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aire régner les loix. Il n'eft fujet ni aux emportements d'une multitude peu éclairée, ni aux féductions des orateurs, comme la Démocratie, ni aux caprices de la volonté d'un monarque, ni aux troubles qui accompagnent les élections des rois, ni aux défauts perfonnels, comme la foibleffe de l'âge ou du fexe qui fe rencontrent dans les états fucceffifs. Tite-Live [o] dit du fénat Romain, que celui qui l'a nommé une af femblée de rois, en a feul compris la grandeur.

Mais il y a une grande différence de Ja pluralité des confeils au partage de l'autorité entre plufieurs têtes. La monarchie n'exclut pas la pluralité des confeils, dont elle fçait au contaire fe fervir bien mieux & plus à propos que toute autre forme de gouvernement L'expérience eft certaine que plus le pouvoir de décider eft divife, plus il fe rencontre de lenteur, de doutes, & d'irréfolution.

Les républiques font obligées dans les temps difficiles de confier toute l'autorité à un feul. Les Romains dans les dangers preffants de la république [p] avoient recours à la dictature, comme au fecours le plus efficace. Les comman dements du dictateur étoient obfervés [9] auffi religieufement que des loix émanées de quelque divinité. Si l'on n'avoit pas recours à la création d'un dictateur, dans les conjonctures diffi ciles, un arrêt du fénat [r] autorifoit l'un des confuls à décider feul de ce

[o] Quem qui ex regibus conftare dixit, uus veram fpeciem Romani fenatus cepit T. Liv. l.9

[p] Trepidi Patres ad fummum auxilium decurrunt dictatorem dici placet. Tit. Liv. 6. Denys d'Halic. r.s

[q] Dictatoris edictum pro numine femper obfervatum. Id. 16

[] Quæ forma fenatufconfulti ultimæ femper neceffitatis vifa eft. Pofthumio al

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qu'il jugeoit le plus avantageux à la république, fans attendre les délibérations du fénat ni du peuple.

Les affemblées nombreuses font prefque fujétes aux mêmes défauts que tout un peuple. Le fecret ordinairement fi décisif pour les fuccès ne peut s'y rencontrer. Ces grandes affemblées n'ont jamais que l'ombre & l'apparence de l'autorité. Un petit nombre de citoïens, ou un feul, s'emparent de tout le pouvoir; la liberté eft détruite;la nation & les particuliers qui la compofent, ont autant de maîtres qu'il y a de factieux qui ont envahi le commandement, & qui exercent avec injuftice une autorité ufurpée par des voies cachées & indirectes. Qu'aimez-vous mieux,difoit Abimelech [s ]aux Sichémites,être fous la domination de cinquante hommes touts enfants de Jerobaal,ou de n'avoir à obéir qu'à un feul maître!

Quelques Rhodiens s'étant emparés du gouvernement de leur patrie, exercérent des violences & des injuftices infupportables fous un titre d'Ariftocra tie. Ils inventérent un jeu qui fut nommé [t]le jeu d'Hégéfilochus, dont la convention portoit, que celui qui perdoit, étoit obligé de livrer à celui qui avoit gagné la dame qu'il fouhaitoit : & s'il le rencontroit quelque obstacle, touts devoient prêter main forte. L'Ariftocratie, en multipliant [] les maîtres, augmente la fervitude & le danger de la tyrannie.

Les vices d'un monarque meurent Q 3 teri confulum negotium datur, videret ne quid refpublica detrimenti caperet. Tit Liv 1.3.

[] Quid vobis eft melius, ut dominentur veftri feptuag nta viri omnes filii Jerobaal, an ut dominetur unus vir? Jdic.c.9.v.2.

[r] Athén, déipnofoph liv.10.ch 12.
[u] Bodin, de la républ. liv,z.ch.6.

avec lui, & ordinairement le fucceffeur les évite; mais un fenat une fois corrompu ne laiffe aucune efpérance de fe corriger [x] par la mort même de ceux qui le compofent. Le même efprit contraire au bien public, les mêmes mauvaises maximes s'y perpétuent. Des mœurs une fois dépravées empirent toujours, jufqu'à la ruine de la république par de fanglantes catastrophes, ainfi qu'il arriva à la république Ro

maine.

Le gouvernement Ariftocratique eft néceffairement rempli de jaloufies, de foupçons, d'intrigues pour parvenir aux magiftratures, de conjurations & de guerres civiles pour ufurper la fouveraineté. Si ceux qui gouvernent font unis, ils confpirent enfemble contre la liberté de la patrie, ils fe prêtent un fecours mutuel pour abufer de l'autorité. Les citoïens gémiffent fous plufieurs tyrans. Si ceux dans lefquels la principale autorité réfide font divifés, ils déchirent le fein de leur patrie par des guerres inteftines, fans qu'il y ait aucune autorité capable de les contenir. Les loix ne peuvent le faire entendre Ly Jaumilieu des troubles & des diffentions, que ce gouvernement produit,

-[x] Barclaï, Argen.l.1.

