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qui y feroit contraire. Rien ne fut plus modefte que les commencements de cette magiftrature. Les tribuns du peuple n'avoient pas l'entrée au fénat; ils attendoient fous des portiques en dehors qu'ils fuffent mandés par la compagnie. Ils n'avoient ni jurisdiction ni commandement; toutes leurs fonctions confiftoient à s'opposer à ce qu'ils trouvoient de préjudiciable aux intérêts du peuple. Los Patriciens n'étoient pas foumis aux ordonnances renduës par le peuple à la réquisition des tribuns. Aulu-Gelle cite un auteur qui [1] a écrit qu'une loi faite par le dictateur Q.Hortenfius[]les y avoit affujétis. Tite Live dit le contraire, nous apprenant que L.Valerius & M. Horatius qui furent confuls l'an de Rome 305. firent une loi [x] qui ne laiffa plus en fufpens fi les décrets faits par le peuple obligeoient le fénat,& qui décida la chofe à l'avantage du peuple. Pour que l'oppofition des tribuns fût valable, il falloit qu'elle fe fît de l'avis unanime de touts les tribuns. L'oppofi tion étoit empêchée & rejettée par le défaut de confentement d'un feul d'entr'eux, à moins que les autres tribuns ne la fiffent ratifier par l'affemblée générale du peuple. Après la fuppreffion du Décemvirat, magiftrature établie pour la promulgation des loix que les Romains avoient envoïé chercher en Gréce, cinq nouveaux tribuns furent

[] Næ leges quidem propriè fed plebifcita appellantur quæ tribunis ferenti. bus accepta funt.Quibus rogationibus ante patritii non tenebantur,donec Q. Hortenfius dictator eam legem tulit, ut eo jure quod plebs ftatuiffet,omnes Quirites tenetentur.Lalius Felix,ap. Aul. Gell.lib. 15.c.27. [u] La diftature de Hortenfius eft placée par Sigonius en l'année 467. de Rome,

[x] Omnium primùm, cùm velut in controverfo jure effet tenerentur ne patres plebefcitis,legem centuriatis comitiis tulere,ut quod tributim plebs juffiffet,po

ajoutés à l'ancien nombre de cinq.C. Claudius voulut l'empêcher, & repréfenta aux fénateurs que cette augmentation du nombre des tribuns étoit une inftitution d'un fénat Plébéien qu'on cherchoit à opposer à l'ancien fénat. T. Quintius examinant l'affaire d'une au tre face, dit que les tribuns multipliés auroient moins de pouvoir, qu'ils feroient plus aifés à divifer, & qu'on viendroit plus facilement à bout de déconcerter leurs méfures dans le grand nombre, puifque l'oppofition d'un feul fuffifoit pour arrêter touts fes collégues. Ils introduifirent depuis parmi eux cette maxime ufitée dans la plupart des compagnies,que ce qui étoit délibéré par le plus grand nombre [y] avoit fon effet, comme fi touts euffent été d'accord.

Les tribuns devinrent plus puiffants que les confuls & que le corps entier du fénat, lorfqu'ils fe furent attribué le droit de convoquer les assemblées du peuple, & qu'ils eurent augmenté leur crédit jusqu'à se rendre les maîtres de fes délibérations. Ils approuvoient ou abrogeoient les arrêts du fénat, & lui commandoient quelquefois de s'affembler, comme quand le tribun Icilius [z] ordonna aux confuls de convoquer le fénat. Ils citoient au jugement du peuple touts les autres magiftrats & même leurs propres

pulum teneret, quâ lege tribunitiis rogationibus telum acerrimum datum eft. Tir Liv. lib. 3.

Populus fignifioit toute la nation: le mot plebs ne comprenoit pas la nobleffe, mais feulement le peuple.

[y] Autoritate fenatûs latum eft ad populum, ne quis templum aramve injuflu lenatus aut tribunorum plebis majoris fartis dedicaret.Tit.Liv.lib.39.

[z]Révolut Rom.de M.l'abbé de Vertot,tom. 1.liv.4.pag.384.

collégues; its prenoient connoiffance de l'administration des deniers publics, & vinrent enfin à exercer une jurifdiction univerfelle fur touts les Romains, aïant porté leur autorité jufqu'au point [] de faire emprifonner les confuls & de menacer les dictateurs. Ainfi les tribuns établis feulement pour empêcher l'oppreffion du peuple, devinrent les maîtres du gouvernement. Ils propoférent une Joi par laquelle il leur feroit permis d'exempter chacun dix citoïens des enrôlements & du fervice militaire. Les confuls P. Scipio Nafica & D. Ju nius Brutus s'y oppofant, le tribun C. Curatius les fic conduire touts deux en prifon. Le tribun Drufus fit emprifonner le conful Philippe, pour cette raifon feule, que Philippe l'avoit interrompu lorsqu'il parloit en public. Le tribun Sulpicius [b] avoit toujours autour de lui trois mille fatellites, & grand nombre de jeunes chevaliers déterminés, & prêts à tout entreprendre. Il les appelloit l'Antifenat. Les Patriciens fe faifoient adopter dans des familles Plébéïennes, pour pouvoir être tribuns du peuple. Le cribun Tiberius Gracchus interdit touts les magiftrats de la ville.

