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diligence: je descends : je prends sous mon bras un paquet qui renfermoir quelques hardes à mon usage, et je veux sortir du bureau pour me rendre chez un ami auquel je me disposois à demander un asyle. A la porte de ce bureau étoit un factionnaire qui m'enlève mon paquet, me dit que, la nuit venue, je ne peux plus rien porter, et que le lendemain on me le rendra au corps-de-garde : je me retire sans rien répliquer je vais chez mon ami qui n'avoit pas reçu de mes nouvelles depuis dix-huit, mois, et qui, depuis mon absence, devenu Jacobin pour sa sûreté, songeoit plus à sa conservation, qu'au sort des amis qu'il avoit eus.

Il étoit près de neuf heures quand je frappai à sa porte: cette heure n'eût pas été

indue dans tout autre tems, mais dans ce moment-ci, la manière dont je frappai et l'heure à laquelle je me présentois causèrent une frayeur mortelle à tous ceux qui demeuroient dans cette maison. C'étoit particulièrement dans la nuit que se faisoient les visites domiciliaires et que l'on arrêtoit indistinctement cette foule immense de

citoyens qui encombroient les maisons de réclusion; chacun frissonna au coup de marteau, mais mon ancien ami eut plus peur qu'un autre, quand il me vit entrer chez lui; et sans s'informer de ma santé, de ce que j'étois devenu ni de ce qui m'amenoit, il me fit entendre en termes fort clairs, quoique très-laconiques, qu'étant sorti de Paris depuis long-tems, il y avoit du danger pour moi d'y rentrer, et pour lui de me donner un asyle. Quoi du danger pour une nuit, lui dis je ? →→ Qui, pour une nuit, me répliqua-t-il ; si l'on venoit à faire une visite dans ce moment, je serois peṛdu.

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» Le compliment étoit trop cru pour insister, et comme il ne m'est jamais venu en idée de vouloir perdre personne, pas même un Jacobin, je le quittai, le priant seulement de m'indiquer,près de chez lui, un hôtel garni où l'on me recevroit. Il eut le courage de me conduire lui-même chez un fruitier qui avoit des cabinets à louer, dans une maison de la plus mince apparence; mais ce fruitier ayant refusé de me loger à l'heure qu'il étoit, mon ancien ami rentra

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chez lui, me disant que je trouverois ailleurs, et me laissa dans la rue, sans plus s'inquiéter de mon sort, me conseillant seulement, en fermant sa porte sur moi, de ne pas rester longtems sur le pavé, à moins que je ne voulusse être ramassé par quelques patrouilles, qui n'étoient pas, ajouta-t-il, dans l'habitude de relâcher ceux qui leur tomboient sous la main.

» Si d'un côté la réception que m'avoir faite mon ami n'avoit pas été brillante, d'un autre, l'avis qu'il avoit la charité de me donner n'étoit pas tranquillisant. La peur me prend, je reviens à la charge; je frappe de nouveau chez mon fruitier, il refuse; j'insiste, il ouvre enfin, Comme il allumoit sa lampe, en me disant que, s'il se couchoit de sì bonne heure, c'est qu'il n'y avoit plus moyen de se procurer de la chandelle à Paris, il ajouta: vous avez votre passe-port sans doute? je lui réponds que je vais le lui montrer; sa lampe allumée, je le lui montre effectivement, et il me toise avant que de le lire; mais, me dit-il, ce passe-port n'est pas signé du comité révo lutionnaire de cette section.-Mais j'arrive

à l'instant même, lui dis-je, le comité ne tient pas à l'heure qu'il est, il m'est donc impossible de faire ce soir ce que vous exigez; donnez-moi seulement à coucher pour cette nuit, et demain, en me levant, j'irai faire viser mon passe-port. Impossible, impossible, me répliqua cet homme; si l'on faisoit une visite ce soir, et l'on en fait presque toutes les nuits dans les hôtels garnis je serois mis en prison pour vous avoir logé, sans que votre passe-port fût visé d'un comité révolutionnaire de Paris; ainsi, mon cher, hors de chez moi, et sur le champ ; et sur le champ effectivement, mon nouvel hôte m'appliqua sa porte sur la figure, avec autant de civilité que l'avoit fait mon ami le Jacobin.

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» De nouveau dans la rue, ce fut alors que la peur me gagna véritablement. Marchant au hasard et ne sachant trop où tour ner mes pas, je me proposois de me rendre dans un quartier éloigné où j'espérois plus de commisération de la part d'une personne que j'avois autrefois obligée, lorsqu'après avoir traversé plusieurs grandes sues, sans rencontrer un seul individu

j'entendis un bruit sourd qui sembloit s'ap procher de moi, et des cris inarticulés. Je m'arrête pour voir ce que ce peut être ; et pour n'être pas remarqué, je me blottis à l'angle d'une rue adjacente et dans l'enfoncement d'une porte cochère, que la lueur des reverbères laissoit dans l'obscurité.

"Je ne pouvois choisir un réduit plus commode pour découvrir ce qui alloir se passer et plus opportun en même-tems pour me faire arrêter. En effet, le bruit sourd que j'avois entendu n'étoit autre chose que la marche de deux files d'hommes armés de piques, qui conduisoient au milieu d'eux une voiture dont les glaces étoient baissées, sans doute pour que l'on n'entendit pas les cris de ceux qui étoient renfermés dedans. Ma curiosité fut satisfaite au de-là de mon desir, car le cortége s'arrêta vis-à-vis d'une porte qui étoit peu éloignée et presque en face de celle où je m'étois réfugié. Je n'osois pas bouger; les gens armés entourèrent cette porte qui étoit celle d'un ancien monastère, qui sans doute servoit maintenant de prison, ouvrirent la portière de la voiture pour faire

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