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lignité humaine, qui, à la vérité, épargne d'ordinaire les morts, mais qui quelquefois aussi insulte à leurs cendres, quand c'est un prétexte de plus de déchirer les vivans. >>

Cet éloge funèbre doit être mis au rang des ouvrages éloquens de notre langue. Le commencement est d'une élévation tranquille et d'une majesté simple. La suite est un mélange de raison et de sensibilité, de douceur et de force : c'est le sentiment qui sait instruire, c'est la philosophie qui sait parler à l'ame. Toute la fin respire le charme de l'amitié, et porte l'impression de cette mélancolie douce et tendre, qui quelquefois accompagne le génie, et qu'on retrouve en soi-même avec plaisir, soit dans ces momens, qui ne sont que trop communs, où l'on a à se plaindre de l'injustice des hommes; soit lorsque blessée dans l'intérêt le plus cher, celui de l'amitié ou de l'amour, l'ame fuit dans la solitude pour aller vivre et converser avec elle-même; soit quand la maladie et la langueur attaquant des organes foibles et délicats, mettent une espèce de voile entre nous et la nature; ou lorsqu'après avoir perdu des personnes que l'on aimoit, plein de la tendre émotion de sa douleur, on jette un regard languissant sur le monde, qui nous paroît alors désert, parce que pour l'ame sensible il n'y a d'êtres vivans que ceux qui lui répondent.

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En quittant cet éloge funèbre des officiers, fait par un homme célèbre, il est impossible de ne pas former un souhait avec l'orateur; c'est que la cou

tume qui étoit autrefois établie à Athènes, le fût aussi parmi nous. Puisque la guerre durera autant que les intérêts et les passions humaines; puisque les peuples seront toujours entre eux dans cet état sauvage de nature, où la force ne reconnoît d'autre justice que le meurtre, il importe à tous les gouvernemens d'honorer la valeur. Nous avons une école où la jeune noblesse destinée à la guerre, est élevée. C'est dans cette maison que devroit être prononcé l'éloge des guerriers morts pour l'état. A la fin de chaque campagne, ou du moins de chaque guerre, on institueroit une fête publique pour célébrer la mémoire de ces braves citoyens. La salle, ou le temple destiné à cette fête, seroit orné de trophées et de drapeaux enlevés sur l'ennemi. Les chefs de la noblesse, les chefs des armées, les officiers députés de tous les régimens, les soldats même qui auroient mérité cette distinction, y seroient invités. Et pourquoi le souverain lui-même, le souverain qui représente la patrie, et qui partage avec elle la re. connoissance du sang qu'on a versé pour elle, n'assisteroit-il pas à cette cérémonie auguste? Nos rois ne dédaigneroient pas d'honorer dans le tombeau ceux qui, en mourant, n'ont voulu quelquefois d'autre récompense qu'un de leurs regards. Les hommes de lettres les plus distingués brigueroient à l'envi' l'honneur de prononcer cet éloge funèbre. Chacun, à l'exemple de Périclès et de Platon, voudroit célébrer les défenseurs et les victimes honora

bles de l'état. On citeroit les grandes actions; on citeroit cette foule de traits qui, dans le cours d'une campagne ou d'une guerre, échappent à des héros que souvent on ne connoissoit point; car il est des hommes qui, simples et peu remarqués dans l'usage ordinaire de la vie, déploient dans les grands dangers un grand caractère, et révèlent tout-à-coup le secret de leur ame, On immortaliseroit des prodiges de valeur que souvent la jalousie étouffe, et que bientôt l'ingratitude oublie. On rendroit justice à des officiers obscurs, à qui il est plus aisé de sacrifier leur vie que d'obtenir la gloire. Souvent même l'orateur prononceroit devant le souverain le nom de simples soldats; il célébreroit en eux une sorte d'héroïsme inculte et sauvage, qui fait de grandes choses avec naïveté, et qui étonne quelquefois les autres sans se connoître lui-même. Mais si, en rappe lant le souvenir de ces batailles, monumens de deuil et de grandeur, si en retraçant les actions et la mort de tant de guerriers, on voyoit une larme s'échapper de l'œil du souverain; si l'orateur, s'interrompant tout-à-coup, la faisoit remarquer à la jeune noblesse qui l'écoute, croit-on qu'un jour dans les combats elle n'eût pas sans cesse présent le spectacle qui l'eût frappée dans son enfance? On ose dire qu'une pareille institution seroit utile à l'état et au prince. L'officier en deviendroit plus grand ; le soldat même n'oseroit plus se croire avili dans son obscurité; il sauroit que, pour aspirer à la renom

mée, il suffit d'être brave, et qu'elle n'est plus, comme les honneurs, le patrimoine exclusif de celui qui a de la fortune et des aïeux.

CHAPITRE XXXV.

Des éloges des gens de lettres et des savans. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous.

Nous avons vu dans l'espace de près de vingtcinq siècles que nous venons de parcourir, la louange presque toujours accordée à la force. Nous avons vu les panégyristes le plus souvent au pied des trônes, dans les cabinets des ministres, sur les champs de bataille des conquérans, sur la tombe de tous les hommes puissans, vertueux ou coupables, utiles ou inutiles à la patrie. Nous avons vu des orateurs pleurant sur des cendres viles; le crime honoré par l'éloge; l'esclave louant en esclave, et remerciant de la pesanteur de ses fers; l'intérêt dictant des mensonges à la renommée; et l'autorité croyant usurper la gloire, et la bassesse croyant la donner. A la fin, on a conçu qu'il étoit quelquefois permis de louer ce qui étoit utile sans être puissant. Il y a des hommes, grands pendant qu'ils vivent, et qui ne sont pas toujours sûrs de l'être après la mort. Il y en a d'autres obscurs pendant la vie, et grands dès qu'ils ne sont plus. Sans autre autorité que celle de leur

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génie, ils s'occupent sur la terre à faire tout le bien qu'ils peuvent. Leur but est de perfectionner non pas un homme, mais le genre humain. Ils tâchent d'étendre et d'agrandir la raison universelle; de reculer les limites de toutes les connoissances; ver la nature morale, de dompter et d'assujettir à l'homme la nature physique; d'établir pour soins une correspondance entre les cieux et la terre, entre la terre et les mers, entre leur siècle et les siècles qui ne sont plus, ou ceux qui seront un jour; de contribuer, s'il est possible, à la félicité publique, par la réunion des lumières, comme ceux qui gouvernent y travaillent par la réunion des forces. Ils sont les bienfaiteurs, et, pour ainsi dire, les législateurs de la société. En Angleterre, en Italie, en France, en Espagne, en Russie, à la Chine, tous ces hommes, sans se connoître et sans s'être vus, animés du même esprit, suivent le même plan. Ils meurent, et leurs pensées restent. Leur cendre disparoît, et leur ame circule encore dans le monde. Ceux qui leur succèdent, reprennent leurs travaux où ils les ont laissés. Pendant leur vie, la plupart existent séparés de la foule, méditant tandis qu'on ravage, et occupés à penser sur ce globe que l'avarice et l'ambition bouleversent. L'envie debout à côté d'eux les observe; la calomnie les outrage; tourmentés à proportion qu'ils sont grands, on met quelquefois le malheur à côté du génie. Il semble, quand ils ne sont plus qu'on devroit du moins rendre quelque honneur à leurs cendres. On ne risque

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