[y] Pompée répondit aux Mamertins : Armatus leges ut cogitem?

[2] Machiav.de difcorfi. 1.1.cap.6.
[a] Dio. Caff. 1.44. in init.

[b] Les ifles de la mer Adriatique, vers le milieu du cinquiéme fiécle,fervirent d'azyle à plufieurs peuples contre les ravages d'Attila. Toutes ces isles qui ont formé depuis la ville de Venife,furent gouvernées pendant plus de deux cents ans par des Tribuns particuliers: elles n'étoient unies que par les interêts communs de leur commerce, & pour le défendre contre leurs ennemis. Ellesformérent enfuite un gouvernement, où les Doges eurent une autorité abfolue, &faifoient mémo élire leurs enfants ou leurs frères pour leurs fucceffeurs. L'élection du Doge fur enfuite ôtée à tout le peuple, &

& quifiniffent d'ordinaire par fa ruine. L'aggrandiffement des républiques [y] eft la caufe de leur deftruction. Quelques citoïens devenus trop puissants par les gouvernements des provinces & par le commandement des armées difputent entr'eux aux dépens de leur patrie le prix de fa fervitude. Dion obferve [a] que fi quelque république a été floriffante, ce bonheur n'a duré qu'autant que l'état a été referré dans de bornes fort étroites,& que l'augmentation de fa puiflance a fait naître auffitôt l'ambition, la jaloufie, & touts les prin cipes de la difcorde.

La longue durée des magiftratures & la grande puiffance de quelques citoiens eft un autre écueil des républi. ques. Marius fut fept fois conful, fe faifant continuer cette fupréme magiftrature contre la difpofition des loix. Pompće fut feul conful fans collégur. Bibufus collégue du prémier confulat de Jules Céfar étoit compté pour rien, & l'on datoit par raillerie cette année dụ confulat de Jules & de Céfar.

Le gouvernement de Venife évite ces dangers. Cependant cette république qui nous paroît fi tranquille, n'a pas été exempte [b] de révolutions. Je

transferée à un confeil composé de tours les états. Vers la fin du treiziéme fiècle, le Doge Pierre Gradenigo établit une véritable Ariftocratie, & la forme du gouvernement telle à peu près qu'elle s'observe aujourd'hui. Le collége des dix eft au-dessus des magiftrats ord`naires; le fenat composé de l'élite de la noblesse, est au-deffus des dix; le grand confei!,qui est l'affemblée de touts les nobles qui ont paffé 25.ans ou qui ont difpenfe d'y entrer à 20. ans, eft audeffes du fénat, & c'est dans ce grand confeil, que réfide la fouveraine puiffance. On a remarqué que cette affemblée n'a jamais passé le nombre de quinze cents perfonnes. Dans les élections des Doges, le fort & les fuffrages font entremélés, & réitérés tant de fois, que c'est un moi en für de dérouter de rompre toutes les cabalès qui pourroient avoir été formées

n'ajoute aucune foi aux imputations qui ont été faites à ce gouvernement de plufieurs maximes odicufes je ne doute point que la juftice n'y foit égale à la fageffe; mais ce qu'il y a de certain,c'eft qu'il y régne beaucoup de foupçons & de défiances. Les nobles Vénitiens [c] ne fe voient guéres qu'au Broglio: ils n'ont ni familiarité entr'eux ni commerce avec les étrangers. La république ne permet pas[d]à fes citoïens de s'agguerrir, & craignant de leur confier la défenfe, elle fe fert d'étrangers dans fes guerres. Le dernier confeil du doge Mocenigo en mourant[e]fut de ne point augmenter les conquêtes. Voilà par quelle politique ce gouvernement républicain a fubfifté fi longtemps. Comment allier avec tant de précautions & de défiances l'efprit de la liberté ?

