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la victime, et pressentant que des horieurs de cette nature ne pouvoient être que les hideux avant-coureurs de scènes encore plus désastreuses, L*** se détermine quitter pour quelque tems la capitale, et iuni de quelque argent, se retire, dès qu'on peut sortir des barrières, lui, sa femme enceinte et ses petits enfans, dans une ville peu populeuse, éloignée de Paris d'environ trente lieues, où l'attiroit dans ces momens de crise, un ami qui séjournoit dans cet endroit.

Comme les habitans de cette ville étoient peu nombreux, qu'ils étoient presque tous parens, qu'il n'y avoit jamais eu, ni noblesse, ni prélat dans ce bourg, que d'ailleurs cette commune, au lieu de renfermer des oisifs, ét dès-lors de beaux diseurs politiques, ne contenoit que des mariniers ou des gens employés à cultiver la terre, on y étoit infi. niment plus tranquille que par-tout ailleurs; et les calamités sans nombre qui se faisoient sentir dans deux villes adjacentes, ne frappoient que partiellement et par interim sur celle-ci. Le citoyen L*** se fût bien gardé d'en sortir, avant la cessation du

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règne révolutionnaire, si l'argent qui lui manquoit, ne l'eût, après dix-huit mois de séjour, forcé de revenir à Paris pour y chercher des espèces; ce n'étoit qu'à son grand regret qu'il se déterminoit à faire un voyage dans la capitale, parce qu'il n'ignoroit pas les horreurs qui s'y multiplioient, parce qu'il n'ignoroit pas non plus que l'on y regardoit comme fugitifs ét comme devant être déclarés suspects, tous ceux qui avoient quitté cette ville lors des massacres ; mais il falloit bien que L*** nourrît ses enfans ; après avoir longtems balancé, il les embrassa, et se mit seul en route. C'est le citoyen L*** lui-même, qui va continuer son récit.

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cc Me voilà donc empaqueté dans une diligence où je n'aperçois que des figures sinistres, car il n'y avoit guère, à cette époque, que , que des révolutionnaires, des agens du gouvernement qui osassent changer de place; les idées les plus noires s'emparent de moi, chaque pas que je faisois vers Paris sembloit m'approcher de l'échafaud, et, songeant à ma femme et à mes enfans, je m'en voulois de les avoir si imprudemment

prudemment quittés ou de ne les avoir pas embrassés encore une fois avant que de m'éloigner d'eux. Pendant tout le trajet, un ro cher, un site agréable ou un arbre que je remarquois sur la route, portoit, dans mon ame, une mélancolie que je ne puis exprimer; je formois des vœux pour les revoir à mon retour: si je les revois encore, me disois-je, c'est que je sortirai de Paris, et si je sors de Paris, je reverrai ma femme et mes enfans.

Sur le point d'arriver dans cette nou velle Babylone, nous changeons de chevaux, je descends de voiture pour me dé→ lasser je cherche à écarter les pensées douloureuses qui m'assiégent, je veux m'étourdir, et étant entré dans un cabaret voisin pour manger un morceau, supposé que le poids que j'avois sur la poitrine me le permît, je prends machinalement sur la table un journal, déjà ancien, qui se trouvoit sous ma main, je le parcours des yeux, et le premier article qui me frappe est le supplice d'un homme de bien, le supplice d'un de mes amis. Il avoit été notaire, et, en cette qualité, avoit signé en second et sang Tome XII, 3. part. N

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voir, comme cela se pratiquoit, un acte qui lui étoit étranger. Le tribunal de sang l'avoit condamné à mort ; les cheveux coupés, et prêt à avoir la tête tranchée, on l'avoit arraché au fer révolutionnaire, pour examiner de nouveau son procès ; la convention avoit fait cet acte d'humanité, mais le tribunal de Fouquier, qui ne vouloit pas qu'on pût croire qu'il condamnoit nn innocent, fit, dès le lendemain, reconduire sa victime à l'échafaud, et 1 honnête et infortuné Chaudot avala jusqu'à deux fois le calice de la mort.

» Ce trait avoit achevé de m'accabler: je me sens foible; je veux manger, je ne puis en venir à bout; je porte un verre de vin à mes lèvres, à peine puis je les humecter; je me jette de nouveau dans la voiture publique où je reste enseveli dans une profonde mélancolie, jusqu'au moment où un de mes compagnons de voyage s'écrie: Nous voici à la barrière; nous sommes arrivés. Ces mots me tirent de ma léthargie et me font frissonner; je mets la tête à la portière, il étoit nuit, mais peine étoit-il huit heures du soir.

"Quel changement! autrefois, et à l'époque même où j'en étois sorti, cette heure étoit celle où Paris étoit le plus brillant, surtout dans les quartiers peuplés. A la lueur de cette immensité de reverbères qui éclairoient les rues, se joignoient les lampes multipliées qui faisoient jaillir la lumière des boutiques de tous les marchands où le luxe et les arts entassoient mille objets plus élégans, plus précieux les uns que les autres ; c'étoit l'heure où les cafés étoient illuminés, où l'éclat des bougies étinceloit de tous les étages, où les chars les plus riches se croisoient avec rapidité, pour se rendre aux différens spectacles, aux concerts et aux bals qui se donnoient dans tous les quartiers de la capitale; et au lieu de ce tumulte, de cette foule animée, de cet éclat imposant, un silence sépulcral règne dans toutes les rues de Paris: toutes les boutiques sont déjà fermées ; chacun s'empresse de se barricader chez soi, et l'on diroit que le crêpe de la mort est étendu sur tout ce qui respire,

Nous arrivons au lieu où débarque la

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