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CLXVI.

Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite, que le mérite même.

CLXVII.

L'avarice est plus opposée à l'économie, que la libéralité.

* CLXVIII.

L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.

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CLXIX.

Pendant que la paresse et la timidité nous retiennent dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l'honneur 1.

* CLXXIII.

Il y a diverses sortes de curiosités : l'une d'intérêt, qui nous porte à desirer d'apprendre ce qui nous peut être utile; et l'autre d'orgueil, qui vient du desir de savoir ce que les autres ignorent 3.

Var. Pendant que la paresse et la timidité ont seules le mérite de nous tenir dans notre devoir, notre vertu en a tout l'honneur. (1665— no 177.)

Var. Il n'y a personne qui sache si un procédé net, sincère et honnéte est plutôt un effet de probité que d'habileté. (4663— n° 178.)

CLXX.

Il est difficile de juger si un procédé net, sincère et honnête, est un effet de probité ou d'habileté 2.

CLXXVII.

CLXXI.

La persévérance n'est digne ni de blâme ni Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme goûts et des sentiments, qu'on ne s'ôte et qu'on de louange, parce qu'elle n'est que la durée des les fleuves se perdent dans la mer.

ne se donne point.

CLXXII.

Si on examine bien les divers effets de l'ennui, on trouvera qu'il fait manquer à plus de devoirs que l'intérêt.

Var. La curiosité n'est pas, comme l'on croit, un simple amour de la nouveauté; il y en a une d'intérêt qui fait que nous voulons savoir les choses pour nous en prévaloir; il y en a une autre d'orgueil qui nous donne envie d'être au-dessus de ceux qui ignorent les choses, et de n'être pas au-dessous de ceux qui les savent. (1665— no 182. )

CLXXIV.

Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent, qu'à prévoir celles qui nous peuvent arriver.

CLXXV.

La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre coeur s'attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l'une, tantôt à l'autre; de sorte que cette constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet.

CLXVI.

Il y a deux sortes de constance en amour : l'une vient de ce que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime de nouveaux sujets d'aimer; et l'autre vient de ce que l'on se fait un honneur d'être constant.

*

CLXXVIII.

Ce qui nous fait aimer les nouvelles connoissances, n'est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles, ou le plaisir de changer, que le dégoût de n'être pas assez admirés de ceux qui nous connoissent trop, et l'espérance de l'être davantage de ceux qui ne nous connoissent pas tant.

CLXXIX.

Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis, pour justifier par avance notre légèreté.

CLXXX.

Notre repentir n'est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu'une crainte de celui qui nous en peut arriver.

CLXXXI.

Il y a une inconstance qui vient de la lé

gèreté de l'esprit, ou de sa foiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d'autrui ; et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dégoût des choses.

*CLXXXII.

Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons entrent dans la composition des remèdes. La prudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie.

* CLXXXIII.

Il faut demeurer d'accord, à l'honneur de la vertu, que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par les crimes.

CLXXXIV.

Nous avouons nos défauts pour réparer par notre sincérité le tort qu'ils nous font dans l'esprit des autres 1.

* CLXXXV.

I1

y a des héros en mal comme en bien. CLXXXVI.

On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices; mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu 2.

CLXXXVII.

Le nom de la vertu sert à l'intérêt aussi utilement que les vices.

CLXXXVIII.

La santé de l'ame n'est pas plus assurée que celle du corps; et quoique l'on paroisse éloigné des passions, on n'est pas moins en danger de s'y laisser emporter, que de tomber malade quand on se porte bien.

CLXXXIX.

homme, dès sa naissance, des bornes pour les Il semble que la nature ait prescrit à chaque vertus et pour les vices.

CXC.

Il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grands défauts.

* CXCI.

On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie, comme des hôtes chez qui il faut successivement loger; et je doute que l'expérience nous les fit éviter, s'il nous étoit permis de faire deux fois le même chemin.

CXCII.

Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la créance que c'est nous qui les quittons.

Var. On peut haïr et mépriser les vices, sans haïr ni mépriser les vicieux; mais on a toujours du mépris pour ceux qui manquent de vertu. (1665—no 195.)

CXCIII.

Il y a des rechutes dans les maladies de l'ame comme dans celles du corps. Ce que nous prenons pour notre guérison, n'est le plus souvent qu'un relâche ou un changement de mal.

CXCIV.

Les défauts de l'ame sont comme les blessures du corps; quelque soin qu'on prenne de les guérir, la cicatrice paroît toujours, et elles sont à tout moment en danger de se rouvrir.

CXCV.

Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice, est que nous en avons plusieurs.

CXCVI.

