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jours par valeur et par chasteté, que les hommes sont vaillants, et que les femmes sont chastes'. II.

* VIII.

Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours. Elles sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles; et

L'amour-propre est le plus grand de tous les l'homme le plus simple, qui a de la passion,

flatteurs.

* III.

Quelque découverte que l'on ait faite dans le pays de l'amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues.

IV.

L'amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde.

* V.

persuade mieux que le plus éloquent qui n'en a point '.

IX.

Les passions ont une injustice et un propre intérêt, qui fait qu'il est dangereux de les suivre, et qu'on s'en doit défier, lors même qu'elles paroissent les plus raisonnables.

* X.

Il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions; en sorte que la ruine

La durée de nos passions ne dépend pas plus de l'une est presque toujours l'établissement de nous, que la durée de notre vie.

VI.

La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent les plus sots habiles 2.

VII.

Ces grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux, sont représentées par les politiques comme les effets des grands desseins, au lieu que ce sont d'ordinaire les effets de l'humeur et des passions. Ainsi la guerre d'Auguste et d'Antoine, qu'on rapporte à l'ambition qu'ils avoient de se rendre maîtres du monde, n'étoit peut-être qu'un effet de jalousie 3.

1 VARIANTE. Nous sommes préoccupés de telle sorte en notre faveur, que ce que nous prenons souvent pour des vertus, n'est en effet qu'un nombre de vices qui leur ressemblent, et que l'orgueil et l'amour-propre nous ont déguisés. (1663—no 484.) De plusieurs actions différentes que la fortune arrange comme il lui plait, il s'en fait plusieurs vertus. (4663-no 293.)

Dans la seconde et la troisième édition (4666, 1674), La Rochefoucauld refondit ces deux pensées en une seule, qu'il plaça au commencement de son ouvrage; ce ne fut que dans les deux dernières éditions (4673, 1678) que cette maxime parut telle qu'on la voit aujourd'hui.

a l ́ar. On lit dans l'édition de 1665 : « La passion fait souvent du plus habile homme un fol, et rend quasi toujours les plus sots habiles. » Les mots fol et quasi disparurent dans la deuxième édition. (1666.)

3 Var. La Rochefoucauld avoit d'abord présenté d'une manière affirmative le motif de cette guerre; voici comment il s'exprinoit : « .....Ainsi, la guerre d'Auguste et d'Antoine, qu'on rapporte à l'ambition qu'ils avoient de se rendre maîtres du monde, étoit un effet de jalousie. » (4665-no 7.) Depuis, l'auteur emplaya la forme dubitative.

d'une autre.

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Les hommes ne sont pas seulement sujets à perdre le souvenir des bienfaits et des injures; ils haïssent même ceux qui les ont obligés, et cessent de hair ceux qui leur ont fait des ou

Var. On lit dans la première édition : « ...... et l'homme le plus simple que la passion fait parler, persuade mieux que celui qui n'a que la seule éloquence. » (4665—no 8.)

2 Var. Le mot prodigalité a remplacé dans les quatre dernières éditions celui de libéralité, que La Rochefoucauld avoit mis dans la première.

3 Var. Quelque industrie que l'on ait à cacher ses passions sous le voile de la piété et de l'honneur, il y en a toujours quelque endroit qui se montre. (1665—no 12.)

trages. L'application à récompenser le bien et | constance et ce mépris sont à leur esprit ce à se venger du mal, leur paroît une servitude que le bandeau est à leurs yeux '. à laquelle ils ont peine de se soumettre.

XV.

La clémence des princes n'est souvent qu'une politique pour gagner l'affection des peuples.

* XVI.

Cette clémence, dont on fait une vertu, se pratique, tantôt par vanité, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble '.

XVII.

La modération des personnes heureuses vient du calme que la bonne fortune donne à leur humeur 2.

* XVIII.

La modération est une crainte de tomber dans l'envie et dans le mépris que méritent ceux qui s'enivrent de leur bonheur : c'est une vaine ostentation de la force de notre esprit; et enfin la modération des hommes dans leur

* XXII.

La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir; mais les maux présents triomphent d'elle ".

* XXIII.

Peu de gens connoissent la mort; on ne la souffre pas ordinairement par résolution, mais par stupidité et par coutume; et la plupart des hommes meurent, parce qu'on ne peut s'empêcher de mourir 3.

XXIV.

Lorsque les grands hommes se laissent abattre par la longueur de leurs infortunes, ils font voir qu'ils ne les soutenoient que par la force de leur ambition, et non par celle de leur ame; et qu'à une grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes 4.

