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3.

La voix de l'univers, c'est mon intelligence 1;
Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent,
Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant,
Et, donnant un langage à toute créature,
Prête, pour l'adorer, mon âme à la nature.
Seul, invoquant ici son regard paternel,
Je remplis le désert du nom de l'Éternel,
Et celui qui, du sein de sa gloire infinie,
Des sphères qu'il ordonne 2 écoute l'harmonie,
Écoute aussi la voix de mon humble raison 3,
Qui contemple sa gloire et murmure son nom.

LAMARTINE.

Harmonie des mouvements et des bruits des végétaux
agités par le vent.

4

Qui pourrait décrire les mouvements que l'air communique aux végétaux? Combien de fois, loin des villes, dans le fond d'un vallon solitaire couronné d'une forêt, assis sur le bord d'une prairie agitée des vents, je me suis plu à voir les mélilots dorés, les trèfles empourprés, et les vertes graminées former des ondulations semblables à des flots, et présenter à mes yeux une mer agitée de fleurs et de verdure! Cependant les vents balançaient sur ma tête les cimes majestueuses des arbres. Chacun a son mouvement. Le chêne au tronc roide ne courbe que ses branches, l'élastique sapin balance sa haute pyramide, le peuplier robuste agite son feuillage mobile, et le bouleau laisse flotter le sien dans les airs comme une longue chevelure. Quelquefois un vieux chêne élève au milieu de la forêt ses longs bras dépouillés de feuilles et immobiles; comme un vieillard, il ne prend plus de part aux agitations qui l'environnent il a vécu dans un autre siècle. Cependant ces grands corps insensibles font entendre des bruits profonds et mélancoliques 5. Ce ne sont point des accents dis

:

1. Belle pensée, admirablement rendue et éloquemment amenée par cette transition mais ce temple est sans voix, où sont les saints concerts?

2. Expression détournée de son acception ordinaire. Elle signifie ici : « mettre, tenir en ordre, maintenir en ordre."

3. Humble raison. Remarquer quelle force cette épithète reçoit ici de ce qui précède. Le poëte nous montre d'abord la raison de l'homme unique interprète, | auprès de Dieu, de l'univers muet, et pouvant seule s'élever jusqu'à lui et le contempler dans sa gloire infinie. Mais devant la gloire du Créateur, cette reine de la création comprend sa faiblesse et s'humilie.

4. Melilots. Fleurs des champs dont l'odeur miellée attire les abeilles de fort loin. 5. L'auteur explique plus loin par les mots de tristesse pleine de douceur le sens de mélancolique.

tincts: ce sont des murmures confus. Il n'y a point de voix dominantes ce sont des sons monotones, parmi lesquels se font entendre des bruits sourds et profonds, qui nous jettent dans une tristesse pleine de douceur. Ainsi les murinures d'une forêt accompagnent les accents mélodieux du rossignol. C'est un fond de concert qui fait ressortir les chants éclatants des oiseaux, comme la douce verdure est un fond de couleurs sur lequel se détache l'éclat des fleurs et des fruits.

Ce bruissement des prairies, ces gazouillements 1 des bois, ont des charmes que je préfère aux plus brillants accords; mon âme s'y abandonne, elle se berce avec les feuillages ondoyants des arbres, elle s'élève avec leur cime vers les cieux, elle se transporte dans les temps qui les ont vus naître et dans ceux qui les verront mourir : ils étendent dans l'infini mon existence circonscrite et fugitive. Majestueuses forêts, paisibles solitudes, qui plus d'une fois avez calmé mes passions, puissent les cris de la guerre ne troubler jamais vos résonnantes clairières ! N'accompagnez de vos religieux 2 murmures que les chants des oiseaux, ou les doux entretiens des amis qui veulent se reposer sous vos ombrages.

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BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.

Le printemps en Bretagne.

Le printemps en Bretagne est plus doux qu'aux environs de Paris et fleurit trois semaines plus tôt. Les cinq oiseaux qui l'annoncent, l'hirondelle, le loriot, le coucou, la caille et le rossignol, arrivent avec de tièdes brises qui hébergent dans les golfes de la péninsule armoricaine 3. La terre se couvre de marguerites, de pensées, de jonquilles, de hyacinthes, de narcisses, de renoncules, d'anémones, comme les espaces abandonnés qui environnent Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Croix de Jérusalem, à Rome. Des clairières se panachent d'élégantes et hautes fougères; des champs de genêts et d'ajoncs resplendissent de fleurs qu'on prendrait pour des papillons d'or posés sur des arbustes verts et bleuâtres.

