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Erravit fine voce dolor.

& dans cette image de Rome accablée fous fa grandeur,

Nec fe Roma ferens;

& dans ce tableau de Séneque, non miror fi quando impetum capit (Deus) Spectandi magnos viros colluctantes cum aliqua calamitate! "Dieu fe plaît à » éprouver les grands hommes par des

calamités,, : cetteidée feroit belle encore exprimée tout fimplement; mais quelle force ne lui donne pas l'image dont elle eft revétue! Les grands hommes & les calamités font aux prifes, & le fpectateur du combat c'eft

Dieu.

En employant les images à rendre les objets plus fenfibles, on s'eft apperçu qu'elles les rendoient auffi quer quefois plus beaux ; dès-lors on s'en eft fervi comme de fard & de parure. Ainfi l'on a dit l'or des cheveux, le cryftal des eaux, &c. mais le luxe n'a point de bornes, & la licence conduit à l'excès.

Quand l'image donne à l'objet le caractère de beauté qu'il doit avoir, qu'elle le pare fans le cacher, avec goût & avec décence, elle convient

à tous les ftyles & s'accorde avec tous les tons. Mais pour peu que le langage figuré s'éloigne de fes régles, il refroidit le pathétique, il énerve l'éloquence, il ôte au fentiment fa fimplicité touchante, aux graces leur ingénuité. Les images font des fleurs, qui pour être femées avec goût demandent une main délicate & légère.

La Poëfie elle-même perd fouvent à préférer le coloris de l'image au coloris de l'objet. La ceinture de Vénus; cette allégorie fi ingénieufe, est encore bien inférieure à la peinture naïve & fimple de la beauté dont elle eft le fimbole. Vénus ayant à communiquer des charmes à Junon ne pouvoit lui donner qu'un voile, & rien au monde n'eft mieux peint; mais des traits répandus fur ce voile fe fait-on l'image de la beauté, comme fi le même pinceau l'eût exprimée au naturel & fans aucune allégorie ?

Que pour rendre fenfible cette décence noble & modefte, qui est un affemblage de traits répanduis dans le langage, dans le maintien, dans la démarche d'une jeune & belle perfonne Ovide nous dife que cette Grace la fuit en fe cachant, fubfequi

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turque decor; que pour peindre une troupe vive & légère de jeunes étourdis qui s'empreffent autour d'une coquette, Mr. de Voltaire emprunte l'image des ris, des jeux & des amours, & qu'il ajoute :

Hélas, je les ai vû jadis

Entrer chez toi par la fenêtre. L'imagination n'a aucune peine à fe former tous ces tableaux, elle fuit le pinceau du Poéte. Mais qu'on nous raconte, comme dans un Sonnet Italien, que les amours étant venus en foule fe placer dans les yeux, fur le nez, fur la bouche, fur le menton, dans les cheveux d'une jolie femme, l'un de ces petits dieux qui ne trouva plus à fe nicher, fe laiffa tomber fur le fein, & de-là regardant fes camarades leur cria: «< Mes amis, qui de nous eft le » mieux logé »? Il y a dans cette idée beaucoup de gayeté, de galanterie & de fineffe; cependant qu'on examine l'image. Se peint-on une jolie figure au milieu de tous ces enfans que l'on voit perchés çà & là? n'eft-ce pas un tableau groteíque plutôt qu'une image riante? En général toutes les fois que la nature eft beile & touchante en

elle-même voiler.

c'est dommage de la

Mais ce n'eft pas affez que l'idée ait befoin d'être embellie, il faut quelle mérite de l'être. Une pensée triviale revêtue d'une image pompeufe ou brillante, eft ce qu'on appelle du Phébus: on croit voir une phyfionomie baffe & commune ornée de fleurs & de diamans. Cela revient à ce premier principe, que l'image n'eft faite que pour rendre l'idée fenfible. Si l'idée ne mérite pas d'être fentie, ce n'eft pas la peine de la colorer.

En obfervant ces deux régles, fçavoir, de ne jamais revêtir l'idée que pour l'embellir, de ne jamais embellir que ce qui en mérite le foin, on évitera la profufion des images, on ne les employera qu'à propos: c'eft-là ce qui fait le charme & la beauté du ftyle de Racine & de Lafontaine. Il eft riche & n'eft point chargé c'eft l'abondance du génie que le goût ménage & répand.

La continuation de la même image eft une affectation que l'on doit éviter, fur-tout dans le dramatique, où les perfonnages font trop émus pour penfer à fuivre une allégorie. C'étoit I

goût du fiécle de Corneille, & luimême il s'en eft reffenti.

En changeant d'idée, on peut immédiatement paffer d'une image à une autre; mais le retour du figuré au fimple eft indifpenfable fi l'on s'étend fur la même idée, fans quoi l'on feroit obligé de foutenir la premiere image, ce qui dégénére en affectation, ou de préfenter le même objet fous deux images différentes, efpèces d'inconféquence qui choque le bon fens & le goût.

II y a des idées qui veulent être relevées ; il y en a qui veulent que l'image les abaiffe au ton du ftyle familier. Ce grand Art n'a point de régles, & ne fauroit fe raifonner. Entendez Lucrece parlant de la fuperftition comme l'image qu'il employe aggrandit fon idée !

Humana ante oculos fœde cum vita jaceret In terris, oppreffa gravi fub Religione, Que caput à cœli regionibus oftendebat. Voyez des idées auffi grandes préfentées avec toutes leur force fous les trait les plus ingénus. « C'eft le dé» jeûner d'un petit ver que le cœur & la vie d'un grand Empereur, » dit

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