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nauvaises qualités de ceux qui ont eu le plus de part aux événemens dont ils entreprennent de faire le récit. Tels sont dans Salluste les portraits de Catilina, de Marius, de Sylla tels dans Tite-Live ceux de Furius Camillus, d'Annibal, et de tant d'autres.

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C'est en étudiant avec attention les qualités dominantes et des peuples en général, et des grands capitaines en particulier, qu'on se met en état de bien juger de leurs desseins, de leurs actions, de leurs entreprises, et qu'on peut même prévoir quelle en sera la suite. Philopémen, ce capitaine si sensé, voyant d'un côté la mollesse et la nonchalance d'Antiochus, qui s'amusoit à des festins et à des noces, et de l'autre l'attention et l'activité infatigable des Romains, n'eut pas de peine à deviner de quel côté tourneroit la victoire. Polybe, en plusieurs endroits de son histoire, a soin, par de sages réflexions, de rendre son lecteur attentif aux qualités personnelles des grands hommes dont il parle, et de faire remarquer que les conquêtes des Romains étoient l'effet d'un plan concerté de loin, et conduit à son exécution par des voies dont l'habileté des capitaines rendoit le succès presque immanquable. C'est par cette étude profonde du génie et du caractère des hommes; c'est en examinant à fond la nature et la constitution des différentes sortes de gouvernemens, et des causes naturelles qui par la suite des temps en changent la forme; enfin c'est en faisant de sérieuses réflexions sur la disposition présente des affaires et des esprits que ce même historien, dans le sixième livre de ses histoires, pousse la sagacité de la conjecture et la prévoyance de l'avenir jusqu'à déclarer nettement que tôt ou tard l'état de Rome retombera dans la monarchie. Lorsque je parlerai de l'histoire romaine je donnerai un extrait et un précis de cet endroit de Polybe, l'un des plus curieux et des plus remarquables que nous fournisse l'antiquité.

410.

§. VI. Observer dans l'histoire ce qui regarde les mœurs et la conduite de la vie.

Les observations dont j'ai parlé jusqu'ici ne sont pas les seules ni les plus essentielles; celles qui regardent le règlement des mœurs sont encore plus importantes.

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« Ce

qu'il y a (dit Tite-Live dans la belle préface de son ou« vrage) ce qu'il y a de plus avantageux dans la connois<< sance de l'histoire, c'est que l'on y peut envisager des exemples de toute espèce placés dans un grand jour. . Vous y trouvez des modèles à suivre, tant pour votre «conduite particulière que pour l'administration des «affaires publiques: vous y trouvez aussi des actions vi« cieuses dans le projet, funestes pour le succès, qui avertissent d'éviter d'en faire de semblables. » Hoc illud est præcipuè in cognitione rerum salubre ac frugiferum, omnis te exempli documenta in illustri posita monumento intueri undè tibi tuæque reipublicæ, quod imitere; capias; indè fœdum incœptu, fœdum exitu, quod vites.

Il en est à peu près de l'étude de l'histoire comme des Senec. epist. voyages. S'ils se bornent à parcourir beaucoup de pays, à voir beaucoup de villes, à examiner la beauté et la magnificence des édifices et des monumens publics, seront-ils d'un grand usage? rendront-ils quelqu'un plus sage, plus réglé, plus tempérant? lui ôteront-ils ses préjugés et ses erreurs? Ils l'amuseront pour un temps, comme un enfant, par la nouveauté et la variété des objets, qui lui causeront une stupide admiration. En user ainsi, ce n'est pas voyager, mais s'égarer et perdre son temps et sa peine : non est hoc peregrinari, sed errare. Il est dit d'Ulysse qu'il parcourut beaucoup de villes; mais ce n'est qu'après qu'on a remarqué qu'il s'appliquoit à étudier les mœurs et le génie des peuples.

Horat. in Arte poët.

Qui mores hominum multorum vidit, et urbes.

Les anciens entreprenoient de longs et fréquens voyages,

mais c'étoit pour s'instruire, pour voir des hommes, pour profiter de leurs lumières.

Tel est l'usage que nous devons faire de l'histoire. Nous avons besoin d'instruction et de modèles pour embrasser la vertu malgré tous les périls et tous les obstacles dont elle est environnée : l'histoire nous en fournit de toutes sortes. C'est là qu'on puise des sentimens de probité et d'honneur: hinc mihi ille justitiæ haustus bibat. Il faut Quintil. lib. étudier avec soin les actions et les paroles des grands hom- 12, cap. 2. mes de l'antiquité, et s'en occuper sérieusement.