1. Ces métaphores de bruissement, de gazouillements, appliquées aux prairies et aux bois, sont si bien préparées par ce qui précède qu'elles ne semblent ici ni prétentieuses ni affectées.

2. Religieux. Ce mot est pris ici dans le sens actif: qui porte à la religion, qui inspire des pensées religieuses.

3. Hébergent. Expression métaphorique qui désigne bien les retraites inconnues où se cachent les brises tièdes qui viennent avec le printemps des golfes de la péninsule armoricaine (vieille désignation de la presqu'île qui forme la Bretagne).

Les haies, au long desquelles abondent la fraise, la framboise et la violette, sont décorées d'églantiers, d'aubépine blanche et rose, de boules de neige, de chèvrefeuilles, de buis, de lierre à baies écarlates, de ronces dont les rejets brunis et courbés portent des feuilles et des fruits magnifiques. Tout fourmille d'abeilles et d'oiseaux : les essaims et les nids arrêtent les enfants à chaque pas. Le myrte et le laurier croissent en pleine terre; la figue mûrit comme en Provence. Chaque pommier, avec ses roses carminées, ressemble à un gros bouquet de fiancée de village.

L'aspect du pays, entrecoupé de fossés boisés, est celui d'une continuelle forêt, et rappelle l'Angleterre. Des vallons étroits et profonds, où coulent, parmi des saulaies et des chênevières, de petites rivières non navigables, présentent des perspectives riantes et solitaires. Les futaies à fonds de bruyères et à cépées 1 de houx, habitées par des sabotiers, des charbonniers et des verriers tenant du gentilhomme 2, du commerçant et du sauvage, les landes nues, les plateaux pelés, les champs rougeâtres de sarrasin, qui séparent ces vallons entre eux, en font mieux sentir la fraîcheur et l'agrément. Sur les côtes se succèdent des tours à fanaux 3, des clochers de la renaissance, des vigies 3, des ouvrages romains, des monuments druidiques, des ruines de châteaux : la mer borne le tout.

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Comme le voyageur est ravi d'admiration, lorsque dans un beau jour d'été, après avoir péniblement traversé les sommets du Jura, il arrive à cette gorge où se déploie subitement devant lui l'immense bassin de Genève; qu'il voit d'un coup d'œil ce beau lac dont les eaux réfléchissent le bleu du ciel, mais plus pur et plus profond; cette vaste campagne, si bien cultivée, peu

1. Cépées. Rejets des bois après la coupe.

2. Pour encourager l'industrie de la verrerie, les anciens rois de France avaient déclaré que les nobles pouvaient exercer cette industrie sans déroger, c'est-à-dire sans renoncer à leurs titres.

3. Tours à fanaux. Tours où des feux sont allumés pendant la nuit, phares; · vigies, rochers d'où les sentinelles, appelées aussi vigies, observent la mer. Remarquer que le mot fanal, malgré le changement de ph en f, est de la même famille que phare, qui éclaire, diaphane, à travers quoi passe la lumière, phénomène, qui paraît à la lumière, qui se manifeste, etc. Remonter aussi au sens de vigies par l'étude des mots de la famille à laquelle il appartient: vigies, vigilant, qui veille, veiller, voir, observer, d'où vedette, nom donné dans l'armée aux soldats placés en avant pour observer.

4. La gorge dont il est ici question est connue sous le nom de la Faucille.

plée d'habitations si riantes; ces coteaux qui s'élèvent par degrés et que revêt une si riche végétation; ces montagnes couvertes de forêts toujours vertes; la crête sourcilleuse1 des hautes Alpes, ceignant ce superbe amphithéâtre, et le mont Blanc, ce géant des montagnes européennes, le couronnant de cet immense groupe de neiges où la disposition des masses et l'opposition des lumières et des ombres produisent un effet qu'aucune expression ne peut faire concevoir à celui qui ne l'a pas vu!

Et ce beau pays, si propre à frapper l'imagination, à nourrir le talent du poëte ou de l'artiste, l'est peut-être encore davantage à réveiller la curiosité du philosophe, à exciter les recherches du physicien. C'est vraiment là que la nature semble vouloir se montrer par un plus grand nombre de faces.

