des langues Grecque & Latine, l'oreille avoit été confultée, au lieu que les langues modernes ont pris naissance dans des temps de barbarie où l'on parloit pour le befoin & nullement pour le plaifir. En général, plus les peuples ont eu l'oreille fenfible & jufte, plus le rapport des fons avec les chofes a été obfervé dans l'invention des termes. La dureté de l'organe a produit les langues âpres & rudes; l'exceffive délicateffe a produit les langues foibles, fans énergie & fans couleur. Or une langue qui n'a que des fyllabes âpres & fermes > ou que des fyllabes molles & liantes, a le défaut d'un monocorde. C'eft de la variété des voyelles, & des articulations, que dépend la fécondité d'une belle harmonie. Dire d'une langue qu'elle eft douce ou qu'elle eft forte, c'eft dire qu'elle n'a qu'un mode; une langue riche les a tous. Mais fi les divers caracteres de fermeté & de molleffe, de douceur & d'âpreté, de vîteffe & de lenteur y font répandus au hafard, elle exige de l'Ecrivain une attention continuelle & une adreffe prodigieufe pour suppléer au peu d'intelligence & de foin qu'on a mis dans la formation de fes élémens; & ce qu'il en coûtoit aux Démosthènes & aux Platons, doit nous confoler de ce qu'il nous en coûte. Il n'eft facile dans aucune M Tome I. langue de concilier l'harmonie avec les autres qualités du ftyle; & fi l'on veut imaginer une langue qui peigne naturellement, il faut la fuppofer, non pas formée fucceffivement & au gré du peuple, mais compofée ensemble & de concert, par un Métaphyficien comme Locke, un Poête comme Racine, & un Grammairien comme du Marfais. Alors on voit éclorre une langue à-lafois philofophique & poétique, où l'analogie des termes avec les chofes eft fenfible & conftante, non-feulement dans les couleurs primitives, mais dans les nuances les plus délicates; de maniere que les fynonymes en font gradués du rapide au lent, du fort au foible, du grave au léger, &c. Au fyftême naturel & fécond de la génération des termes, depuis la racine jufqu'aux derniers rameaux se joint une richeffe prodigieufe de figures & de tours, une variété infinie dans les mouvemens, dans les tons, dans le mélange des fons articulés & des quantités profodiques, par conféquent, une extrême facilité à tout exprimer, à tout peindre: ce grand ouvrage une fois achevé, je fuppofe que les inventeurs donnaffent pour effais quelques morceaux d'Homere & d'Anacréon, de Virgile & de Tibule, de Milton & de l'Ariofte, de Corneille & de Lafontaine d'abord ce feroient autant d'hieroglyphes 1 qu'on s'amuferoit à expliquer à l'aide des livres élémentaires; peu-à-peu on se familiariseroit avec la langue nouvelle, on en fentiroit tout le prix on auroit même, par la fimplicité de fa méthode, une extrême facilité à l'apprendre ; & bientôt, pour la premiere fois, on goûteroit le plaifir de parler un langage qui n'auroit eu ni le peuple pour inventeur, ni l'usage pour arbitre, & qui ne se reffentiroit ni de l'ignorance de l'un ni des caprices de l'autre. Voilà un beau fonge, me dira-t-on : je l'avoue; mais ce songe m'a femblé à donner l'idée de ce que propre j'entends par l'harmonie d'une langue; & tout l'art du ftyle harmonieux confifte à rapprocher, autant qu'il eft poffible, de ce modele imaginaire la langue dans laquelle on écrit. CHAPITRE VII. Du MECHANISM E DES VERS: L E fentiment du nombre nous eft fi naturel, que chez les peuples les plus fauvages la danfe & le chant font cadencés. Par la même raifon, dès qu'on s'eft avifé de parler en chantant, les fons articulés ont dû s'accommoder au chant. Telle eft l'origine des vers. (a) Ce qui les diftingue de la profe, c'est la rime, la mefure & la cadence. La rime eft la confonnance des finales des vers. Cette confonnance doit être fenfible à l'oreille: il faut donc qu'elle tombe fur des fyl labes fonores; & fi les vers finiffent par une muette, la rime doit être double & commencer à la pénultieme : attendre, prétendre ; aufpice propice. Quoique dans les finales des mots les confonnes qui fuivent la voyelle ne fe faffent presque jamais fentir, cependant, pour rimer à l'œil en même temps qu'à l'oreille, & concilier ainfi les fuffrages des deux fens, on veut que les deux finales présentent les mêmes caracteres, ou des caracteres équivalents: par exemple, Sultan ne rime point avec inftant; inftant & attend riment ensemble. Le nombre a été jufqu'ci confondu dans nos vers avec la mesure; ou plutôt on ne leur a donné ni mefure ni nombre précis : c'eft pourquoi il eft fi facile d'en faire de mauvais, & fi difficile d'en faire de bons. Nos vers réguliers font de douze, de dix, de (a) Illud quidem certum, omnem Poefin olim cantatam fuiffe. Ifaac Voffius.. huit ou de fept fyllabes: voilà ce qu'on appelle mesure. Le vers de douze eft coupé par un repos après la fixieme & le vers de dix, après la quatrieme : le repos doit tomber fur une syllabe fonore, & le vers doit finir tantôt par une fonore, tantôt par une muette: voilà ce qu'on appelle cadence. Toutes les fyllabes du vers, excepté la finale muette, doivent être fenfibles à l'oreille : voilà ce qu'on appelle nombre. On fait que la fyllabe muette eft celle qui n'a que le fon de cet e foible, qu'on appelle muet ou féminin: c'eft la finale de vie & de flamme. Toute autre voyelle a un son plein. Dans le cours du vers, l'e féminin n'eft admis qu'autant qu'il eft foutenu d'une confonne, comme dans Rome & dans gloire. S'il eft feul, il ne fait pas nombre, & l'on eft obligé de placer après lui une voyelle qui l'efface comme vi'active, anné'abondante : cela s'appelle élifion. L'h initiale, qui n'est point afpirée, eft nulle ? & n'empêche pas l'élifion. On peut élider l'e muet final, quand même il eft articulé ou foutenu d'une confonne ; mais on n'y eft pas obligé : gloire durable & gloir'éclatante font au choix du Poête. Si l'on veut que l'e muet articulé faffe nombre, il faut feulement |