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vasseur appuya les conclusions de Saint-André; il dit : « Nul ne doit être libre de contrarier le bien public; l'envoi de commis. saires aux armées était nécessité par le salut public. Eh bien! le salut public ordonnait aussi l'arrestation de membres détenus. (De violens murmures s'élèvent.) Lorsque le décret a été rendu, vous n'étiez pas libres, dites-vous. (Les membres de la droite: Non.-Ducos: Nous étions libres!...) Eh bien! actuellement vous reconnaissez-vous libres?... (A droite : Non.) Et cependant toute la semaine vous avez voté. Figurez-vous que vous n'avez pas à décréter une Constitution; vous n'avez qu'un projet à présenter au peuple français qui la décrétera. (On applaudit.) Deux cents de vos membres seraient absens que le reste pourrait travailler à la rédaction de ce projet ; car, je le répète, vous n'avez qu'un projet à rédiger. Après quelques mots de Fonfrède, de Camboulas et de Couppé, vint un membre de la droite qui sembla un ínstant concilier tous les suffrages; il parla de la sorte: • On a dit que notre union dépendait d'un attachement unanime aux vrais principes; les vrais principes sont : la liberté, l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la République. Si la constitution qu'on vous propose de faire en présence de plusieurs membres qui, je le déclare, me sont chers, ne contraste avec aucun de ces principes, le peuple l'acceptera. (On applaudit vivement dans la partie gauche.) Il ne demandera pas si tous les membres étaient présens; il demandera si l'ouvrage présenté est à son avantage et à son profit. Si le peuple français, qui veut être libre et le sera, voit dans cette constitution une tyrannie nouvelle s'élever, un homme placé au-dessus de ses égaux, un sénat despotique, un pouvoir aristocratique, ou une insolente oligarchie, il ne l'acceptera pas. Instruit par quatre années de révolutions à apprécier la liberté, pour laquelle il les a supportées, il jugera votre ouvrage. Je pense donc que rien n'empêche que le projet de Constitution ne soit soumis à la discussion après le délai nécessaire pour la méditer.» ( Le membre reprend sa place dans la partie droite. La gauche et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.)

Le débat, continué par Fermont et par Camboulas, menaçait d'absorber la séance, lorsque Chabot entreprit d'y couper court par un scandale. Il rappela à ce dernier un propos qu'il avait tenu, en présence de plusieurs témoins, relativement à une somme de six millions distribuée par Louis XVI à certains membres de la législative et de la Commune, Pétion, Manuel, etc., afin d'empêcher l'insurrection du 10 août, ou de la faire tourner au profit de la cour. Camboulas, sommé de répondre, se perdait dans un parallèle entre le 10 août et le 31 mai. Cédant enfin aux apostrophes et aux interpellations, il s'écria: Chabot est un lâche d'abuser d'une chose que j'aurais pu dire confidentiellement. (Quelques murmures se font entendre.) Au reste, ce que j'ai dit, ce que j'ai écrit, est la vérité, et ma vertu, mon amour pour la patrie, vous sont un sûr garant que là où il y aura des coupables, je me prononcerai contre eux, et j'avoue que je vois des intrigans partout (1). › (On applaudit à gauche. Plusieurs voix : nommez-les!) - Chabot entra alors dans les détails. ‹ Voici le fait, dit-il, tel qu'il m'a été rapporté par Camboulas, non pas confidentiellement, mais en présence de témoins : « Si tu crois > connaître ce qui s'est passé le 10 août et avant, tu te trompes. » Je tiens d'un homme qui est fort bien avec la cour, que le ci› devant roi avait promis six millions à distribuer entre les mem› bres de l'Assemblée législative, les membres de la municipalité > et de la garde nationale, à condition qu'ils empêcheraient l'in› surrection, ou la feraient tourner au profit de la cour. L'insurrection a eu lieu; elle a tourné contre les royalistes, et cepen› dant ces messieurs demandèrent à être payés. ( On rit el on › murmure.) Le ci-devant roi fut consulté le 12, dans la loge du logotachigraphe, pour savoir si les six millions seraient comptés, › et il dit : «Ils ont fait tout ce qu'ils ont pu; il faut les « C'est sans doute pour achever de gagner leur argent que ces » messieurs ont voulu sauver le tyran par l'appel au peuple. › (On applaudit et on murmure. Camboulas. Je n'aurais jamais

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Cette dernière phrase n'est pas dans le Moniteur.

payer.

(Note des auteurs.)

cru que la scélératesse pût aller si loin. Après avoir cherché, fouillé partout, des chefs d'accusation contre des hommes avec lesquels je n'ai aucune relation, et n'en avoir pas trouvé, on vient aujourd'hui vous mentir; car, citoyens, le fait, tel qu'il vient d'être avancé par Chabot, est faux (1); je le démens, lui, et tous les témoins qu'il cite; au reste, nommez un tribunal, j'y comparaîtrai. L'altercation dura encore long-temps, et ce fut au milieu de cris divers, dominés par la demande de la lecture de la Constitution, que l'assemblée passa enfin à l'ordre jour. Plus de cent membres de la partie droite ne prirent point part à la délibération.

