux Prifonniers de guerre la vie, & la liberté corporelle, à condition de fervir toute leur vie ceux entre les mains de qui ils étoient tombez. Comme (1) on confervoit quelque refte des fentimens d'ennemi contre ceux que l'on réduifoit en fervitude de cette maniére, on les traitoit ordinairement avec beaucoup de rigueur; la cruauté paroiffant excufable envers des gens de la part de qui l'on avoit couru rifque d'éprouver le même fort, & de fe voir dépouillé de fes biens ou de fa vie: de forte qu'avec le tems on crut pouvoir im(a)Voiez Grotius, punément tuer ces Efclaves par un mouvement de colére, ou pour la moindre faute (a). Lib.III. Cap.VII. Cette licence aiant été une fois introduite & autorifée, on l'étendit, fous un prétexte moins plaufible, à ceux qui étoient nez de tels Efclaves, & même à ceux que l'on achetoit, ou que l'on aquéroit de quelque autre maniére, quoi qu'en certains Etats elle fût enfuite réduite à certaines bornes, & en d'autres entiérement abolie. Ainfi la Servitude vient originairement du confentement volontaire des Serviteurs, & non pas du (b) Voiez Boecler droit de la Guerre, quoi que la Guerre aît donné occafion d'en augmenter extrémement fur Grotius, Lib. le nombre, & d'en rendre la condition plus malheureufe, en un mot un véritable Efclavage (b).

J. 3.

II. Cap. V. §. 27.

dée l'Obligation

P'a rendu fon
Efclave?

(a) De Cive, Cap.
VIIL S.I.

Sur quoi eft fon- §. VI. HOBBES fe trompe fort, de prétendre, que, dans l'Etat Naturel, qu'il apoù eft un Prifon- pelle mal à propos une guerre de chacun contre tous, on aît droit d'attaquer qui l'on veut, nier de guerre &, après l'avoir vaincu, de le réduire fous fon Efclavage. Mais il a raifon de dire (a), que, envers celui qui chacun aiant droit de tuer fon Ennemi dans une Guerre jufte, le Vainqueur peut donner la vie au Vaincu, à condition que celui-ci promette d'être fon Efclave, c'est-à-dire, de faire tout ce qu'il lui commandera. Dans une telle Convention, le bien que le Vaincu reçoit, c'eft la vie, que le Vainqueur pouvoit lui ôter par le droit de la Guerre: & le bien qu'il promet de fon côté, c'eft fon fervice & fon obeillance, & même, autant qu'il fe peut, une obeiffance abfolue. Car quand on eft obligé d'obéir à quelcun, avant que de favoir ce qu'il nous ordonnera, on doit fuivre fes ordres aveuglément & fans restriction. Il y a pourtant ici des tempéramens à garder, conformément aux Loix de l'Humanité; comb) Lib. III. Cap. me (b) Grotius le fait voir en détail. Hobbes (c) remarque encore avec raifon, que tour Prifonnier de guerre, dont le Vainqueur a épargné la vie, n'eft pas cenfé avoir traité avec (c) vbifuprà, S. fon Maître, de la manière dont nous avons dit. Car, outre qu'il y en a, dont la mort eft feulement différée, jufques à ce que le Vainqueur trouve à propos d'en prononcer la fentence, comme cela fe pratiquoit autrefois à Rome au fujet de ceux que l'on gardoit pour

XIV.

2,3,4.

§.

(5) Voiez Exod. XXI, 2. & fuiv. Levitiq. XXV, 39. & fuiv. Deuter. XV, 12. & suiv.

§. V. (1) Pline, comme le remarquoit ici nôtre Auteur, dit dans fon Hift. Naturelle, Lib. VII. Cap. LVI. que les Lacedémoniens inventérent la coûtume d'avoir des Efclaves. Mais cela ne peut être admis qu'en ce fens, ou que les Lacédémoniens furent les premiers de la Gréce qui introduifirent l'ufage des Efclaves; ou qu'ils commencérent a reduire en fervitude les Grecs qu'ils avoient fait prifonniers de guerre. Hérodote, Lib. VI. vers la fin, dit, que, quand les Pélafgiens s'emparerent

le

de l'Ile de Lemnos, il n'y avoit point eû encore d'Efclaves ni parmi eux, ni chez aucun Peuple Grec. Voiez Busbeq. Epift. III. p. 120. & Chriftoph. Richer. de moribus Oriental. p. 101. Nôtre Auteur remarque, enfuite, que Sefoftris ne fit travailler que les Captifs aux cent Tem ples, dont il embellit l'Egypte, & qu'il eût foin de publier, par les inferiptions, que ces fuperbes bâtimens avoient été achevez fans qu'aucun de ces Sujets y für emploié. Diod. Sicul. Lib. I. Cap. LVI. pag. 52. B. Ed. Rhodom.