Nous oublions aisément nos fautes, lorsqu'elles ne sont sues que de nous 1.

CXCVII.

Var. Nous avouons nos défauts, afin qu'en donnant bonne opinion de la justice de notre esprit, nous réparions le tort qu'ils

nous ont fait dans l'esprit des autres. (1665-no 195.)-Nous croire du mal sans l'avoir vu; mais il n'y en Il y a des gens de qui l'on peut ne jamais n'avouons jamais nos défauts que par vanité. (1663 — - n° 200.)

* Var. Quand il n'y a que nous qui savons nos crimes, ils sont bientôt oubliés. (1665 — no 207.)

a point en qui il nous doive surprendre en le que de vouloir être toujours exposé à la vue voyant. des honnêtes gens.

CXCVIII.

Nous élevons la gloire des uns pour abaisser celle des autres : et quelquefois on loueroit moins monsieur le Prince et monsieur de Turenne, si on ne les vouloit point blâmer

tous deux '.

CXCIX.

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*CCV.

La sévérité des femmes est un ajustement et un fard qu'elles ajoutent à leur beauté 2.

CCVII.

La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si quelqu'un paroit sage, c'est seulement parceque ses folies sont proportionnées à son âge et à sa fortune.

CCVIII.

Il y a des gens niais qui se connoissent et qui emploient habilement leur niaiserie.

*CCV.

L'honnêteté des femmes est souvent l'amour de leur réputation et de leur repos.

CCVI.

CCIX.

Qui vit sans folie, n'est pas si sage qu'il croit.
CCX.

En vieillissant, on devient plus fou et plus sage. * CCXI.

I1 Y des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on ne chante qu'un certain temps 1.

CCXII.

La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu'ils ont, ou par leur for

tune.

CCXIII.

L'amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable, et l'envie d'abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur, si célèbre parmi les hommes.

CCXIV.

La valeur est dans les simples soldats un métier périlleux qu'ils ont pris pour gagner

leur vie.

CCXV.

C'est être véritablement honnête homme,

La parfaite valeur et la poltronnerie complète sont deux extrémités où l'on arrive rarement. L'espace qui est entre deux est vaste,

Dans la première édition (1663 - no 149), cette réflexion et la 145 n'en faisoient qu'une seule, et étoient comprises sous le

meme no. Dès la 2e édition (1666), La Rochefoucauld les sépara et contient toutes les autres espèces de cou

et les plaça dans l'ordre où elles sont aujourd'hui.

Var. Dans la première édition, la pensée se terminoit ainsi : " c'est un attrait fin et délicat, et une douceur déguisée. » (1665 -no 246.)

1

Var. Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, que tout le monde chante un certain temps, quelque fades et dégoûtants qu'ils soient. ( 1663 — no 223.)

CCXX.

rage. Il n'y a pas moins de différence entre elles qu'entre les visages et les humeurs. Il y a des hommes qui s'exposent volontiers au commencement d'une action, et qui se relachent et se rebutent aisément par sa durée. Il y en a qui sont contents quand ils ont satisfait à l'honneur du monde, et qui font fort peu de chose au-delà. On en voit qui ne sont pas toujours également maîtres de leur peur. D'autres se laissent quelquefois entraîner à La vanité, la honte, et surtout le tempérades terreurs générales; d'autres vont à la chargement, font souvent la valeur des hommes et parcequ'ils n'osent demeurer dans leurs postes. la vertu des femmes 1. Il s'en trouve à qui l'habitude des moindres périls affermit le courage, et les prépare s'exposer à de plus grands. Il y en a qui sont braves à coups d'épée, et qui craignent les coups de mousquet; d'autres sont assurés aux coups de mousquet, et appréhendent de se battre à coups d'épée. Tous ces courages de différentes espèces conviennent en ce que la nuit augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la liberté de se ménager. Il y a encore un autre ménagement plus général : car on ne voit point d'homme qui fasse tout ce qu'il seroit capable de faire dans une occasion, s'il étoit assuré d'en revenir; de sorte qu'il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose de la valeur. CCXVI.

La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on seroit capable de faire devant tout le monde'.

CCXIX.

La plupart des hommes s'exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur ; mais peu se veulent toujours exposer autant qu'il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s'exposent.

Var. La pure valeur (s'il y en avoit) seroit de faire sans témoins, etc. (4665 — no 229.)

CCXXI.

On ne veut point perdre la vie, et on veut acquérir de la gloire : ce qui fait que les braves ont plus d'adresse et d'esprit pour éviter la mort, que les gens de chicane n'en ont pour conserver leur bien.

CCXXII.