au dictateur. Les tribuns Licinius & Sextius [d] envoïérent un licteur pour arrêter le dictateur Camille & le conduire en prifon, l'an de Rome 389. Plutarque [e ] rapporte que le même Camille étant dictateur pour la quatrième fois fut menacé par les tribuns d'être mis à l'amende; & la crainte qu'il en eut l'obligea de fe démettre de cette fouveraine magiftrature.

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La puiffance du dictateur ne faifoit pas [cceffer les fonctions des tribuns, comme celle de touts les autres magiftrats. Les tribuns mêmesont entrepris quelquefois de commander

[a] Pro collegio pronunciant placere confules fenatui dicto audientes effe: fi adverfus confenfum ampliffimi ordinis ultra tendant, in vincula fe duci eos juffuros. Tit. Liv, lib. 4.

Le tribun Lectorius voulut faire emprifonner le conful Appius Claudius. Tit. Liv. lib. 2. Denys d'Halic. liv. 9.

[b] Plutarch, in Syll.
[c] Plutarch, in Fab. Max.

Lorfque Fabius le temporifeur évitoit pendant fa dictature la rencontre d'Hannibal, & préféroit le falut de la république à fa propre renommée, le tribun M, Metellus[f] dit, Si le peuple Romain avoit confervé le même zéle qu'autrefois pour le bien public, je n'héliterois pasà requérir que le commandement fût ôté à Fabius; mais dans les circonstances préfentes, je me contenterai de propofer une ordonnance qui partage le commandement entre Fabius, & le général de la cavalerie. Quoique cette propofition du tribun fut contraire à toute difcipline, le peu. ple ordonna que Minutius général de la cavalerie auroit un commandement égal à celui du dictateur. Peu après Minutius s'engagea témérairement dans un combat, & fes troupes alloient être taillées en pièces, Fabius yenant à fon fecours fort à propos, ne l'eût dégagé par fa valeur & par fa prudence.

Ces exemples prouvent que la plûpart des gouvernements n'ont pas des principes bien décidés, & que le pou

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[d] Révolut. Rom. de M. l'abbé de Vertor, tom.2.liv.7.pag.280.

[el Plutarch. in Camill,

[f] Quod fi antiquus animus plebi Romanæ effet, fe audacter laturum de abrogando Q. Fabii imperio; nunc modicam rogationem promulgaturum, de æquando magiftri equitum & dictatoris jure.Tit.Liv.lib.22.

voir des magiftratures y dépend le plus fouvent des circonftances, & de la vigueur des perfonnes qui les exercent. Car on lit dans l'hiftoire Romaine que la puiffance du dictateur étoit fouveraine, fans bornes, & indépendante de l'appel au peuple. Lorfque le dictateur Papyrius eut condamné Fabius à mort pour avoir combattu fans ordre, quoiqu'il eût remporté la victoire, le pére de Fabius interjetta [g] appel au peuple, & les tribuns intervinrent pour faire abfoudre Fabius. L'armée & le fénat étoient dans les mêmes fentiments; mais le dictateur marqua tant de fermeté, & imprima tant de refpect & de foumiffion au peuple, que les tribuns craignirent d'en être abandonnés, & de fervir eux-mêmes de victimes & d'exemples de la puiffance du dictateur: cette affaire ne finit que par l'interceffion du peuple, qui obtint par fes prieres la grace de Fabius.

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Appius repréfenta au fenat que les défordres venoient de la licence du peuple & du peu de pouvoir des confuls. Pour [b] remédier, ajoutatil, créons un dictateur dont il n'y a point d'appel au peuple. La dictature he duroit que fix mois: fouvent même le dictateur fe démettoit dès que le besoin de la république pour lequel

[g] Tribunos plebis appello, & provoco ad populum, eumque tibi fugienti exercitas tui,fugienti fenatus judicium, judicem fero qui certè unus plus quam tua dictatura poteft polletque. Id.lib.8.

