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A vivre avec soi-même, à servir ses amis,
A se moquer un peu de ses sots ennemis,
A sortir d'une vie ou triste ou fortunée,
En rendant grâce aux dieux de nous l'avoir donnée.

-Epitres, CXXI, 1771.

A PROPOS DU TREMBLEMENT DE TERRE DE LISBONNE

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1ο

Ou l'homme est né coupable, 210 et Dieu punit sa race, 5 Ou ce maitre absolu de l'être et de l'espace, Sans courroux, sans pitié, tranquille, indifférent, De ses premiers décrets suit l'éternel torrent. Ou la matière informe, à son maitre rebelle, Porte en soi des défauts nécessaires comme elle; Ou bien Dieu nous éprouve, et ce séjour mortel N'est qu'un passage étroit vers un monde éternel. Nous essuyons ici des douleurs passagères : Le trépas est un bien qui finit nos misères. Mais, quand nous sortirons de ce passage affreux,

15 Qui de nous prétendra mériter d'être heureux? Quelque parti qu'on prenne, on doit frémir, sans doute. Il n'est rien qu'on connaisse, et rien qu'on ne redoute. La nature est muette, on l'interroge en vain; On a besoin d'un Dieu qui parle au genre humain.

20 Il n'appartient qu'à lui d'expliquer son ouvrage, De consoler le faible, et d'éclairer le sage L'homme, au doute, à l'erreur, abandonné sans lui, Cherche en vain des roseaux qui lui servent d'appui. Leibnitz 211 ne m'apprend point par quels nouds invisibles, 25 Dans le mieux ordonné des univers possibles, Un désordre éternel, un chaos de malheurs, Mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs, Ni pourquoi l'innocent, ainsi que le coupable, Subit également ce mal inévitable.

30 Je ne conçois pas plus comment tout serait bien: Je suis comme un docteur; hélas ! je ne sais rien.

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Que peut donc de l'esprit la plus vaste étendue ?
Rien : le livre du sort se ferme à notre vue.
L'homme, étranger à soi, de l'homme est ignoré.
Que suis-je, où suis-je, où vais-je, et d'où suis-je tiré?
Atomes tourmentés sur cet amas de boue,
Que la mort engloutit et dont le sort se joue,
Mais atomes pensants, 312 atomes dont les yeux,
Guidés par la pensée, ont mesuré les cieux,
Au sein de l'infini nous élançons notre être,
Sans pouvoir un moment nous voir et nous connaitre.
Ce monde, ce théâtre et d'orgueil et d'erreur,
Est plein d'infortunés qui parlent de bonheur.
Tout se plaint, tout gémit en cherchant le bien-être;
Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaitre.
Quelquefois, dans nos jours consacrés aux douleurs,
Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs;
Mais le plaisir s'envole, et passe comme une ombre;
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes, sont sans nombre;
Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir ;
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir,
Si la nuit du tombeau détruit l'être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion.
Les sages me trompaient, et Dieu seul a raison,

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A MME, DU CHATELET

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Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s'il se peut, l'aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l'Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M'avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.

30

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Ce n'est plus aux hommes que je m'adresse; c'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, et de tous les temps. S'il est permis à de faibles créatures, perdues dans l'immensité et imperceptibles au reste de l'univers, d'oser te 30 demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un coeur pour nous hair, et des mains pour nous égorger; fais

5 que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d'une vie pénible et passagère; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, 10 entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux et si égales devant toi; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent 15 de la lumière de ton soleil; que ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire qu'il faut t'aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire; qu'il soit égal de t'adorer dans un jargon 214 formé d'une ancienne langue ou dans un jargon plus nouveau; que 20 ceux dont l'habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d'un petit tas de la boue de ce monde et qui possèdent quelques fragments arrondis d'un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu'ils appelent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie; car tu sais qu'il n'y a 25 dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères ! Qu'ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l'industrie paisible! Si les Aéaux de 30 la guerre sont inévitables, ne nous haissons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis le Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.

35 -Traité sur la Tolérance, Chap. XXIII, 1763.

"LE DÉISME DE VOLTAIRE"

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Le grand objet, le grand intérêt, ce me semble, n'est pas d'argumenter en métaphysique, mais de peser s'il faut, pour le bien commun de nous autres animaux misérables et pensants, admettre un Dieu rémunérateur et vengeur, qui nous serve à la fois de frein et de consolation, ou rejeter cette idée en 5 nous abandonnant à nos calamités sans espérances et à nos crimes sans remords.

Hobbes 215 dit que si, dans une république où l'on ne reconnaitrait point de Dieu, quelque citoyen en proposait un, il le ferait pendre.

Il entendait apparemment, par cette étrange exagération, un citoyen qui voudrait dominer au nom de Dieu, un charlatan qui voudrait se faire tyran. Nous entendons des citoyens qui, sentant la faiblesse humaine, sa perversité et sa misère, cherchent un point fixe pour assurer leur morale, et un appui qui 15 les soutienne dans les langueurs 216 et dans les horreurs de cette vie.

Depuis Job jusqu'à nous, un très grand nombre d'hommes a maudit son existence; nous avons donc un besoin perpétuel de consolation et d'espoir. Votre philosophie 217 nous en prive. 20 La fable de Pandore 218 valait mieux; elle nous laissait l'espérance, et vous nous la ravissez! La philosophie, selon vous, ne fournit aucune preuve d'un bonheur à venir. Non; mais vous n'avez aucune démonstration du contraire. Il se peut qu'il y ait en nous une monade 319 indestructible qui sente et 25 qui pense, sans que nous sachions le moins du monde comment cette monade est faite. La raison ne s'oppose point absolument à cette idée, quoique la raison seule ne la prouve pas. Cette opinion n'a-t-elle pas un prodigieux avantage sur la vôtre? La mienne est utile au genre humain, la votre est 30 funeste; elle peut, quoi que vous en disiez, encourager les Néron, 320 les Alexandre VI et les Cartouche ; la mienne peut les réprimer.

Marc-Antonin,921 Épictète,222 croyaient que leur monade, de quelque espèce qu'elle fût, se rejoindrait à la monade du 35 grand Etre; et ils furent les plus vertueux des hommes.

Dans le doute où nous sommes tous deux, je ne vous dis

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