Les plantes les plus rares, depuis celles des pays tempérés jusqu'à celles de la zone glaciale, n'y coûtent que quelques pas au botaniste; le zoologiste peut y poursuivre des insectes aussi variés que la végétation qui les nourrit; le lac y forme pour le physicien une sorte de mer, par sa profondeur, par son étendue et même par la violence de ses mouvements; le géologiste, qui ne voit ailleurs que l'écorce extérieure du globe, en trouve là les masses centrales relevées et perçant de toutes parts leurs enveloppes pour se montrer à ses yeux; enfin, le météorologiste y peut à chaque instant observer la formation des nuages, pénétrer dans leur intérieur ou s'élever au-dessus d'eux.

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Tantôt d'immenses rochers pendaient en ruine au-dessus de ma tête; tantôt de hautes et bruyantes cascades m'inondaient de leur épais brouillard; tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme dont les yeux n'osaient sonder la profondeur. Qnelquefois je me perdais dans l'obscurité d'un bois touffu. Quelquefois, en sortant d'un gouffre, une agréable prairie réjouissait tout à coup mes regards. Un mélange étonnant de la nature sauvage et de la nature cultivée montrait partout la main des hommes, où l'on eût cru qu'ils n'avaient jamais pénétré : à côté d'une caverne, on trouvait des maisons, on voyait des pampres

2

1. Cette expression présente l'idée de hauteur, de fierté; elle est toute métaphorique et dérive du mot sourcil. Comme le sourcil domine l'œil et concourt surtout à exprimer dans la physionomie le sentiment de la fierté, on a appelé sourcilleux les monts d'une grande hauteur et d'un aspect majestueux.

2. Pampres. Branches de vignes avec leurs feuilles.

secs où l'on n'eût cherché que des ronces; des vignes dans des terres éboulées, d'excellents fruits sur des rochers, et des champs dans des précipices.

Ce n'était pas seulement le travail des hommes qui rendait ces pays étranges si bizarrement contrastés: la nature semblait encore prendre plaisir à s'y mettre en opposition avec elle-même, tant on la trouvait différente en un même lieu, sous divers aspects! Au levant, les fleurs du printemps, au midi, les fruits de l'automne, au nord, les glaces de l'hiver : elle réunissait toutes les saisons dans le même instant, tous les climats dans le même lieu, des terrains contraires sur le même sol, et formait l'accord inconnu partout ailleurs des productions des plaines et de celles des Alpes 1.

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Figurez-vous quelque chose de la désolation de Tyr et de Babylone dont parle l'Écriture; un silence et une solitude aussi vastes que le bruit et le tumulte des hommes qui se pressaient jadis sur ce sol. Vous apercevez çà et là quelques bouts de voies romaines 2 dans des lieux où il ne passe plus personne, quelques traces desséchées des torrents de l'hiver: ces traces, vues de loin, ont elles-mêmes l'air de grands chemins battus et fréquentés, et elles ne sont que le lit désert d'une onde orageuse qui s'est écoulée comme le peuple romain. A peine découvrez-vous quelques arbres, mais partout s'élèvent des ruines d'aqueducs et de tombeaux, ruines qui semblent être les forêts et les plantes indigènes d'une terre composée de la poussière des morts et des débris des empires. Souvent, dans une grande plaine, j'ai cru voir de riches moissons; je m'en approchais : des herbes flétries avaient trompé mon œil. Parfois, sous ces moissons stériles, vous distinguez les traces d'une ancienne culture. Point d'oiseaux, point de laboureurs, point de mouvements champêtres, point de mugissements de troupeaux, point de villages. Un petit nombre de fermes délabrées se montrent sur la nudité des champs : les fenêtres et les portes en sont fermées; il n'en sort ni fumée, ni bruits, ni habi

1. Remarquer que les antithèses multipliées dans ce passage y produisent un bon effet parce qu'elles n'ont rien de forcé, et qu'elles résultent du contraste naturel des idées et des choses.

2. Ce nom est resté aux grandes routes dont les Romains avaient sillonné leur empire. Ils les construisaient avec tant de solidité qu'il s'en rencontre encore partout des fragments, et que plusieurs sont même aujourd'hui praticables sur une certaine étendue.

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