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La nouvelle Constitution fondée, comme les deux précédentes, sur la théorie du droit, en différait essentiellement sous des rapports très-importans. La déclaration des droits (elle ne fut lue et votée qu'à la séance du 25), entre autres articles qui n'étaient point dans celle décrétée en avril, renfermait un acte de foi qu'on n'avait pu obtenir des Girondins; le peuple français y parlait en présence de l'Étre suprême. Quant à l'acte constitutionnel, il se distinguait des deux autres, surtout par la manière tout à fait neuve dont le principe de la représentation y était traité; par l'institution d'un conseil exécutif différent des ministres qui ne seraient plus que des agens exécutifs, et par celle d'un grand jury national devant lequel les mandataires du peuple seraient responsables de leurs fonctions. Ces innovations sont expliquées en peu de mots dans le rapport suivant:

Rapport sur le second projet de Constitution, fait par Hérault-Séchelles (2), au nom du comité de salut public. (Séance du 10 juin 1795.)

De toutes les parties de la République une voix impérieuse veut la constitution; jamais une plus grande nécessité n'a tour

(1) Dans le Moniteur le démenti est pur et simple, et porte sur le fond ; tandis qu'ici il ne porte que sur la forme. (Note des auteurs.)

Membres du comité de salut public. Barrère, Cambon, Danton, Guyton

T. XXVIII.

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menté tout un peuple: vingt-sept millions d'hommes appellent à grands cris la loi. Si dans certaines contrées des effervescences se manifestent, c'est principalement parce que la Constitution leur manque. Il semble que ce serait un crime national de la retarder un jour de plus; mais aussi le jour où vous l'aurez faite sera celui d'une révolution pour la France, d'une révolution pour l'Europe; tous nos destins reposent dans ce monument; il est plus puissant que toutes les armées.

• Nous avons été impatiens de remplir l'honorable tâche que vous nous avez imposée il y a quelques jours, et de répondre avec vous à un besoin si universel. Que les machinateurs de gouvernemens oppressifs, de systèmes anti-populaires, combinent péniblement leurs projets ! les Français, qui aiment sincèrement la patrie, n'ont qu'à descendre dans leurs cœurs; ils y lisent la République !

Notre inquiétude doit être de n'avoir pas satisfait à vos vœux; mais au moins vous rendrez justice à nos efforts; la plus touchante unanimité n'a pas cessé d'accompagner notre travail. Nous avions chacun le même désir, celui d'atteindre au résultat le plus démocratique la souveraineté du peuple et la dignité de l'homme étaient constamment présentes à nos yeux; c'est toujours à la dernière limite que nous nous sommes attachés à saisir les droits de l'humanité. Un sentiment secret nous dit que notre ouvrage est peut-être un des plus populaires qui aient encore existé si quelquefois nous nous sommes vus contraints de renoncer à cette sévérité de théorie, c'est qu'alors la possibilité n'y était plus; la nature des choses, les obstacles insurmontables dans l'exécution, les vrais intérêts du peuple nous commandaient ce sacrifice; car ce n'est pas assez de servir le peuple, il ne faut jamais le tromper.

Morveau, Treilhard, Lacroix, Bernier, Delmas, Robert Lindet. Les deux derniers n'ont pris aucune part au projet de Constitution: Delmas était malade, Robert Lindet en mission.

Membres adjoints pour le travail de la Constitution: Hérault-Séchelles, Ramel, Couthon, Saint-Just, Matthieu. (Note des auteurs. )

⚫ Vous nous aviez chargés de vous présenter les articles rigoureusement nécessaires dans un acte constitutionnel : notre attention spéciale a été de ne jamais enfreindre ce devoir. La charte d'une République ne peut pas être longue : la constitution des peuples n'est au fond que la constitution de leurs autorités, que la collection de leurs droits politiques fondamentaux. La royauté tenait beaucoup de place dans notre dernier code; mais nous en sommes enfin débarrassés pour jamais : un grand nombre d'articles que la royauté traîne à sa suite en souillaient encore les pages; et ces articles étaient censés politiques, en ce sens qu'ils attribuaient une odieuse préférence à des citoyens nommés actifs, ou qu'ils feignaient d'établir l'abaissement des ordres, la destruction des priviléges..... Mais nous ne daignons pas reparler de tant de puérilités; ces souvenirs ne sont plus aujour d'hui que du domaine de l'histoire, qui sera forcée de les raconter en rougissant. Beaucoup d'objets importans, de développemens utiles se sont présentés à notre esprit ; mais nous avons dû les renvoyer à une autre époque, car il était essentiel que notre marche ne fût pas entravée par des articles purement facultatifs et réglementaires, dont une assemblée législative est aussi capable qu'une convention nationale; et il faut toujours distinguer entre une constitution et le mode d'exécuter cette constitution. Enfin, une certaine série de bonnes lois est venue frapper nos regards et sourire à nos espérances; telles, par exemple, que les fêtes nationales, l'instruction publique, l'adoption, etc.; mais, fidèles à la précision constitutionnelle, nous nous sommes sévèrement interdit le bonheur de vous entretenir de ces lois, parce qu'elles appartiennent aux institutions sociales; il les faut réserver pour un catalogue à part, d'où dérive la législation civile. En un mot, nous avons été obligés, pour procéder avec ordre, de séparer trois opérations essentiellement distinctes; la Constitution, le mode de l'exécuter, et le tableau des institutions. C'est de l'acte constitutionnel que nous avons seulement à vous rendre compte.

Tout ce qu'il y a d'indispensable à cet égard et de fonda

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