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L'odeur d'un jus fi doux lui rend le faix moins rude.
Il est bien-toft fuivi du Sacriftain Boirude,
Et tous deux de ce pas s'en vont avec chaleur
Du trop lent Horloger reveiller la valeur.
Partons, lui dit Brontin: Déja le jour plus fombre
Dans les eaux s'éteignant va faire place à l'ombre.
D'où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux ?
Quoi ? le Pardon fonnant te retrouve en ces lieux ?
Où donc eft ce grand cœur, dont tantoft l'allegreffe
Sembloit du jour trop long accufer la Pareffe?
Marche,& fui nous du moins où l'honneur nous attend.
L'Horloger indigné rougit en l'écoutant.
Auffi-toft de longs clous il prend une poignée:
Sur fon épaule il charge une lourde coignée:
Et derriere fon dos qui tremble fous le poids,
Il attache une fcie en forme de carquois.
Il fort au même inftant, il fe met à leur tefte.
A fuivre ce grand Chefl'un & l'autre s'apprefte.
Leur cœur femble allumé d'un zele tout nouveau.
Brontin tient un maillet, & Boirude un marteau.
La Lune qui du Ciel void leur demarche altiere,
Retire en leur faveur fa paifible lumiere.
La Discorde en foûrit, & les fuivant des yeux,
De joie, en les voiant, pouffe un cri dans les Cieux.
L'air qui gemit du cri de l'horrible Déesse,
Va jufques dans Cifteaux reveiller la Molleffe.
C'eft-là qu'en un dortoir elle fait fon féjour.
Les plaifirs nonchalans folaftrent à l'entour.
L'un paîtrit dans un coin l'embonpoint des Chanoines:
L'autre broye en riant le vermillon des Moines:
La Volupté la fert avec des yeux dévots,
Et toujours le Sommeil lui verfe des pavots.
Ce foir plus que jamais envain il les redouble.
La Molleffe à ce bruit fe reveille, fe trouble.
Quand la Nuit, qui déja va tout envelopper,
D'un funefte recit vient encor la frapper:
Lui conte du Prelat l'entreprise nouvelle.
Aux piez des murs facrez d'une Sainte Chapelle

Elle

Elle a vê trois Guerriers ennemis de la paix,
Marcher à la faveur de fes voiles épais.
La Difcorde en ce lieu menace de s'accroiftre.
Demain avec l'Aurore un Lutrin va paroïstre,
Que doit y foûlever un peuple de mutins.
Ainfi le Ciel l'écrit au livre des Destins.

A ce trifte difcours, qu'un long foûpire acheve,
La Molleffe en pleurant fur un bras fe releve,
Ouvre un œil languiffant, & d'une foible voix,
Laiffe tomber ces mots, qu'elle interrompt vingt fois.
O Nuit, que m'as-tu dit ? Quel Demon fur la Terre
Soufle dans tous les cœurs la fatigue & la guerre ?
Helas! qu'eft devenu ce temps, cet heureux temps,
Où les Rois s'honoroient du nom de Faincans,
S'endormoient fur le Trône, & me fervant fans honte,
Laiffoient leur fceptre aux mains ou d'un Maire ou d'un
Comte?

Aucun foin n'approchoit de leur paisible Cour.
On repofoit la nuit : On dormoit tout le jour.
Seulement au Printemps, quand Flore dans les plai-

nes

Faifoit taire des Vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelez, d'un pas tranquille & lent,
Promenoient daus Paris le Monarque indolent.
Ce doux fiecle n'eft plus. Le Ciel impitoiable
A placé fur leur Trône un Prince infatigable.
Il brave mes douceurs : il eft fourd à ma voix :
Tous les jours il m'éveille au bruit de fes explois.
Rien ne peut arrefter fa vigilante audace.
L'Efté n'a point de feux, l'Hyver n'a point de glace.
J'entens à fon feul nom tous mes Sujets fremir.
En vain deux fois la Paix a voulu l'endormir:
Loin de moi fon courage entraîné par la gloire
Ne fe plaift qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois, à te tracer le cours

Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croiois, loin des lieux d'où ce Prince m'exile,
Que l'Eglife du moins m'affûroit un azile.