le Triomphe, ou pour les fpectacles: on donne la vie à d'autres, fans leur laiffer néanmoins aflez de liberté corporelle pour pouvoir s'enfuir, ou refufer impunément d'obéir à ce que leur Maître leur commande, ou tramer quelque chofe contre lui, s'il leur en prend envie. Ceux donc, de qui l'on fe défie ainfi, font à la vérité Efclaves, & en font actuellement l'office, mais fans être entrez eux-mêmes dans aucun engagement, & de la même manière que les Bêtes fubiffent le joug; n'étant retenus que par les fers, la prifon, ou une bonne garde, en un mot purement & fimplement par la force. Ainfi l'Obligation d'un Efclave envers fon Maître, qui l'a aquis par droit de Guerre, n'eft pas uniquement fondée fur ce que le Vainqueur lui a laiffè la vie, ou fur ce qu'il différe fa mort, mais fur ce qu'il ne le tient pas dans les fers, ou en prifon. Car cette Obligation étant réciproque, vient d'une Convention; &, dans toute Convention, chacun des Contractans doit fe fier à l'autre. Ainfi, lors que le Vainqueur, après avoir donné la vie à fon Prifonnier, lui laiffe encore la liberté corporelle, celui-ci s'engage par là à être fon Efclave; fans quoi il pourtoit non feulement s'enfuir, mais encore ôter la vie à celui qui la lui a confervée, parce que, tant qu'il n'y a point entr'eux de Convention, l'état de Guerre fubfifte. D'où il s'enfuit, qu'il faut mettre de la différence entre les Efclaves, qui font tenus d'obéir à leur Maitre en vertu de l'Obligation, où ils font entrez envers lui; & ceux qui ne font retenus que par quelque lien corporel, qui fuppofe qu'il n'y a point pour eux d'engagement Moral affez fort car les derniers n'obéiflent, que pour éviter les coups; & s'ils s'enfuient, ou qu'ils tuent leur Maître, ils ne font rien en cela de contraire aux Loix Naturelles. Pour ce que Hobbes ajoûte: qu'un Maître n'a pas moins de pouvoir fur un Esclave, à qui il laiffe la liberté corporelle, que fur celui qu'il tient dans les fers, puis qu'il a un pouvoir abfolu fur l'un & fur l'autre; cela eft faux, à mon avis. Car il y a de la différence entre le droit de la Guerre que le Maître s'eft refervé fur l'Esclave enchainé, & le pouvoir qu'il a fur l'autre Efclave, après que celui-ci s'y eft foûmis. Le premier autorife le Vainqueur à faire mourit, quand il lui plairra (1), fon Prifonnier, avec qui il eft encore en état de Guerre. Mais l'empire le plus fouverain ne donne pas directement & par lui-même le droit d'ôter la vie, à moins que celui, fur qui on l'exerce, ne l'aît mérité par quelque crime.

cenfez faire pardes biens de

Esclaves font

leur Maître ?

nement de Hob

§. VII. LORS que l'autorité, qui eft proprement le droit de gouverner une perfonne, En quel fens les a été établie par le confentement volontaire de celui qui y eft foumis, elle ne peut réguliérement être aliénée malgré lui, y aiant d'ordinaire quelque raifon particuliére qui fait tie que l'on a voulu dépendre de tel ou tel, plûtôt que de tout autre: au lieu que ceux, qui font devenus maîtres de quelcun par la force, peuvent aliéner leur Pouvoir de leur pure volonté. Cependant, tant que celui, qui eft fous puiffance d'autrui, conferve encore un peu de Liberté, ce n'eft pas proprement la perfonne que l'on aliéne, mais feulement le droit de la gouverner, & cela pour en retirer quelque profit. Car, quoi que (a) tout Seigneur (a) Ceci eft oppuiffe dire de celui qui eft foumis à fa domination: cette perfonne la eft à moi; la Pro- pofe au raifonpriété, qu'il a fur un tel homme, eft bien différente de celle qu'il s'attribue, lors qu'il bes, ubi fuprà, die: cette chofe-la eft à moi. La Propriété d'une chofe emporte un plein droit de s'en fer- S. 4. vir, de la consumer, & de la détruire, foit qu'on y trouve fon profit, ou par pur caprice, en forte que, de quelque maniére qu'on en difpofe, on ne lui fait aucun tort, & il fuffit de dire, pour fe juftifier: elle étoit à moi. Mais la même expreffion, appliquée à une perfonne, fignifie feulement, que le Seigneur a droit, exclufivement à tout autre, de. la gouverner & de Itni preferire des Loix, en forte néanmoins qu'il eft lui-même dans quelque Obligation par rapport à elle, & que fon pouvoir n'eft pas abfolument illimité. Quelque grandes injures que l'on ait reçues d'un homme, l'Humanité ne permet pas, lors qu'on

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(b) Voiez pourtant Dio Chryfoftom. Orat. XV.