Cicéron, voulant porter son frère Quintius à la douceur Epist.2, ad et à la modération, le fait souvenir de ce qu'il avoit lu Quint. dans Xénophon sur Cyrus et sur Agésilas. Il nous marque Pro Arch. que c'étoit là l'usage que lui-même faisoit des lectures de sa poëta. n. 143 jeunesse, et qu'il avoit appris dans l'histoire à tout souffrir, à tout mépriser pour sa patrie. « Combien (dit-il) « les écrivains grecs et latins nous ont-ils laissé de mo« dèles de vertus, qu'ils ne nous proposent pas pour les « regarder seulement, mais pour les imiter! Et c'est en les étudiant sans cesse, et en tâchant de les copier dans le - maniement des affaires publiques que je me suis formé « l'esprit et le cœur par l'idée des grands hommes dont « ces écrivains nous ont tracé de si admirables portraits. Quàm multas nobis imagines, non solùm ad intuendum, verùm etiam ad imitandum, fortissimorum virorum expressas scriptores et græci et latini reliquerunt ! quas ego mihi semper in administrandâ rep. proponens, animum et mentem meam ipsâ cogitatione hominum excellentium conformabam.

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Il faut donc, en apprenant l'histoire aux jeunes gens, être fort attentif à leur en faire tirer un des principaux fruits, qui est le règlement des mœurs; y mêler pour cela de temps en temps de courtes réflexions; leur demander à eux-mêmes le jugement qu'ils forment des actions qui y sont rapportées; les accoutumer surtout à ne se point laisser éblouir par un vain éclat extérieur, mais à juger de tout selon les principes de l'équité, de la vérité, de la justice; leur faire admirer la modestie, la frugalité, la

générosité, le désintéressement, l'amour du bien public, qui régnoient dans les bons temps des républiques grecques et de celle de Rome. Quand de jeunes gens sont ainsi formés de bonne heure, et qu'ils sont accoutumés dès le plus bas âge par l'étude de l'histoire à admirer les exemples de vertus et à détester les vices, on peut espérer que ces premières semences, aidées d'un secours supérieur, sans lequel elles avorteroient bientôt, porteront leur fruit dans le temps; et qu'il leur arrivera quelque chose de pareil à ce qu'on rapporte d'un disciple de Platon, que ce sage philosophe avoit élevé avec grand soin dans sa maison. Quand il fut retourné dans celle de ses parens, étonné de la manière violente et emportée dont son père parloit: Jamais, dit-il, je n'ai rien vu de tel chez Platon. » Senec.de ira Apud Platonem educatus puer, cùm ad parentes relatus lib. 2, cap. vociferantem videret patrem: Nunquàm, inquit, hoc apud Platonem vidi.

22.

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§. VII. Remarquer avec soin tout ce qui a rapport à la

religion.

Il reste une dernière observation à faire en étudiant l'histoire, qui consiste à remarquer soigneusement tout ce qui regarde la religion et les grandes vérités qui en sont une dépendance nécessaire car, à travers ce chaos confus d'opinions ridicules, de cérémonies absurdes, de sacrifices impies, de principes détestables que l'idolâtrie, fille et mère de l'ignorance et de la corruption du cœur, a enfantés, à la honte de l'esprit humain et de la raison, on ne laisse pas d'entrevoir des traces précieuses de presque toutes les vérités fondamentales de notre sainte religion. On y reconnoît surtout l'existence d'un être souverainement puissant, souverainement juste, maître absolu des rois et des royaumes, dont la providence règle tous les événemens de cette vie, dont la justice prépare pour l'autre des récompenses et des châtimens aux bons et aux méchans, enfin dont la lumière pénètre dans les replis les plus cachés des consciences, et y porte malgré nous

le trouble et la confusion. Comme j'ai déjà traité cette matière avec quelque étendue dans le discours préliminaire qui est à la tête du premier volume, je ne crois pas devoir ici m'y arrêter plus long-temps.

Voilà, ce me semble, les principales observations auxquelles on doit rendre attentifs les jeunes gens qui étudient l'histoire, en se proportionnant néanmoins toujours à leur âge et à leur portée, et en ne leur proposant jamais des réflexions qui soient au-dessus de leurs forces. Il s'agit maintenant de faire l'application de ces principes généraux à des exemples particuliers; et c'est ce que je vais essayer de faire de la manière la plus nette et la plus intelligible qu'il me sera possible.

CHAPITRE SECOND.

Application des règles précédentes à quelques faits d'histoire particulière.

Pour faire l'application des principes que j'ai posés jusqu'ici, je choisirai d'abord dans l'histoire des Perses et des Grecs, et ensuite dans celle des Romains, quelques morceaux et quelques faits particuliers, auxquels je joindrai quelques réflexions.

ARTICLE PREMIER.

De l'histoire des Perses et des Grecs.

Premier morceau tiré de l'histoire des Perses.

CYRUS.

Je divise en trois parties ce que j'ai à dire sur Cyrus: son éducation; ses premières campagnes; la prise de Babylone par ce prince, et ses dernières conquêtes. Je ne rapporterai que les circonstances les plus importantes de ces événemens, et celles qui me paroîtront les plus propres à

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