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pauvre bête avait une plaie vive au côté, il lui lançait dedans la pointe de l'échalas, qu'il retirait ensuite toute sanglante.

Les cousins s'étaient couvert les yeux avec leurs mains, pour ne pas voir cette cruauté. "Je ne sais ce qui me retient de t'en faire autant," s'écria Léon en fureur, vilain lâche!"

"Cela ne vous regarde pas," répondit froidement le meunier; "ce cheval m'appartient."

"Raison de plus pour le ménager," reprit le grandpère; vous pourriez vous en servir encore longtemps; au lieu que, si vous alliez le tuer"

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"Le tuer!" répéta le meunier; "ah! bien oui, il a la vie dure je lui en ai fait bien d'autres, allez!" (259) En disant ces mots, il continuait de déchirer la pauvre bête, qui frémissait de douleur.

"Tue-le done!" (240) criait Léon pleurant de rage; "tue-le donc tout de suite!"

Le meunier pâlit; sa colère s'augmenta en voyant l'immobilité de son cheval, et, ramassant toutes ses forces, il enfonça si avant l'échalas dans les flancs du pauvre vieil animal, qu'il poussa un gémissement sourd, tomba mort sur son maître, et le renversa dans l'orni-' ère.

"Viens!" dirent les enfants en entraînant leur grand-père, "viens; abandonnons ce misérable."

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Non, mes amis, aidez-moi à soulever ce sac de blé qui l'étouffe; il est assez puni par la perte de son cheval, et la pauvre bête est trop heureuse d'être

morte"

Le meunier se releva avec peine, tout froissé de sa chute, et le grand-père ainsi que ses enfants continuèrent leur chemin. "Mon Dieu!" dit Charles, "est-ce que nos lois ne punissent pas les hommes qui

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frappent les animaux, les chargent au-dessus de leurs forces, et les font mourir?"

LE GRAND-PÈRE.

Si, (241) mon ami, lorsque les animaux sont la propriété d'autrui; mais ce cheval appartenait au meunier.

PIERRE.

Cela n'est pas juste; puisque les bêtes souffrent comme nous, les lois devraient aussi les protéger. Oh' si j'étais roi! Qu'est-ce qu'il fait le roi, grandpapa?

LE GRAND-PÈRE.

(242)

D'après la Charte, "la personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.

"Le roi est le chef suprême de l'État; il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance, de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois ellesmêmes, ni se dispenser de leur exécution."

CHARLES.

Et qui est-ce qui fait les lois ?

LE GRAND-PÈRE

"La proposition des lois appartient au roi, à la chambre des pairs et à la chambre des députés."

CHARLES.

Mais comment pourrions-nous faire si nous voulions une loi ?

LE GRAND-PERE.

D'après la Charte: "Tout Français a le droit d'en

voyer aux chambres, par écrit, une pétition pour demander la loi qu'il croit utile à son pays."

"Ah! tant mieux," dit Charles comme ils rentraient à la maison, "je ne l'oublierai pas, et, quand je serai grand, je ferai une pétition afin d'obtenir une loi pour punir les hommes qui sont féroces envers les

animaux."

VINGTIÈME CHAPITRE.

AOUT.

L'homme patient vaut mieux que l'homme courageux, et celui qui est maître de son esprit vaut mieux que celui qui force des villes.

MAXIME ISRAÉLITE.

LE facteur vint apporter une lettre, elle était pour Léon; en la lisant, il se dit avec impatience: "Imbécile! voilà un mot que je ne peux pas lire; si papa savait cela, il ne m'écrirait plus."

-Le grand-père lui proposa de l'aider, et lut tout haut:

"MON CHER FILS,

"Je me porte bien, et suis aussi heureux qu'un Français puisse l'être, éloigné de son pays; mais nous sommes ici-bas pour remplir nos devoirs, et c'est dans leur accomplissement que nous devons trouver le bonheur. Mon enfant écoute les conseils de ton grand-père comme si je te les donnais par sa bouche; apprends à devenir un honnête homme, un homme utile, afin que le jour où je ne pourrai plus rien pour ma patrie, tu puisses me remplacer auprès d'elle. Adieu, mon fils."

Léon sanglotait. "Je veux écrire tout de suite à mon papa," dit-il en s'efforçant d'arrêter ses larmes. Le voilà qui cherche plume, encre, papier, s'assied devant une table; mais il est embarrassé, tourne sa plume dans sa bouche, regarde au plafond. Enfin, ne sachant par où

commencer, il demanda à son grand-père comment on faiBait une lettre.

-"Il faut d'abord répondre à ce que les personnes nous écrivent,” dit le grand-père; "ensuite parler de ce qui les intéresse, et puis leur parler de nous. Je vais te dicter.

"MON CHER PAPA,

"J'ai pleuré de plaisir en recevant de tes nouvelles ; tous les soirs je prie Dieu pour que tu te portes bien, et pour que tu reviennes bientôt; cela me fait supporter ton absence avec moins de chagrin. Oui, mon cher papa, je te promets d'écouter les conseils de mon grand-père : je ne suis déjà presque plus ni joueur ni paresseux, et je réprimerai ma colère, afin d'être un jour digne de toi. "Adieu, mon cher papa. Ton fils respectueux et soumis, LEON."

"Comment écrit-on à sa mère?" demanda Charles. "Dans les mêmes expressions de respect," répondit

le grand-père, "et avec plus de tendresse encore.

"Si on écrit à ses grands parents, à son maître, à son protecteur, on commence par :

"Mon cher Oncle, je suppose, Monsieur, Monsieur le Comte, Monsieur le Curé, ou Monsieur le Ministre, selon son titre, et l'on finit par :

"Je suis avec respect, mon cher Oncle, Monsieur, Monsieur le Comte, Monsieur le Curé, ou Monsieur le Ministre, votre très-affectionné neveu, ou votre trèshumble et très-obéissant serviteur.

“A une dame, à une demoiselle, on commence par : Madame, ou Mademoiselle; on ne se sert que d'expressions polies et réservées, et l'on finit par: J'ai l'honneur d'être, Madame, ou Mademoiselle, votre très-respectueux et très-dévoué serviteur.

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