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rête alors; et il laisse entrevoir dans le lointain la nouvelle ruine de ce peuple: offrant ainsi dans un mêmé cadre toutes les révolutions morales et politiques. des peuples et des gouvernemens.

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Ailleurs, c'est un traité de la tolérance rcligieuse. Autour de la question principale sont répandues par grouppes, vingt questions non moins fécondes. Celles de la multiplicité des religions dans un empire, et de ses effets; de l'esprit de prosélytisme et de ses dangers; questions nettement exposées, tour-à-tour éclaircies séparément, ou résolues l'une par l'autre. Plus loin, c'est l'examen des principes du droit politique, le tableau des gouvernemens de l'Europe, toutes ces conceptions d'un grand publiciste développées depuis dans l'Esprit des lois.

Parmi ces grands objets de méditation, des digressions riantes et variées sur les mœurs et les amours orientales, des peintures originales et voluptueuses, viennent par un mélange charmant, égayer l'esprit du lecteur, et lui rendent son attention délassée et toute fraîche, pour les nouvelles méditations qui doivent suivre.

Mais ce qu'il y a dans ce livre de plus digne de son auteur, et de l'attention d'un lecteur qui réfléchit, c'est qu'en se rendant un compte fidèle des gouvernemens européens, Usbeck et son ami nous offrent dans mille traits épars, un tableau achevé de l'état où se trou

vaient alors les lumières dans les diverses parties de l'Europe. En le traçant, ce tableau, Montesquieu parut dire à son siècle : « Voilà ce qu'on a fait avant vous; songez à ce qu'il vous reste à faire. »

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Un style nerveux et flexible, brillant et pur, anime fait mouvoir et ressortir encore et ces peintures piquantes, et ces majestueux tableaux. Il ne sera peut-être pas sans intérêt d'observer que le soin particulier que dut apporter Montesquieu, jeune encore, à l'imitation du style oriental qui devait être en plusieurs endroits celui des lettres Persanes a concouru sans doute avec l'éclat et la verve poétique de son imagination, à lui donner ce style pittoresque, cette manière de figurer et de peindre sa pensée, cet art, (que nous aurons soin de remarquer ailleurs ), de présenter quelquefois tout le résultat d'une méditation lente et profonde dans une image vive et inattendue.

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Les lettres Persanes sont le premier monument philosophique élevé par le génie dans le dix-huitième siècle. Une foule d'imitations qu'elles produisirent dès leur naissance, les tracasseries qu'elles attirèrent à leur auteur, prouvent également la vive sensation qu'elles firent dans le public, et la révolution qu'elles commencèrent dans les idées. Ces lettres en effet renferment les germes de plusieurs grandes vérités que nous verrons successivement se développer, croître, pour ainsi dire, et mûrir, dans divers ouvrages qui ont illustré la plus belle moitié de ce siècle,

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Page 48. Un cri d'admiration s'est élevé dans l'Europe entière, etc.

Cela n'empêcha point les critiques de se multiplier rapidement. L'Esprit des Lois parut en 1748. Dès 1750, l'abbé de la Porte publia ses Observations sur l'Esprit des Lois, ou l'Art de lire ce livre, de l'entendre et de le juger. A Paris, 2 vol. in-12. L'abbé de Bonnaire donna, quelques tems après son Esprit des Lois quintessencié par une suite de Lettres analytiques, égale ment en 2 vol. in-12. Crevier, en 1764, fit paraître aussi, en un seul volume, de nouvelles Observations sur l'Esprit des Lois. Le fermier-général Dupin, aidé du père Berthier, en publia trois volumes; mais il les retira prudemment, après en avoir distribué un très-petit nombre d'exemplaires. L'auteur de la Théorie des Lois aurait dû imiter cet exemple : il est connu par des paradoxes de tout genre; et l'on doit peu s'étonner s'il se présente toujours comme l'antagoniste de Grotius, de Puffendorf et de Montesquieu. La Lettre d'Helvétius, et celle de Saurin, sur l'Esprit des Lois, méritaient plus d'attention et en obtinrent davantage ; elles ont été insérées dans une édition de Montesquieu.