Il n'y a guère de personnes qui, dans le premier penchant de l'âge, ne fassent connoître par où leur corps et leur esprit doivent défaillir. * CCXXIII.

Il est de la reconnoissance comme de la bonne foi des marchands: elle entretient le commerce; et nous ne payons pas parcequ'il est juste de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent.

CCXVII.

L'intrépidité est une force extraordinaire de l'ame, qui l'élève au-dessus des troubles, des désordres et des émotions que la vue des grands périls pourroit exciter en elle; et c'est par cette force que les héros se maintiennent en un état paisible, et conservent l'usage libre de leur raison dans les accidents les plus surprenants et les plus terribles.

CCXXV.

Ce qui fait le mécompte dans la reconnoissance qu'on attend des graces que l'on a faites, c'est que l'orgueil de celui qui donne, et l'or

*CCXVIII.

L'hypocrisie est un hommage que le vice gueil de celui qui reçoit, ne peuvent convenir rend à la vertu. du prix du bienfait.

CCXXIV.

reconnoissance ne peuvent pas pour cela se Tous ceux qui s'acquittent des devoirs de la flatter d'être reconnoissants.

Dans la première édition, La Rochefoucauld n'avoit pas étendu ce raisonnement à la vertu des femmes.

que pour les vivants. Je dis que c'est une espèce d'hypocrisie, à cause que dans ces sortes d'afflictions on se trompe soi-même. Il y a une autre hypocrisie qui n'est pas si innocente, parcequ'elle impose à tout le monde : c'est l'affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d'une belle et immortelle douleur. Après que le temps, qui consume tout, a fait cesser celle qu'elles avoient en effet, elles ne laissent pas d'opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes et leurs soupirs; elles prennent un personnage

CCXXVIII.

propre ne veut pas payer.

L'orgueil ne veut pas devoir, et l'amour- lugubre, et travaillent à persuader, par toutes leurs actions, que leur déplaisir ne finira qu'avec leur vie. Cette triste et fatigante vanité se trouve d'ordinaire dans les femmes ambitieuses. Comme leur sexe leur ferme tous

CCXXIX.

Le bien que nous avons reçu de quelqu'un veut que nous respections le mal qu'il nous fait '. CCXXX.

les chemins qui mènent à la gloire, elles s'efforcent de se rendre célèbres par la montre d'une inconsolable affliction. Il y a encore une autre espèce de larmes qui n'ont que de petites sources qui coulent et se tarissent facilement. On pleure pour avoir la réputation d'être tendre; on pleure pour être plaint; on pleure pour être pleuré; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas.

CCXXVI.

Le trop grand empressement qu'on a de s'acquitter d'une obligation, est une espèce d'ingra

titude.

CCXXVII.

Les gens heureux ne se corrigent guère; ils croient toujours avoir raison, quand la fortune soutient leur mauvaise conduite.

Rien n'est si contagieux que l'exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui n'en produisent de semblables. Nous imitons les bonnes actions par émulation, et les mauvaises par la malignité de notre nature, que la honte retenoit prisonnière, et que l'exemple met en liberté.

CCXXXIV.

CCXXXI.

C'est plus souvent par orgueil que par défaut de lumières, qu'on s'oppose avec tant d'opiC'est une grande folie de vouloir être sage niâtreté aux opinions les plus suivies on trouve les premières places prises dans le bon parti, et on ne veut point des dernières.

tout seul.

CCXXXV.

CCXXXII.

Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n'est souvent que l'intérêt et la vanité qui les causent.

CCXXXIII.

Il y a dans les afflictions diverses sortes d'hypocrisie. Dans l'une, sous prétexte de pleurer la perte d'une personne qui nous est chère, nous nous pleurons nous-mêmes; nous regrettons la bonne opinion qu'elle avoit de nous; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération. Ainsi les morts ont l'honneur des larmes qui ne coulent

Var. Le bien qu'on nous a fait vent que nous respections le mal que l'on nous fait après. (4663-no 243.) — Le bien que nous avons reçu veut que nous respections le mal qu'on nous fait. (1666-1671 — 1675 — no 229.)

Nous nous consolons aisément des disgraces de nos amis, lorsqu'elles servent à signaler notre tendresse pour eux.

CCXXXVI.

Il semble que l'amour-propre soit la dupe de la bonté, et qu'il s'oublie lui-même lorsque nous travaillons pour l'avantage des autres. Cependant c'est prendre le chemin le plus assuré pour arriver à ses fins; c'est prêter à usure, sous prétexte de donner: c'est enfin s'acquérir tout le monde par un moyen subtil et délicat '.

Far. Qui considérera superficiellement tous les effets de la

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