Page images
PDF
EPUB

ensuite; il s'en forme de nouvelles en divers endroits, et il s'en efface; et tous ces changements, qui ne sont sensibles qu'à nos meilleures lunettes, sont en eux-mêmes beaucoup plus considérables que si notre Océan inondait toute la terre ferme, et laissait en sa place de nouveaux continents. A moins que les habitants de Jupiter ne soient amphibies, et qu'ils ne vivent également sur la terre et dans l'eau, je ne sais pas trop bien ce qu'ils deviennent. On voit aussi, sur la surface de Mars, de grands changements, et même d'un mois à l'autre. En aussi peu de temps, des mers couvrent de grands continents, ou se retirent par un flux et reflux infiniment plus violent que le nôtre, ou du moins c'est quelque chose d'équivalent. Notre planète est bien tranquille auprès de ces deux-là, et nous avons grand sujet de nous en louer, et encore plus s'il est vrai qu'il y ait eu dans Jupiter des pays grands comme toute l'Europe embrasés. Embrasés ! s'écria la marquise; vraiment, ce serait là une nouvelle considérable. Très-considérable, répondis-je; on a vu en Jupiter, il y a peut-être vingt ans, une longue lumière plus éclatante que le reste de la planète. Nous avons eu ici des déluges, mais rarement; peut-être que dans Jupi ter ils ont rarement aussi de grands incendies, sans préjudice des déluges, qui y sont communs. Mais, quoi qu'il en soit, cette lumière de Jupiter n'est nullement comparable à une autre, qui, selon les apparences, est aussi ancienne que le monde, et que l'on n'avait pourtant jamais vue. Comment une lumière fait-elle pour se cacher? dit-elle; il faut pour cela une adresse singulière.

Celle-là, repris-je, ne paraît que dans le temps des crépuscules, de sorte que, le plus souvent, ils sont assez longs et assez forts pour la couvrir, et que, quand ils peuvent la laisser paraître, ou les vapeurs de l'horizon la

dérobent, ou elle est si peu sensible, qu'à moins que d'être fort exact, on la prend pour les crépuscules mêmes. Mais enfin, depuis trente ans, on l'a démêlée sûrement, et elle a fait quelque temps les délices des astronomes, dont la curiosité avait besoin d'être réveillée par quelque chose d'une espèce nouvelle. Ils eussent eu beau découvrir de nouvelles planètes subalternes, ils n'en étaient presque plus touchés. Les deux dernières lunes de Saturne, par exemple, ne les ont pas charmés ni ravis, comme avaient fait les satellites ou les lunes de Jupiter; on s'accoutume à tout. On voit donc, un mois devant et après l'équinoxe de mars, lorsque le soleil est couché et le crépuscule fini, une certaine lumière blanchâtre, qui ressemble à une queue de comète. On la voit avant le lever du soleil et avant le crépuscule vers l'équinoxe de septembre, et on la voit soir et matin vers le solstice d'hiver. Hors de là, elle ne peut, comme je viens de vous dire, se dégager des crépuscules, qui ont trop de force et de durée; car on suppose qu'elle subsiste toujours, et l'apparence y est tout entière. On commence à conjecturer qu'elle est produite par quelque grand amas de matière un peu épaisse qui environne le soleil jusqu'à une certaine étendue. La plupart de ses rayons percent cette enceinte, et viennent à nous en ligne droite; mais il y en a qui, allant donner contre la surface intérieure de cette matière, en sont renvoyés vers nous, et y arrivent lorsque les rayons directs, ou ne peuvent pas encore y arriver le matin, ou ne peuvent plus y arriver le soir. Comme ces rayons réfléchis partent de plus haut que les rayons directs, nous devons les avoir plus tôt, et les perdre plus tard.

Sur ce pied-là, je dois me dédire de ce que je vous avais dit, que la lune ne devait point avoir de crépuscu

:

les, faute d'être environnée d'un air épais, ainsi que la terre. Elle n'y perdra rien ses crépuscules lui viendront de cette espèce d'air épais qui environne le soleil, et qui en renvoie les rayons dans les lieux où ceux qui partent directement de lui ne peuvent aller. Mais ne voilà-t-il pas aussi, dit la marquise, des crépuscules assurés pour toutes les planètes qui n'auront pas besoin d'être enveloppées chacune d'un air grossier, puisque celui qui enveloppe le soleil seul peut faire cet effet-là pour tout ce qu'il y a de planètes dans le tourbillon? Je croirais assez volontiers que la nature, selon le penchant que je lui connais à l'économie, ne se serait servie que de ce seul moyen. Cependant, répliquai-je, malgré cette économie, il y aurait, à l'égard de notre terre, deux causes de crépuscules, dont l'une, qui est l'air épais du soleil, serait assez inutile, et ne pourrait être qu'un objet de curiosité pour les habitants de l'observatoire. Mais il faut tout dire il se peut qu'il n'y ait que la terre qui pousse hors de soi des vapeurs et des exhalaisons assez grossières pour produire des crépuscules; et la nature aura eu raison de pourvoir, par un moyen général, aux besoins de toutes les autres planètes, qui seront, pour ainsi dire, plus pures, et dont les évaporations seront plus subtiles. Nous sommes peut-être ceux d'entre tous les habitants des mondes de notre tourbillon à qui il fallait donner à respirer l'air le plus grossier et le plus épais. Avec quel mépris nous regarderaient les habitants des autres planètes, s'ils savaient cela!