Le duc de Rohan [f] eftime que le fouverain eft bien plus capable de faire de grandes& promtes conquêtes qu'une république le prince étant fécret en fon confeil, hardi en fa réfolution, & ne craignant d'être contredit de perfon ne: au lieu que la république eft longue à réfoudre, obligée pour maintenir la fureté de fon gouvernement, de brider T'autorité de fes capitaines, & qu'elle

Un enfant, qu'on appelle il Ballottino, diftribue an hazard à touts les nobles des ballottes qu'il tire d'une boëte, parmi lesquelles il yen a 30. d'or. Les trente perfonnes qui ont eu ces ballottes d'or font réduites au nombre de neuf par une feconde élection au fort. Ces neuf choififfent, par voix de fcrutin, quarante Jénateurs, dont chacun doit avoir été élû an moins par fept fuffrages. Ces quarante font réduits à douze tirés au fort, qui en élisenr vingt-cing, par le concours au moins de neuf fuffrages. Dans les vingt-cing,le fort en extrait neuf, qui font une election de quarante cing, dont chacun doit avoir eu au moins fept fuffrages. On fait un dernier ballottage pour réduire les quarante-cinq à onze; & tes onze

contredità toute heure fes propres réfolutions. Mais il eft d'avis qu'une république qui fuit toujours les mêmes maximes, qui n'eft pas fujéte aux défauts d'un feul, & dont le gouvernement ne reçoit point d'altération par la mort d'un fouverain, eft plus propre à conferver fes conquêtes. Cette feconde partie de fon opinion me paroit infoutenable, puifque les mêmes raifons qui rendent la république moins propre à conquérir, la rendent auffi moins propre à conferver les païs conquis; & que l'état républicain n'a pas les mêmes avantages que l'état monarchique, pour faire toute forte de guerre foit offenfive foit défenfive. Il doit même. en général fe trouver plus de conftance & moins de variations dans un état monarchique héréditaire, où l'intérêt du roi eft toujours le même, que dans un état républicain gouverné par tant de têtes différentes, qui ne font pas longtemps en place, qui ont des intérêts oppofés & des vûes différentes. Un in, convénient du gouvernement monarchique, & cette altération dont le duc de Rohan parle, qui arrive par la mort & la minorité du louverain, confiftent en ce que cet état gouverné alors par

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nomment 41. électeurs,dont chacun doit avoir étéchoifi par un concours au moins de neuf voix. Les quarante-ún électeurs, après avoir été confirmés par le grand confeil,élifent le Do ge à la pluralité au moins de vingt-cing fuffrages. Ces combinaisons réitérées du fort & du rutin, ont beaucoup de rapport au fixiéme

livre des loix de Platon.

[c] Délices de l'Italie,art. de Venife. [d] Bodin, de la république. Amelot de la Hoffaie, hift. de Venise.

[e] Introduction à l'hift. générale de Puffendorf, rom. 2.

[f] Le duc de Rohan,dans le parfait capitaine, ch.20.

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ment de

Rome.

un confeil de régence dont l'autorité eft temperée par les parlements, reffemble au gouvernement républicain, auquel il est encore préférable par l'adminif. tration d'un régent. Ainfi le défaut de la monarchie [left de ne pouvoir être tellement continuelle, que la reffemblance du gouvernement républicain ne s'y ingére quelquefois.

Il ne fut jamais bien décidé à Rome, Gouverne- quelle autorité devoit être fupérieure l'ancienne celle du peuple ou celle du fénat. On trouve dans Cicéron la preuve de cette incertitude. Craffus avoit dit dans l'af femblée du peuple: Ne permettez pas que nous obéiffions à d'autre [b] autorité qu'à celle de vos délibérations auxquelles nous devons être foumis. Sur cela M. Antoine l'orateur fait ces reproches [Jà Craffus : Quel philofophe feroit affez lâche & affez flatteur, pour foutenir que le fénat qui tient les rênes du gouvernement pour conduire le peuple, doit lui-même être foumis au peuple, P. Rutilius homme verfé dans les maximes les plus faines de la politique & de la philofophie m'a fait remarquer ce qu'il y a de honteux & de

criminel dans ce fentiment.

Il est étonnant que les prémiers hom mes de la république, un Craffus, un Antoine connuffent fi peu la nature de leur gouvernement, qu'un philofophe éloigné des affaires leur enfeignât les prémiers principes à cet égard: ou plûtôt il falloit que depuis le commencement de la république, ce gou

[g] Hobb. de imper. cap.10.

[b] Nolite finere nos cuiquam fervire nifi vobis univerfis, quibus & poffumus & debemus. Cic. de orat. lib. 1.

[i] Quæ verò addidifti non modò senatum fervire poffe populo, fed etiam debere, quis hoc philofophus tam mollis, tam languidus, tam nervatus, tam omnia ad voluptatem corporis doloremque refe

vernement n'eût pris aucune forme affurée.

Le tribun Saturninus propofa une loi portant que le fénat jureroit d'ap prouver & d'obferver tout ce que le peuple auroit ordonné. Les fénateurs intimidés firent ce ferment; Metellus qui feul refufa de le faire, fut exilé Peu après, Saturninus fut affommé dans une émeute, & Metellus rappelé avec beaucoup de gloire.