Mais en vain j'efperois y regner fans effroi:
Moines, Abbez, Prieurs, tout s'arme contre moi.
Par mon exil honteux la Trape eft annoblie.
J'ai vu dans Saint Denis la reforme eftablie.
Le Carme, le feuillant s'endurcit aux travaux :
Et la Regle déja fe remet dans Clervaux.
Cifteaux dormoit encore, & la Sainte Chapelle
Confervoir du vieux temps l'ofiveté fidele;
Et voici qu'un Lutrin preft à tout renverfer,
D'un sejour si cheri vient encor me chaffer.
O Toi, de mon repos compagne aimable & fombre,
A de fi noirs forfaits prefteras tu ton ombre?
Ah! Nuit, fi tant de fois, dans les bras de l'Amour,
Je t'admis aux plaisirs que je cachois au jour ;
Du moins ne permets pas.... La Molleffe oppreffée
Dans fa bouche à ce mot fent fa langue glacée,
Et laffe de parler, fuccombant fous l'effort,
Soûpire, eftend les bras, ferme l'œil, & s'endort.

CHANT

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CHANT III.

Ais la Nuit auffi-toft de fes aifles affreuses.
Couvre des Bourguignons les campagnes vi-

neufes:

Revole vers Paris, & hastant son retour,
Déja de Monlheri void la fameuse tour.
Ses murs dont le fommet fe dérobe à la veüe,
Sur la cime d'un roc s'alongent dans la nüe,
Et prefentant de loin leur objet ennuieux,
Du paffant qui le fuit, femblent fuivre les yeux.
Mille oifeaux effraians, mille corbeaux funebres,
De ces murs defertez habitent les tenebres.
Là depuis trente hy vers un Hibou retiré
Trouvoit contre le jour un refuge affuré.
Des defaftres fameux ce Meffager fidele
Sçait toûjours des malheurs la premiere nouvele,
Et tout preft d'en femer le prefage odieux,
Il attendoit la Nuit dans ces fauvages lieux.
Aux cris, qu'à fon abord vers le Ciel il envoie,
Il rend tous les voi fins attristez de fa joie.
La plaintive Progné de douleur en fremit:
Et dans les bois prochains Philomele en gemit.
Sui moi, lui dit la Nuit. L'Oyleau plein d'allegreffe
Reconnoift à ce ton la voix de fa Maistreffe.
Il la fuit : & tous deux, d'un cours precipité,
De Paris à l'instant abordent la Cité.
Là s'élançant d'un vol, que le vent favorife,
Ils montent au fommet de la fatale Eglise.
La Nuit baiffe la veuë, & du haut du Clocher
Obferve les Guerriers, les regarde marcher.
Elle void l'Horloger, qui d'une main legere,
Tient un verre de vin qui rit dans la fougere,
Et chacun tour à tour s'inondant de ce jus,
Celebrer en buvant Gilotin & Bacchus.

Ils triomphent, dit-elle, & leur ame abusée
Se promet dans mon ombre une victoire aisée.

t

Mais allons, il eft temps qu'ils connoiffent la Nuit.
A ces mots regardant le Hibou qui la suit,
Elle perce les murs de la voute facrée,
Jufqu'en la Sacriftie elle s'ouvre une entrée,
Et dans le ventre creux du Pupitre fatal
Va placer de ce pas le finiftre animal.

Mais les trois Champions pleins de vin & d'audace,
Du Palais cependant paflent la grande place :
Et fuivant de Bacchus les aufpices facrez,
De l'augufte Chapelle ils montent les degrez.
Ils atteignoient déja le fuperbe Portique,
Où Ribou le Libraire, au fond de fa boutique,
Sous vingt fideles clefs, garde & tient en dépoft
L'amas toûjours entier des écrits de Burfoft.
Quand Boirude, qui void que le peril approche,
Les arrefte, & tirant un fufil de fa poche,

Des veines d'un caillou, qu'il frappe au même instant,
Il fait jaillir un feu qui petille en fortant:

Et bien toft au brazier d'une mesche enflammée,
Montre, à l'aide du souftre, une cire allumée.
Cet Aftre tremblotant, dont le jour les conduit,
Eft pour eux un Soleil au milieu de la nuit.
Le Temple à fa faveur eft ouvert par Boirude:
Ils paffent de la Nef la vafte folitude,

Et dans la Sacriftie entrant, non fans terreur,
En percent jufqu'au fond la tenebreuse horreur.
C'elt-là que du Lutrin gift la machine énorme.
La troupe quelque temps en admire la forme.
Quand l'Horloger qui tient les momens precieux:
Ce fpectacle n'elt pas pour amufer nos yeux,
Dit-il, le temps eft cher, portons-le dans le Temple
C'eft-là qu'il faut demain qu'un Prelat le contemple.
Et d'un bras, à ces mots, qui peut tout ébranler,
Lui-même fe courbant s'apprefte à le rouler.
Mais à peine il y touche, ô prodige incroiable!
Que du Pupitre fort une voix effroiable.
Brontin en est émû : le Sacristain paslit:
Et l'Horloger commence à regretter fon lit.

Dans

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