More!!.

qu'on s'eft une fois reconcilié avec lui, de le réduire à une condition où il ne refte aucune trace de l'égalité naturelle de tous les Hommes, & de le traiter comme une Bête, ou comme.une chofe inanimée, envers laquelle on n'eft tenu à rien. Cependant la barbarie de plufieurs Peuples eft allée jufqu'à mettre les Efclaves au rang des biens que l'on poffède, & à les traiter non comme des Créatures Humaines, fur qui l'on a une certaine autorité, mais comme un bien dont on peut difpofer à fa fantaisie, de forte que l'on difoit (1) d'un Efclave dans le même fens qu'on le dit d'un Cheval: il eft à moi; & que, fi on l'épargnoit un peu, ce n'étoit nullement pour l'amour de lui, ou par un mouvement de compaffion, mais feulement pour ne pas fe priver foi-même du profit que l'on en retiroit (b).

Il n'eft

vrai non plus, comme le prétend Hobbes, que tout ce qu'un Efclave poffepas de fervitute, p. doit avant fon Efclavage, appartienne à fon Maître. Cela ne doit être admis qu'à l'égard 41,&feqq. Ed. du bien, qu'un Captif pouvoit avoir gagné par fon travail. Pour ceux qui fe mettoient eux-mêmes volontairement au fervice d'un Maître, ils pouvoient à la vérité lui donner puiffance en même tems & fur leurs perfonnes, & fur le peu de bien qu'ils avoient; mais cela n'arrivoit pas toûjours néceffairement. Il y a même beaucoup d'apparence, que ceux qui fe vendoient eux-mêmes, fe refervoient, du moins en forme de Pécule, & leurs biens, & l'argent qu'ils recevoient pour prix de la fujettion, où ils entroient; ou qu'ils les donnoient du moins aux perfonnes, qu'ils étoient tenus auparavant de nourrir, comme à leurs Enfans, ou à leurs Pére & Mére caffez de vieilleffe (2). Mais lors qu'une perfonne devient Efclave par droit de Guerre, il eft clair, que tous fes biens, qui tombent en même tems entre les mains du Vainqueur, lui appartiennent auffi. Pour les autres, qui n'ont pas été pris en même tems, c'est tout comme fi l'Esclave étoit mort, du moins jusqu'à ce qu'il recouvre fa Liberté. Mais tout ce qu'il aquiert pendant fon Esclavage, appartient fans contredit au Maître, qui aiant un plein pouvoir fur fa perfonne, doit auffi avoir droit de difpofer abfolument de tout ce qui provient par fon moien. Ainfi il n'y a aucune de ces chofes dont l'Esclave puiffe maintenir la poffeffion, comme d'un bien qui eft à lui, par oppofition au droit de fon Maître. Mais fi le Maître lui a donné en particulier l'ufage ou l'adminiftration de quelque chofe, par exemple, les alimens, les habits, une petite chambre, un Pécule, il peut les garder & les défendre contre les autres Efclaves de la maison, qui voudroient l'en dépoffèder (c).

(c) Voiez Plin. Lib. V. Epift.

XVI.

On peut faire du tort à un Efcla

vc.

S.7.

§. VIII. CE que Hobbes (a) loûtient enfuite, que l'on ne fauroit jamais faire du tort à un Efclave, ne doit être admis qu'avec beaucoup de reftriction. Les Efclaves, dit-il, aiant (a) Vbi fuprà, foumis leur volonté à celle de leur Maitre, quoi qu'il faffe, il le fait en vertu de leur propre confentement: or on ne fait point de tort à ceux qui confentent. Cela prouve feulement, qu'un Efclave n'a pas fujet de fe plaindre, quelle chofe que ce foit que fon Maître lui commande, quand même elle ne lui agréeroit pas, pourvû qu'elle ne foit pas au deffus de fes forces; de même qu'un Sujet ne fauroit fe plaindre, qu'un Monarque abfolu gouverne l'Etat de la maniére qu'il juge la plus convenable, quoi qu'elle ne plaife pas au Sujet: car nous ferons voir ailleurs, que cette foumiffion ne s'étend pas plus loin. Mais qui oferoit foûtenir, qu'on ne faffe point de tort à un Efclave, en exigeant de lui des chofes