.

Les Gracques qui entreprirent d'abaiffer le fénat pour élever leur propre autorité fur le prétexte de celle du peuple, périrent dans les féditions qu'euxmêmes avoit excitées. Sylla & Pompée foutinrent le parti du fénat. Marius embraffa celui du peuple, & Céfar le fit enfin triompher.

Lorfqu'on étudie la nature du gouvernement de l'ancienne Rome,on trouve qu'il a changé quatre fois. De roïal il devint ariftocratique. Un troifiéme changement plus infenfible en fit une véritable Démocratie, jufqu'à ce qu'il fût rendu Defpotique fous le titre modefte d'empereur. Pendant que la république fubfifta, le foible de ce gouvernement fut la jaloufie des Patriciens & du peuple: la licence des foldats fut fous les empereurs la fource des révolutions.

Pour connoître le génie de ce gouvernement républicain, il faut entendre ce qu'étoit le fénat, jufqu'où s'étendoient les puiffances confulaire & tribunicienne, & de quelle maniére fe tenoient les comices. Romulus com

pofa

rens probare poffet? Senatum fervire populo, cui populus ipfe moderandi & regendi fui poteftatem quafi quafdam habe nas tradidiffet? Itaque hæc cùm à te divinitus & ego dicta effe arbitrarer, P. Rutilius Ruffus, homo doctus & philofophia deditus, non modò parùm commode,fed etiam turpiter & flagitiosè dicta effe dicebat. Cic, ibid.

pofa le fénat de cents fénateurs, qui furent nommés Péres,comme devant être les péres du peuple. Ce nombre [k] fut doublé fous le même régne, lorfque la nation Sabine fut incorporée à la Romai. ne, Les derniers rois,ou les prémiers confuls,(car ce point d'hiftoire n'eft pas bien certain)augmentérent le nombre des fénateurs jufqu'à trois cents.Appius Claudius Cæcus fut le prémier qui avilit la dignité du fénat, aïant reçû dans cette. compagnie pendant fa cenfure des fils. d'affranchis. Céfar augmenta le nombre des fénateurs jufqu'à plus de mille, & donna cette qualité aux perfonnes les plus viles & entr'autres à un barbier nommé Licinius. Après la mort de Cé far, la confufion des fénateurs & l'indignité du choix augmentérent encore Augufte[m] réforma & épura le fénat; & Tibére le voiant afforvi à toutes fes volontés, lui transféra toute l'autorité [n]des comices ou de l'affemblée générale du peuple.

Après l'expulfion des Tarquins & au

Tom. II,

[k] Les cent fénateurs ajoutés au premier nombre de cent,furent nommés péres confcripts comme qui diroit, écrits avec les autres; & ce titre fut commun depuis à tours les fénateurs. [] Pauci tamen boni inerant qui mofti inter fui diffimiles & moerentes fedebant,& contagione turpitudinis vehementer permovebantur. Cic. epift. ad Attic. lib. 1. epift. 16.

[m] Senatorum numerum deformi & inconditâ turbâ,(erant enim fupra mille) & quidam indigniffimi,& poft necem Cæfaris per gratiam & præmium alle&ti,quos abortivos vulgus appellabat, ad modum priftinum & fplendorem redegit, Suet, in Auguft.

[2] Tùm primùm à campo comitia ad Patres translata funt; nam ad eam diem, etli potiffima arbitrio principis, quædam tamen ftudiis tribuum fiebant.Tac ann.l. 1. [a] Regio imperio duo funto: iique præeundo, judicando, confulendo, Prætores,Judices,Confules appellantor: militiæ

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fummum jus habento:nemini parento:ollis fal us populis fuprema lex efto. Leg. 12.tab

[p] Le's Patritiens étoient les defcendants mâles des deux cents prémiers fénateurs. Ils portoient à leurs fouliers la figure d'un croiffant, ou du chiffre Romain qui exprime le nombre centenaire, par rapport aux cent prémiers fénateurs.

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Patritios calceos Romulus reperit qua. tuor corrigiarum,affutâque lunâ. Iis foli Patritii utebantur, Luna autem in eis non fideris formam fed notam numeri centenarii fignificat,quod initio patritii fenatores centum fuerint.S.Ifid.orig.lib.19 c. 34.

[9] Denys d'Halic.liv, 10.Tit. Liv.lib.4. [r] Agi deinde de concordiâ cœptum conceffumque in conditiones, ut plebi fui magiftratus effent facro-fancti, quibus auxilii latio adverfus confules effet, neve cui Patrum capere eum magiftratum liceret. Tit.Liv.lib.2.

[] Imperium penes confules, penes Tribunos auxilium tantùm effe, Tir.Liv,

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