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Si ceux qui avoient servi la république de leur plume, de leurs talens; si ces généraux qui avoient servi la liberté de leur épée, étoient menés à la mort avec tant de facilité, qu'on juge avec quelle facilité aussi, on y conduisoit chaque jour les citoyens qui n'avoient pour eux qu'un nom ancien, ou des richesses, motifs irréfragables de proscriptions. La place de la Révolution, autrefois la place Louis XV, étoit chaque jour inondée de sang qui ruisseloit jusqu'aux extrémités, et dont s'exhaloit au loin une vapeur pestilentielle et noirâtre, qui faisoit respirer aux vivans l'odeur d'une mort prochaine. C'étoit cependant, dans ces momens d'extermination, que les comités avoient l'impudence de faire proclamer à son de trompe, que la justice et l'humanité étoient à l'ordre du jour. Les scélérats! La justice étoit tellement à l'ordre du jour que, noncontens de confisquer tous les biens des malheureux qu'ils égorgeoient, ils déclafèrent encore que tous les biens de ceux qui se tueroient en prison, ou ayant un mandat-d'amener sur le corps seroient

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également acquis au trésor national; en sorte que, des pères de famille qui ne trouvoient d'autre moyen pour conserver du pain à leurs enfans, que de se tuer dans les cachots, furent privés de cette consolante et dernière ressource. La justice étoit tellement à l'ordre du jour que, sans forme préalable, on confisqua aussi, et l'on apposa les scéllés sur toutes les propriétés de tous les suspects détenus dans les cent mille maisons de réclusion répandues sur la surface de la France. Bien que ces exécrables comités eussent l'air de favoriser la classe indigente, ils avoient tant de respect pour elle, qu'ils repoussèrent avec insolence la pétition des pauvres, qui vinrent demander qu'on ne tuât pas Fénélon, vieillard de quatre-vingts ans, qui avoit consacré toute sa vie à essuyer leurs larmes, Fénélon fut tué, ils auroient tué l'univers pour se saturer en paix de l'odeur des caday res qu'ils amonceloient sous leurs pieds,

C'est cependant au milieu de ces hor reurs, que l'on décerna les honneurs du Panthéon aux cendres de Jean-Jacques Rousseau; toute l'assemblée se leva et se

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découvrit à la vue de la veuve de ce grand homme, quand elle pénétra dans l'enceinte du corps législatif. Jean Jacques étoit mort. Robespierre ne craignoit rien de lui laisser rendre des honneurs, mais il n'est pas douteux qu'il ne l'eût fait guillotiner s'il eût vécu. L'homme qui avoit dit qu'une révolution étoit payée trop chèrement, s'il falloit l'acheter par une goutte de sang, n'eût pas manqué de payer cette maxime de sa tête. Lavoisier, le premier chimiste de son siècle, condamné à mort pour avoir mis de l'eau dans du tabac qu'il n'avoit jamais touché ni vendu, demanda quinze jours d'existence pour terminer une expérience qui le conduisoit à une grande découverte, et on lui répondit qu'on n'avoit pas besoin de sciences, qu'il falloit qu'il marchât au supplice sur-le champ, et il y fut. A la même époque encore, les comités de gouvernement craignant que des septembriseurs enrégimentés ne devinssent redoutables s'ils étoient dans la main d'un homme habile, supprimèrent l'armée révolutionnaire. C'est à la frayeur dont ces comités étoient atteints, que

l'on dût ce bienfait. Ils faisoient frissonner d'horreur toute la nation, mais l'excès de leurs crimes les plongeoit eux-mêmes dans une terreur aussi profonde que celle qu'ils inspiroient aux autres ; pour achever de réunir tous les pouvoirs, ils supprimèrent le conseil exécutif, et firent, nommer, à la place des six ministres, douze Commissions, qui leur furent entièrement subordonnées, et auxquelles il fut enjoint de correspondre avec eux le jour et la nuit.

Nous représentons, dans un cadre étroit, une foible partie des crimes qui pesoient sur la France, des horreurs qui glaçoient d'effroi tous les citoyens et dont la ca

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pitale étoit le centre ; mais ce qu'il est cu rieux de faire connoître aussi, c'est le tableau que présentoit à l'œil consterné, cette même capitale, dans ces tems de terreur et de destruction; pour y parvenir, nous ne ferons que retracer fidellement ce qui est arrivé à un individu qui nous touche de si près, qu'il n'y a pas un mot à changer au narré qui lui est relatif; la seule chose inexacte de ce récit, c'est que quelque pinceau que nous employions pour

exprimer la stupeur profonde qui le frappa à l'aspect de Paris, nos couleurs ne rendront jamais l'état d'angoisse et de perplexité auquel il fut réduit pendant les quarante-huit heures qu'il resta dans cette ville.

Agé de vingt-sept à vingt-huit ans, et depuis long-tems domicilié à Paris, le citoyen L***, ami de la révolution, comme tous ceux qui étoient fatigués de l'insolence des pobles et des parvenus, vivoit paisiblement au sein de sa famille, qui avoit besoin de son travail pour subsister; il s'occupoit peu des affaires politiques, lorsque son domestique, qui avoit l'espoir de le voler après sa mort, entreprit, par une fausse dénonciation, de le faire égorger à la faveur des massacres de septembre; c'en étoit fait de L***, si un citoyen généreux qui le connoissoit pour un homme de probité, ne l'eût arraché aux horreurs de la boucherie dans laquelle il devoit succomber. Effrayé des dangers qu'il avoit courus sans se les être attirés, profondément affecté des massacres qui venoient d'avoir lieu, et dont il avoit manqué d'être

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