XXV.

plus haute élévation, est un desir de paroître la bonne fortune que la mauvaise 5. plus grands que leur fortune.

Il faut de plus grandes vertus pour soutenir

XIX.

* XXVI.

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder

Nous avons tous assez de force pour sup- fixement. porter les maux d'autrui.

* XX.

La constance des sages n'est que l'art de renfermer leur agitation dans leur cœur.

XXI.

Ceux qu'on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort, qui n'est en effet que la crainte de l'envisager; de sorte qu'on peut dire que cette

Var. La clémence, dont nous faisons une vertu, se pratique tantôt pour la gloire, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble. (1665 -no 16.)

* Var. La modération des personnes heureuses est le calme de leur humeur adoucie par la possession du bien. (4663no 19.)

XXVII.

On fait souvent vanité des passions, même

1 Var. Ceux qu'on fait mourir affectent quelquefois des constances, des froideurs et des mépris de la mort, pour ne pas penser à elle; de sorte qu'on peut dire que ces froideurs et ces mépris font à leur esprit ce que le bandeau fait à leurs yeux. (1663—no 24.)

Var. La philosophie triomphe aisément des maux passés et de ceux qui ne sont pas prêts d'arriver, mais les maux présents

triomphent d'elle. (1665—no 25.)

3 Var. Dans la première édition, cette réflexion se termine

ainsi : « .....et la plupart des hommes meurent parce qu'on

meurt. » (1663—no 26.)

4 Var. Les grands hommes s'abattent et se démontent à la fin par la longueur de leurs infortunes; cela fait bien voir qu'ils n'étoient pas forts quand ils les supportoient, mais seulement qu'ils se donnoient la gène pour le paroître, et qu'ils soutenoient leurs malheurs par la force de leur ambition, et non pas par celle de leur ame; enfin, à une grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes. (1665—no 27.)

5 Var. Il faut de plus grandes vertus et en plus grand nombre pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise. (4665—no 28, )

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L'intérêt qui aveugle les uns, fait la lumière des autres 2.

XLI.

Var. Quoique toutes les passions se dussent cacher, elles ne craignent pas néanmoins le jour; la seule envie est une passion timide et honteuse qu'on n'ose jamais avouer. (1665-no 30. ) 2 Vur. La jalousie est raisonnable et juste en quelque manière, puisqu'elle ne cherche qu'à conserver un bien qui nous appar- Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses, tient, ou que nous croyons nous appartenir; au lieu que l'envie deviennent ordinairement incapables des gran

est une fureur qui nous fait toujours souhaiter la ruine du bien des autres. (4665-no 31.)

3 Var. Si nous n'avions point de défauts, nous ne serions pas si aises d'en remarquer aux autres. (4663—no 34.)

4 Var. La jalousie ne subsiste que dans les doutes : l'incertitude est sa matière; c'est une passion qui cherche tous les jours de nouveaux sujets d'inquiétude et de nouveaux tourments. On cesse d'être jaloux dès que l'on est éclairci de ce qui causoit la jalousie. (1665-no 35.)—La jalousie se nourrit dans les doutes. C'est une passion qui cherche toujours de nouveaux sujets d'inquiétude et de nouveaux tourments, et elle devient fureur sitôt qu'on passe du doute à la certitude. (1666-no 32. )

des 3.

Var. La nature, qui a si sagement pourvu à la vie de l'homme par la disposition admirable des organes du corps, lui a sans doute donné l'orgueil pour lui épargner la douleur de connoître ses imperfections et ses misères. (1665 — -no 40.)

2 Var. L'intérêt, à qui on reproche d'aveugler les uns, est tout ce qui fait la lumière des autres. (1663—no 44.)

3 Var. La complexion qui fait le talent pour les petites choses, est contraire à celle qu'il faut pour le talent des grandes. (1665 -no 51.)

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La haine pour les favoris n'est autre chose que l'amour de la faveur. Le dépit de ne la pas

Var. Ceux qui se sentent du mérite se piquent toujours d'être malheureux, pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu'ils sont au-dessus de leurs malheurs, et qu'ils sont dignes

On n'est jamais si heureux ni si malheureux d'être en butte à la fortune. (1665—no 57.) On trouve dans la qu'on s'imagine 3.

Var. L'homme est conduit, lorsqu'il croit se conduire, et pendant que par son esprit il vise à un endroit, son cœur l'achemine insensiblement à un autre. (1665-no 47.)