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il avoit été élû, avoit ceffé. Plutarque dit [] que le dictateur avoit le pouvoir de faire emprifonner & exécuter à mort fans forme de procès. Il étoit nommé par les confuls, & procla mé par le peuple, & it choififfoit fon lieutenant, ou le général de la cavalerie. Sa nomination étoit en quelque forte un dédommagement accor dé aux confuls, qui de chefs qu'ils étoient de la république devenoient fujets comme les autres à une puiffance fupérieure.

Les confuls parmi les autres marques de la puiffance roïale avoient retenu les liteurs. Valerius Publicola voulant rendre le confulat plus doux & plus agréable au peuple, fit ôter [k] les haches des faisceaux: & il ordonna qu'on ne porteroit les haches devant les confuls qu'à la campagne.. Toutes les fois qu'il alloit aux comices i mettoit les faifceaux aux piés du peuple, comme pour rendre hommage à fon fouverain. Les liceurs du dictateur & des décemvirs dont il n'y avoit point d'appel au peuple, por. toient les faifceaux armés te haches.

Lés comices ou affemblées généra les du peuple fe tenoient [ par tribus, ou par curies, ou par centuries, dans la grande place de Rome au pié

fent ad dicto parendum.Neque enim ut in confulibus qui pari poteftate effent, alte rius auxilium,neque provocatio erat, ne que ullum ufquam nifi in curâ parendi auxilium. Id. lib.2.

[b] Id adeo malum ex-provocationeinsius en opinans, fe fonde fur le méme natum quippe minas effe confulum non principe:Opus effe non forti folùm viro, fed imperium,ubi ad eos qui una peccaverint, etiam libero exolutoque legum vinculis. provocare liceat. Agedum,inquit, dictato- Id. lib. 4. rem à quo provocatio non eft, creemus. Fit. Liv. lib. 12. Pub

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Cette magiftrature imprima beaucoup de Terreur la première fois 162 b

Creato dictatore primùm Romae y poft quam præferri fecures viderunt, magnus plebem metus inceffit, ut intentiores ef

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* [ἰ] Καὶ γὰς δεξαι το δικτάτωρ, ανατά σαι πτὸ δίκης ἔξεςι Plutarch.in FatMax. i -[k] Plutarch in Public. a eud 1

[1]Comitia à cum eundo dicta, & ut à curiis curiata,fic à centuriis centuriata,& à tribubus tributa nomen acceperea Varr. de lign, latin, N.

du capitole, ou dans le champ de Mars, hors de la ville. Pour entendre l'ordre qui fe tenoit dans les comices, il faut diftinguer la diftribution du peuple inftituée par Romulus, & celle qui fut introduite par Servius Tullius fixiéme roi de Rome. Romulus partagea la nation en trois tribus & chaque eribu en dix curies. Chaque[m]tribu & chaque curie étoit égale foit par le nombre des citoïens, fans égard aux richeffes, foit par le droit des fuffrages Servius Tullius aïant connu les facultés des citoïens par le dénombrement, partagea la nation en fix claffes, dont les cinq prémiéres étoient divifées en cent quatre-vingt-douze centuries. Dans les comices tenus par tribus ou par curies, la pluralité des tribus ou des curies décidoit, & chaque citoïen avoit un droit égal de fuffrage dans fa tribu ou dans la curie, enforte que les plus riches des citoïens n'y a voient aucun avantage fur les plus pauvres. Les comices par curies ne fe tenoient que pour élire les Flamines, c'est-à-dire les prêtres de Jupiter, de Mars, de Romulus, ou pour l'élection de quelque magiftrats fubalternes. Les comices par tribus étoient moins folemnels, que ceux qui fe tenoient par centuries; ils n'étoient pas dirigés par les augures, qui au commencement étoient touts tirés du corps des patriciens. Dans les comices tenus par centu ries les citoïens les plus riches avoient unpouvoir entier pour la décifion. Pour qu'une affaire y paffàt ou y fût rejettée, il falloit le concours de 97. centuries, c'est-à-dire, la moitié

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[m] Les tribus n'étoient diftinguées que par ienr diff les différents quartiers qu'elles babitoient dans Rome. Les Curies étoient des foufdivifions des principaux quartiers. Bude, dans fes notes fur les Pandectes les compare aux paroiffes de nos

villes.

du nombre entier & une de plus. Des fix claffes inftituées par Servius Tulliás, la prémiére étoit compofée de ceux qui avoient environ cent mille livres de bien: elle étoit divifée en dix-huit centuries de chevaliers, & quatre-vingts centuries de gens de pié. Il faut entendre par [n] centuries. non pas un nombre de cent citoïens, mais la foufdivifion d'une claffe qui formoit une voix dans les comices. Cette prémiére classe quoique la moins nombreufe en citoiens étoit de beaucoup plus puiffante en fuffra ges; elle avoit quatre-vingt-dix-huit voix. La feconde claffe compofée de ceux dont le bien montoit environ à foixante & quinze mille livres étoit divifée en vingt-deux centuries, & avoit vingt-deux voix. La troifiéme claffe de ceux qui avoient environ cinquante mille livres, étoit divifée en vingt centuries, c'est-à-dire qu'elle avoit vingt voix. La quatrième de ceux qui avoient environ vingt-cinq mille livres, étoit auffi diviféeen vingt centuries. La cinquième de ceux qui avoient environ onze mille livres étoie partagée en trente deux centuries, (œè qui compofoit en tout les cent quatrevingt-douze centuries.laisir