5. VII. (1) Dans le Droit Romain, un Efclave fugitif eft dit fe déraber foi-même. Ancilla fugitiva, quemadmodum fui furtum facere intelligitur, ita partum groque contrectando, furtivum facit. Digeft. Lib. XLVII. Tit. II, De furtis, Leg. LX. Voiez auffi Cod. Lib. VI. Tit. I. De ferv. fugitiv. Leg. 1. & Quintilian. Declam. VI.

(2) Les Docteurs Juifs difent, que l'on ne pouvoit point vendre fa Liberté, à moins que l'on ne fût reduit à n'avoir plus abfolument dequor vivre. Veiez Selden. de J. N. & G. fecund. Hebr. Lib. VI. Cap. VII. Voici, ajoûtoit nôtre Auteur, de quelle maniere une perfonne libre devenoit véritablement Efclave, par le Droit Ro

au

main, lors qu'elle fe vendoit pour avoir une partie du prix de fa Liberté. Caius, par exemple, feignoit que Seins étoit fon Efclave, quoi qu'il fût libre. Seius de fon cote faifoit femblant d'être Efclave, & ftipuloit de Caius, par un Contract de Confidence, qu'il lui donneroit la moitié de ce qu'il le vendroit. Quand Seius avoit été vendu, on faifoit intervenir fous main un tiers, qui foûtenoit, que cet Efclave lui avoit eté vendu. Caius alors fe retiroit adroitement, & ainfi l'Acheteur perdoit & l'Esclave, & l'argent qu'il en avoit donné. Voiez Plaut. Perf. A&t. IV. Scen. IV. & LX.

S. VIII

au deffus de fes forces; ou en le battant fans fujet, ou parce qu'il n'a pas exécuté ce qui lui étoit impoffible; ou en lui refufant la nourriture (1)?

(b) Voiez Tacit.
man. Cap. XXV.
& Annal. Lib.

XIV. Cap. XLV.
Dig. Lib. XXIX.

Le Pouvoir des Maîtres, auffi bien que les autres droits des Péres de famille, a été diversement limité par les Loix Civiles de chaque Etat. Dans les Païs même, où l'on n'y a de moribus Gerpoint mis de bornes, les Légiflateurs ne doivent pas être cenfez pour cela avoir prétendu le rendre abfolu & illimité, mais feulement le laiffer tel que les Péres de famille pouvoient l'exercer légitimement dans la Liberté Naturelle. Il eft vrai néanmoins, que les Loix (b) Civiles de quelques Etats autorifent la cruauté des Maîtres envers leurs Efclaves, damnent les derniers à une condition beaucoup plus dure, que ne le doit être, par le Droit &c. Herodotus, Naturel, celle des perfonnes qui font fous la domination la plus abfolue.

& con

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Tit. V. De Senatufe. Silaniano

Lib. IV. princ.

condition des Enfans qui naif

ves?

(a)

LXVII.

