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Nous en allons faire de nouveaux, je dis des députés, Dieu sait quels, blancs ou noirs, mais bonnes gens, à coup sûr. En attendant ce jour, on rit de la querelle de Paul et du préfet; c'est affaire d'élections. Paul veut être électeur; le préfet ne veut pas qu'il le soit, et lui fait la plaisante chicane... Paul n'a pas de domicile, dit le préfet, attendu qu'il a été soldat; il a femme et enfant dans ce département, cultive son héritage, habite la maison de son père et de son grand-père, paie 1,300 francs d'impôts: tout cela n'y fait rien. Il a été soldat pendant seize ans, rebelle aux puissances étrangères, aux cabinets de l'Europe; il a quitté le pays. Que ne restait-il chez lui? ou, s'il eût émigré... C'est un mauvais sujet, un vagabond, indigne d'être même électeur. Cette bouffonnerie réjouit toute la ville, et le département, et le bonhomme Paul, qui, labourant son champ, se moque des, cabinets. Adieu, portez-vous bien; que tout cec soit entre nous.

COURIER.

LETTRE II.

Tours, 28 novembre 1820.

ous êtes babillard, et vous montrez mes lettres, ou bien vous les perdez; elles vont de main en main, et tombent dans les journaux. Le mal serait petit si je ne vous mandais que les nouvelles du Pont Neuf; mais de cette façon tout le monde sait nos affaires. Et croyez-vous, je vous prie, moi qui ai toujours fui la mauvaise compagnie, que je prenne plaisir à me voir dans la Gazette?

Notre vigne n'est point si chétive qu'on le voudrait bien faire croire. Les vieilles souches, à vrai dire, sont pourries jusqu'au cœur, et le fruit n'en vaut guère; mais un jeune plant s'élève, qui va prendre le dessus et couvrir tout bientôt. Laissezle croître avec cette vigueur, cette sève, seulement cinq ou six ans encore, et vous m'en direz des nouvelles.

Si vous me promettiez de tenir votre langue, je vous conterais... mais non; car vous iriez tout dire, et je suis averti; je vous conterais nos élections,

comment tout cela s'est passé, la messe du SaintEsprit, le noble pair et son urne, le club des gentilshommes, l'embarras du préfet, et d'autres choses non moins utiles à savoir qu'agréables; mais quoi? vous ne pouvez rien taire; un peu de discrétion est bien rare aujourd'hui. Les gens crèveraient plutôt que de ne point jaser, et vous tout le premier. Vous ne saurez rien cette fois; pas un mot, nulle nouvelle; pour vous punir, je veux ne vous rien dire, si je puis.

Oui, par ma foi, c'était une chose curieuse à voir. Figurez-vous, sur une estrade, un homme tout brillant de crachats, devant lui une table,et sur la table une urne. Si vous me demandez ce que c'est que cette urne, cela m'avait tout l'air d'une boîte de sapin. L'homme, c'était le président, comte Villemanzy, noble pair, dont le père n'était ni pair ni noble, mais procureur fiscal, ou quelque chose d'approchant. Je note ceci pour vous qui aimez la nouvelle noblesse. Jadis Larochefoucault était de votre avis, il la voulait toute neuve; neuve elle se vendait alors; elle valait mieux. La vieille ne se vendait pas. Pour moi ce m'est tout un, l'ancienne, la nouvelle, la Tremouille ou Godin, Rohan ou Ravigot, j'en donne le choix pour une épingle.

Il tira de sa poche une longue écriture (c'est le président que je dis ), et lut : « Le Roi tout seul pouvait faire les lois; il en avait le droit et la pleine puissance; mais par un rare exemple de bonté paternelle, il veut bien prendre notre avis. » Je n'enten

dis pas le reste; on cria Vive le Roi, les Princes, les Princesses et le duc de Bordeaux. Puis le président se lève. Nous étions au parterre quelque deux cent cinquante, choisis par le préfet pour en choisir d'autres qui doivent lui demander des comptes. Le président debout nous donna des billets sur lesquels chacun de nous devait écrire deux noms; mais il fallut jurer d'abord. Nous jurâmes tous. Nous levâmes la main de la meilleure grâce du monde et en gens exercés. Puis, nos billets remplis, le président les reprenait avec le doigt index et le pouce seulement, ses manchettes retroussées, les remettait dans la boîte d'où nous vîmes sortir un ultraroyaliste et un ministériel.

Sans être son compère, j'avais parié pour cela et deviné d'abord ce qui devait sortir de la boîte ou de l'urne, par un raisonnement tout simple et le voici. Nous étions trois sortes de gens appelés là par le préfet, gens de droite, aisés à compter; gens de gauche, aussi peu nombreux, et gens du milieu à foison, qui, se tournant d'un côté, font le gain de la partie, et se tournent toujours du côté où l'on mange. Or, en arrivant, je sus que tous ceux de la droite dînaient chez le préfet ou chez l'homme aux crachats avec ceux du milieu, et que ceux de la gauche ne dînaient nulle part.J'en conclus aussitôt que leur affaire était faite; qu'ils perdraient la partie, et paieraient le dîner dont ils ne mangeaient pas; je ne me suis point trompé.

J'étais là le plus petit des grands propriétaires,

ne sachant où me placer parmi tant d'honnêtes gens qui payaient plus que moi, quand je trouvai, devinez qui? Cadet Roussel, vieille connaissance, à qui je dis, en l'abordant : « Qu'as-tu, Cadet?» Puis je me repris : « Qu'avez-vous, M. de Cadet? (car c'est sa nouvelle fantaisie de mettre un de avec son nom, depuis qu'il est éligible et maire de sa commune), je vous vois soucieux, inquiet. Ce n'est pas sans sujet, me dit-il. J'ai trois maisons, comme vous savez l'une est celle de mon père, où je n'habite plus; l'autre appartenait ci-devant à M. le marquis de...chose, qui s'en alla, je ne sais pourquoi, dans le temps de la Révolution. J'achetai sa maison pendant qu'il voyageait. C'est celle où je demeure et me trouve fort bien. La troisième appartenait à Dieu, et de même je m'en suis accommodé. Je viens de voir là-bas, vers la droite, des gens qui parlaient de restituer, et disaient que de mes trois maisons la dernière doit retourner à Dieu, les deux autres pourraient servir à recomposer une grande propriété pour le marquis. A ce compte, je n'aurais plus de maison. Je vous avoue que cela m'a donné à penser. C'est dommage pour vous, lui dis-je, que d'autres comme vous, peu amis de la restitution, ne se trouvent point ici. On ne les a pas invités, et je m'étonne de vous y voir.—Ah! me dit-il, c'est que je pense bien. Je ne pense point comme la canaille. Je vois la haute société, ou je la verrai bientôt du moins, car mon fils me doit présenter chez ses paQui? quels parens? - Eh! oui, mon fils

rens.

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