* Var. L'attachement ou l'indifférence pour la vie, sont des goûts de l'amour-propre, dont on ne doit non plus disputer que de ceux de la langue, ou du choix des couleurs. (1665-no 52.) 3 Var. On n'est jamais si malheureux qu'on croit, ni si heureux qu'on avoit espéré. (4665-no 59.)-On n'est jamais si beureux ni si malheureux que l'on pense. (1666-no 50.)

même édition (no 60) la même pensée ainsi rédigée : « On se console souvent d'ètre malheureux par un certain plaisir qu'on trouve à le paroître. »

Var. Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes. que de voir que nous avons été contents dans l'état et dans les sentiments que nous désapprouvons à cette heure. (4663.-—no 38.)

3 Var. Quelque différence qu'il y ait entre les fortunes, il y a pourtant une certaine proportion de biens et de maux qui les rend égales. (1665-no 61.)

4 Var. Quelques grands avantages que la nature donne, ce n'est pas elle, mais la fortune qui fait les héros. (1665-no 62. )

posséder se console et s'adoucit par le mépris | perceptible ambition de rendre nos témoignages que l'on témoigne de ceux qui la possèdent; et considérables, et d'attirer à nos paroles un resnous leur refusons nos hommages, ne pouvant pect de religion. pas leur ôter ce qui leur attire ceux de tout le monde.

LVI.

Pour s'établir dans le monde, on fait tout ce que l'on peut pour y paroître établi.

LVII.

Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d'un grand dessein, mais des effets du hasard'.

LVIII.

Il semble que nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses, à qui elles doivent une grande partie de la louange et du blâme qu'on leur donne.

LIX.

Il n'y a point d'accidents si malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage, de si heureux que les imprudents ne puissent tourner à leur préjudice.

LX.

LXIV.

La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde, que ses apparences y font de mal. * LXV.

Il n'y a point d'éloges qu'on ne donne à la prudence; cependant elle ne sauroit nous assu

rer du moindre évènement *.

LXVI.

Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts, et les conduire chacun dans son ordre. Notre avidité le trouble souvent, en nous faisant courir à tant de choses à la fois, que pour desirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables.

* LXVII.

La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l'esprit.

LXVIII.

Il est difficile de définir l'amour: ce qu'on en

La fortune tourne tout à l'avantage de ceux peut dire est que, dans l'ame, c'est une passion qu'elle favorise ".

LXI.

Le bonheur et le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune.

LXII.

La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens; et celle que l'on voit d'ordinaire, n'est qu'une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres.

LXIII.

Var. L'auteur s'est essayé plusieurs fois avant d'arriver à une précision si parfaite. Voici comment il s'exprimoit dans sa première édition : « On élève la prudence jusqu'au ciel, et il n'est sorte d'éloges qu'on ne lui donne; elle est la règle de nos actions et de notre conduite, elle est la maitresse de la fortune,

elle fait le destin des empires; sans elle on a tous les maux,

avec elle on a tous les biens; et comme disoit autrefois un poète, quand nous avons la prudence, il ne nous manque aucune divinité: Nullum numen abest, si sit prudentia. (JUVÉNAL, Sat. x), pour dire que nous trouvons dans la prudence tout le secours que nous demandons aux dieux. Cependant la prudence la plus consommée ne sauroit nous assurer du plus petit effet du monde, parce que travaillant sur une matière aussi changeante et aussi inconnue qu'est l'homme, elle ne peut exécuter sûrement aucun de ses projets : d'où il faut conclure que toutes les louanges dont nous flattons notre prudence, ne sont que des effets de notre amour-propre, qui s'applaudit en toutes choses et en toutes rencontres. » ( 4663—no 75. ) Dès la seconde édition,

L'aversion du mensonge est souvent une im- l'auteur se corrigea ainsi : « Il n'y a point d'éloges qu'on ne

■ Var. Quoique la grandeur des ministres se flatte de celle de leurs actions, elles sont bien souvent les effets du hasard ou de quelque petit dessein. ( 4663-no 66.)

2 Var. La fortune ne laisse rien perdre pour les hommes heureux. ( 1663—no 69. )

donne à la prudence. Cependant, quelque grande qu'elle soit, elle ne sauroit nous assurer du moindre évènement, parcequ'elle travaille sur l'homme, qui est le sujet du monde le plus changeant. » ( 4666—no 66 ; —−1671,4675—no 65.) Enfin, dans sa dernière édition, l'auteur refit cette pensée telle qu'elle est aujourd'hui. Ces différents essais offrent une étude de style bien digne d'être méditée.

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