§. IX. A L'EGARD des Enfans, qui naiffent des Efclaves, on demande, s'ils fuivent Quelle eft la néceffairement la Mére? & s'il eft juftè qu'ils foient auffi réduits en Esclavage? Pour la premiére Question, les Loix Romaines ordonnent, que le fruit qui nait des fent des EfclaEfclaves (1), auffi bien que celui des Bêtes, fuive le ventre, ou la mére. Cette décifion, Y) Lib. II. Cap. felon (a) Grotius, n'eft pas bien conforme au Droit Naturel, lors qu'il y a des indices fuf- V. §. 29. num. 1. fifans, qui font connoître le Pére. Car, dit-il, puis que, parmi même quelques Bêtes, le mâle a foin de fes petits, auffi bien que la femelle, c'est une preuve, que le fruit, qui nait, appartient en commun au Pére, & à la Mére: de forte que, fans les Loix Civiles, il devroit fuivre le Pére, auffi bien que la Mére (b). Mais, pour moi, je ne fuis pas de ce fen- (b) Voiez Edict. timent. Car, comme je l'ai fait voir ci-deflus, l'Enfant appartient originairement à la Mé- Theodoric. Cap. re, à moins que le Pére n'ait aquis quelque droit fur lui par un Contract de Mariage. Mais la perfonne même des Efclaves, & tout ce qui en provient, appartenant à leur Maitre, depuis que la Servitude a été étendue jufques-là; les Enfans font auffi à lui (c). Et le (c)Voiez Grotius, Maître de la Mére l'emporte ici fur le Maître du Pére, non feulement à cause que, dans fur Exod. XXI, 4les Mariages des Efclaves, la Femme n'eft pas affez fous la garde du Mari, pour que l'on puifle préfumer fuffifamment, qu'il eft le Pére de l'Enfant qui nait (d); mais encore parce (d) Voiez Plaut. que la Mére, dont la perfonne même appartient à fon Maitre, devient, pendant fa grof. Cafin. feffe, moins capable pour quelque tems de travailler; au lieu qu'il n'en eft pas de même du Pére: outre que la maxime des Jurifconfultes, qui porte, que la plante (2) fuit le fonds, peut être appliquée ici. Que fi une femme Efclave eft groffe de fon Maitre même, la condition de l'Enfant qui nait, eft telle que le Maître le veut, ou que les Loix de l'Etat l'ordonnent. C'est par là auffi qu'il faut décider du fort des Enfans, qui aiant été conçûs pendant que la Mére étoit Efclave, viennent au monde lors qu'elle a été mife en liberté; ou qui au contraire aiant été conçûs d'une Mére libre, naiflent après qu'elle eft devenue Elclave: quoi que les Loix de (3) l'Humanité favorifent toûjours la Liberté des Enfans (e).

§. VIII. (1) Il faut toujours fe fouvenir, que ce font des Creatures humaines. C'eft la raifon qu'alleguoit une femme Philofophe, de la Secte de Pythagore. "Iva μήτε διὰ τὸ κόπον κάμνωσι, μήτε ἀδυνατῶσι διὰ τὴν ἔνδειαν. εἰσὶ γδ ἄνθρωποι τῇ φύσει. Theano, Epift. III. in Opufc. Mythol. Phyf. & Ethic. Amftel. 1688. pag. 746, 747. Voiez Ariftot. Ethic. Nicom, Lib. VIII. Cap. XIII. & Occonom. Lib. I. Cap. V. Senec, de Ira, Lib. III. Cap. XL. De Clementia, Lib. I. Cap. XVIII. & Epift. XLVII. Arrian. Epid. Lib. I. Cap. XIII. Stob. Serm. LX. Plaut. Menachm, A&. I. Scen. 1. verf. 11, &feqq. Juvenal. Satyr. XIV, 126. Plutarch, in Catone. Digeft. Lib. I. Tit. VI. De his qui fui, vel alieni juris funt, Leg. 1. §. 2. & II. Cod. Lib. VII. Tit. VI. De Latina libertate tollenda &c. Leg. I. §. 3. Mais les Juifs croioient, qu'ils n'étoient obligez d'avoir de l'humanité que pour les Efclaves de leur Nation. Voiez Selden. de J. N. & G. &c. Lib. VI. Cap. VIII. Au refte nôtre Auteur ajoûte, dans fon Abrégé, de Offic. Hom. & Civ. Lib. II. Cap. IV. S. s. que, fi

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(e) Voiez Platon, de Legib. Lib.XI, Mais p. 975. A.

l'on veut vendre ou aliéner de quelque autre maniére
un Efclave, il ne faut pas, de gaieté de coeur, & fans
qu'il l'ait mérité, le faire paffer entre les mains de
gens, chez qui l'on préfume qu'il fera traité inhumai-

nement.

§. IX. (1) Partum Ancilla Matris fequi conditionem, nec ftatum Patris in hac fpecie confiderati, explorati juris eft. Cod. Lib. III. Tit. XXXII. De rei vindicatione, Leg. VII. Voiez auffi Lib. VII. Tit. XVI. De liberali cauffa, Leg. XLII. &, au fujet des Bêtes, ce que l'on a dit ci-deffus, Liv. IV. Chap. VII. §. 4..

(2) Voiez ci-deffus, Liv. IV. Chap. VII. §. s.

(3) Le Droit Romain s'accorde ici avec les Loix de l'Humanité: car il veut que l'Enfant foit libre, fi la Mére l'eft au moment qu'il vient au monde, quoi qu'elle l'ait conçu dans le tems qu'elle étoit Efclave; & qu'au contraire, fi elle étoit libre, lors qu'elle l'a conçu, l'Enfant demeure libre, quand même elle auroit été faite Efclave lors qu'il vient au monde: n'étant pas -Z 3 justes

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