Boulanger de Rivery, après avoir réfuté dans une Apologie de l'Esprit des Lois, les deux volumes de l'abbé de la Porte, fit le même honneur au livre de l'abbé de Bonnaire, qui le méritait encore moins. Un négociant de Bordeaux fit paraître une autre Réponse aux critiques de la Porte. Elle a été réimprimée dans quelques éditions des Lettres de Montesquieu, que l'on soupçonna faussement d'y avoir participé. Mais la meilleure

Défense de l'Esprit des Lois, est la réfutation que Montesquieu daigna faire lui-même du plus acharné de ses détracteurs, et à laquelle La Beaumelle a depuis ajouté une Suite, qui ne fut guère lue dans le et ne l'est plus du tout aujourd'hui.

tems,

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où il

Voltaire, après avoir aussi défendu l'auteur de l'Esprit des Lois, dans une Lettre charmante, pleine de raison et d'esprit, après avoir donné à ce grand ouvrage le magnifique éloge que j'ai rapporté dans le texte de ce discours, en a fait lui-même une critique se résume ainsi : « Après avoir vu qu'il y a des erreurs, » comme ailleurs, dans l'Esprit des Lois; après que >> tout le monde est convenu que ce livre manque de » méthode, qu'il n'y a nul plan, nul ordre, et qu'après » l'avoir lu, on ne sait guère ce qu'on a lu, il faut » rechercher quel est son mérite, et quelle est la cause » de sa grande réputation.

>> C'est premièrement qu'il est écrit avec beaucoup » d'esprit, et que tous les autres livres sur cette matière sont ennuyeux. C'est pourquoi nous avons déjà » remarqué qu'une dame, qui avait autant d'esprit que » Montesquieu, disait que son livre était de l'esprit » sur les Lois. On ne l'a jamais mieux défini. » (Quest. sur l'Encycl., tome V, art. Esprit des Lois.)

On lit, dans le même ouvrage : ( tom. II, art. Art poétique) « L'auteur des Lettres Persanes, si aisées » à faire, et parmi lesquelles il y en a de très-jolies, » d'autres très-hardies, d'autres médiocres, d'autres frivoles, etc. »

Ces jugemens, sur lesquels il est inutile de hasarder aucune réflexion, se retrouvent malheureusement en plusieurs endroits de la correspondance de Voltaire. Malheureusement aussi, des jugemens du même genre sur les ouvrages de Voltaire lui-même, se trouvent en quelques endroits des œuvres de Montesquieu. Qui pourrait lire, par exemple, sans étonnement dans ses Pensées diverses recueillies depuis sa mort sur un manuscrit autographe: « Voltaire n'est pas beau, il

n'est que joli Il serait honteux pour l'Académie » que Voltaire en fût, et il lui sera quelque jour hon<<< teux qu'il n'en ait pas été ».

<<< Les ouvrages de Voltaire sont comme les visages »mal proportionnés qui brillent de jeunesse ».

<<< Voltaire n'écrira jamais une bonne histoire. Il est » comme les moines, qui n'écrivent pas pour le sujet » qu'ils traitent mais pour la gloire de leur ordre. Voltaire écrit pour son couvent, etc. ».

Lorsqu'on transcrit de semblables morceaux, un sentiment pénible fait tomber la plume des mains: il faut plaindre les grands hommes, et être bien convaincu qu'ils n'ont jamais rien à attendre que de la justice lente

du tems.

Elle arrive enfin cette justice tardive pour les ouvrages comme pour les actions. Elle condamne ces saillies d'amour-propre qui cependant ne sont guère nuisibles qu'à celui qui se les permet, ces injustices qui souvent peuvent être involontaires: mais elle consacre par le respect et les hommages de la postérité, ces.

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