Tout le refte du peuple étoit compris [o] dans la fixième claffe. Si toutes les centuries de la prémiére claffe, à la referve d'und, étoient d'un sentiment uniforme, l'affaire étoit déci dée, & les comices étoient finis: Sile concours des 97. fuffrages ne fe trouvoit pas dans la prémiére claffe, les voix de la feconde étoient comptées,

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même de la troifiéme, de la quatrié me, & enfin de la cinquième, jufqu'à ce qu'il fe trovât 97. fuffrages réunis. Mais fi les fuffrages des 192.centuries fe trouvoient partagés, de maniére qu'il y en eût 96. à approuver & 96,à rejetter, alors la fixiéme claffe décidoit en fejoignant à l'un ou l'autre parti. Mais ce cas là étoit prefque impoffible, & n'eft peut être jamais arrivé. Cependant on prenoit les voix de chaque citoïen dans toutes les claffes, de même que fi elles euffent dû contribuer en quelque chofe à la décifion. Ainfi Servius Tullius ôta aux pauvres toute l'autorité: car les riches qui compofoient les claffes les moins nombreuses avoient un bien plus grand nombre de voix, & outre cela la prérogative de donner les prémiers fuffrages, qui décidoient le plus fouvent, fans qu'il fût befoin de compter ceux des claffes fuivantes. Mais le citoïen pauvre qui donnoit fon fuffrage dans fa centuries comme auparavant, ne s'appercevoit pas qu'il n'avoit plus de part à la décifion, & la multitude fe trouva dépouillée de toute autorité, fans être mécontente

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Il étoit jufte que les riches qui fupportoient les dépenfes de la guerre à proportion de leurs biens, euffent plus de part au gouvernement. Car jufqu'à l'an 347. de Rome, les troupes Romaines [p] faifoient la guerre à leurs dépends, & ne recevoient aucune païe de la république. La diftinction de fuffrages par centuries ne dura pas long-temps. L'égalité fut rétablie, lorfque la puiffance tribunen ne & l'autorité des plébéiens eurent gés d'aller à la guerre, ni de contribuer aux charges publiques

[Anno urbis condita 347-fenatus decrevit ut ftipendium miles de publico acciperet, cùm ante id tempus de fuo quif que functus eo munere effet.Tit.Liv.lib.4.

po

furmonté la réfiftance que les patriciens firent pour fe maintenir feuls dans la poffeffion des honneurs & du commandement: & quoique les comices portaffent encore differents noms, foit par rapport aux cérémonies des augures, foit par rapport au lieu où ils étoient convoqués, les fuffrages fe recueilloient dans les tribus également, & le comptoient par têtes. Fabius Rullus [9] qui fut cinq fois conful, & remporta plufieurs victoires fur les Samnites, fur les Tofcans, & autres ennemis de la république, eut le furnom de très grand, non pour aucune de fes victoires, mais parce que pendant fa cenfure, il fépara toute la pulace de Rome en quatre tribus, aulieu qu'auparavant elle étoit difperfée dans toutes les tribus, & avoit par le nombre des fuffrages tout pouvoir dans les comices, Les fuffrages étant comptés par tribus, & les tribus compofées des citoiens choifis & renduës inégales par le nombre de ceux qui y donnoient leurs voix, ces comices eurent quelque reffemblance avec ceux qui fe tenoient par centuries. Le nombre des tribus fut augmenté jufqu'à trente-cinq. Servius Sulpicius tribun du pouple entreprit long-temps après de confondre le menu peuple dans toutes les tribus, mais il fut tué avant que de pouvoir exécuter fon dessein.

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Lorfque les peuples d'Italie eurent le droit de bourgeoisie & de fuffrage par la faveur des Gracques: ce qui fuc confirmé depuis par d'autres magif trats, touts les peuples d'Italie furent rangés & diftribués [r] en huit tribus féparées, de peur qu'une fi grande

[q] 2 Fabius Maximus le temporifeur defcendoit de lui au quatrième degré.

[r] Ne potentia eorum multitudo veterum civium dignitatem frangeret plufque poffent recepti in beneficium quàm autores beneficii,Vell.Paterc.

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