:

Ils auraient tort, dit la marquise; on n'est pas à mépriser pour être enveloppé d'un air épais, puisque le soleil lui-même en a un qui l'enveloppe. Dites-moi, je vous prie, cet air n'est-il point produit par de certaines vapeurs que vous m'avez dit autrefois qui sortaient du so

leil, et ne sert-il point à rompre la première force des rayons qui aurait peut-être été excessive? Je conçois que le soleil pourrait être naturellement voilé, pour être plus proportionné à nos usages. Voilà, madame, répondis-je, un petit commencement de système que vous avez fait assez heureusement. On y pourrait ajouter que ces vapeurs produiraient des espèces de pluies, qui retomberaient dans le soleil pour le rafraîchir, de la même manière que l'on jette quelquefois de l'eau dans une forge dont le feu est trop ardent. Il n'y a rien qu'on ne doive présumer de l'adresse de la nature; mais elle a une autre sorte d'adresse toute particulière pour se dérober à nous, et on ne doit pas s'assurer aisément d'avoir deviné sa manière d'agir ni ses desseins. En fait de découvertes nouvelles, il ne se faut pas trop presser de raisonner, quoiqu'on en ait toujours assez d'envie; et les vrais philosophes sont comme les éléphants, qui, en marchant, ne posent jamais le second pied à terre que le premier ne soit bien affermi. La comparaison me paraît d'autant plus juste, interrompit-elle, que le mérite de ces deux espèces, éléphants et philosophes, ne consiste nullement dans les agréments extérieurs. Je consens que nous imitions le jugement des uns et des autres; apprenez-moi encore quelques-unes des dernières découvertes, et je vous promets de ne point faire de système précipité.

Je viens de vous dire, répondis-je, toutes les nouvelles que je sais du ciel, et je ne crois pas qu'il y en ait de plus fraîches. Je suis bien fâché qu'elles ne soient pas aussi surprenantes et aussi merveilleuses que quelques observations que je lisais l'autre jour dans un Abrégé des Annales de la Chine, écrit en latin. On voit des mille étoiles à la fois qui tombent du ciel dans la mer avec un grand fracas, ou qui se dissolvent et s'en vont en pluie. Cela n'a

:

pas été vu pour une fois à la Chine; j'ai trouvé cette observation en deux temps assez éloignés, sans compter une étoile qui s'en va crever vers l'orient comme une fusée, toujours avec grand bruit. Il est fâcheux que ces spectacles-là soient réservés pour la Chine, et que ces pays-ci n'en aient jamais eu leur part. Il n'y a pas longtemps que tous nos philosophes se croyaient fondés en expérience, pour soutenir que les cieux et tous les corps célestes étaient incorruptibles et incapables de changement; et pendant ce temps-là d'autres hommes, à l'autre. bout de la terre, voyaient des étoiles se dissoudre par milliers cela est assez différent. Mais, dit-elle, n'ai-je pas toujours ouï dire que les Chinois étaient de si grands astronomes? Il est vrai, repris-je; mais les Chinois y ont gagné à être séparés de nous par un long espace de terre, comme les Grecs et les Romains à être séparés par une longue suite de siècles; tout éloignement est en droit de nous en imposer. En vérité, je crois toujours, de plus en plus, qu'il y a un certain génie qui n'a point encore été hors de notre Europe, ou qui, du moins, ne s'en est pas beaucoup éloigné. Peut-être qu'il ne lui est pas permis de se répandre dans une grande étendue de terre à la fois, et que quelque fatalité lui prescrit des bornes assez étroites. Jouissons-en tandis que nous le possédons. Ce qu'il y a de meilleur, c'est qu'il ne se renferme pas dans les sciences et dans les spéculations sèches; il s'étend avec autant de succès jusqu'aux choses d'agrément, sur lesquelles je doute qu'aucun peuple nous égale. Ce sont celles-là, madame, auxquelles il vous appartient de vous occuper, et qui doivent composer toute votre philosophie.

« PreviousContinue »