Page images
PDF
EPUB

EPISTRE IX.

A MONSEIGNEUR

LE M. DE SEIGNELAY, SECRETAIRE D'ETAT.

Seignelay, c'eft en vain qu'un ridicule Auteur
Preit à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange,
Croit te prendre aux filets d'une fotte loüange.
Auffi-toft ton efprit prompt à fe revolter,
S'échappe, & rompt le piege où l'on veut l'arrester;
Il n'en eft pas ainfi de ces Elprits frivoles,
Que tout Flatteur endort au fon de ses paroles,
Qui dans un vain Sonnet placez au rang des Dieux,
Se plaifent à fouler l'Olympe radieux,
Et fiers du haut étage où la Serre les loge,
Avalent fans dégouft le plus groffier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à fi bas prix.
Non, que tu fois pourtant de ces rudes efprits
Qui regimbent toûjours, quelque main qui les flatte..
Tu fouffres la louange adroite & délicate,
Dont la trop forte odeur n'ébranle point les fens.
Mais un Auteur novice à répandre l'encens
Souvent à fon Heros, dans un bizare ouvrage,
Donne de l'encenfoir au travers du vifage:
Va loüer Monterey d'Oudenarde forcé,
Ou vante aux Electeurs Turene repouffé.
Tout éloge impofteur bleffe une ame fincere.
Si pour faire fa cour à ton illuftre Pere,

Seignelay, quelque Auteur d'un faux zele emporté,
Au lieu de peindre en lui la noble activité,
La folide vertu, la vafte intelligence,

Le zele pour fon Roy, l'ardeur, la vigilance,.

La

La conftante équité, l'amour pour les beaux arts,
Lui donnoit les vertus d'Alexandre ou de Mars,
Et, pouvant juftement l'égaler à Mecene,
Le comparoit au fils de Pelée ou d'Alcmene,
Ses yeux d'un tel difcours foiblement éblouis,
Bien-toft dans ce tableau reconnoiftroient LOUIS,
Et, glaçant d'un regard la Mufe & le Poëte,
Impoferoient filence à fa verve indifcrete.

Un cœur noble eit content de ce qu'il trouve en lui,
Et ne s'applaudit point des qualitez d'autrui.
Que me fert en effet, qu'un admirateur fade
Vante mon embonpoint, fi je me fens malade,
Si dans cet inftant mefme un feu feditieux

Fait bouillonner mon fang, & petiller mes yeux ?
Rien n'eft beau que le Vrai. Le Vrai feul eft aimable..
Il doit regner par tout, & mefme dans la fable,
De toute fiction l'adroite fauffeté

[ces,

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la Verité.
Sçais-tu, pourquoy mes vers font lûs dans les Provine
Sont recherchez du Peuple, & receus chez les Princes?
Ce n'eft pas que leurs fons agreables, nombreux,
Soient toûjours à l'oreille également heureux,
Qu'en plus d'un lieu le fens n'y gefne la mesure,
Et qu'un mot quelquefois n'y brave la céfure.
Mais c'eft qu'en eux le Vrai du Menfonge vainqueur
Partout fe montre aux yeux, & va faifir le cœur ::
Que le Bien & le Mal y font prifez au jufte,
Que jamais un Faquin n'y tint un rang auguite,
Et que mon cœur toujours conduifant mon efprit,
Ne dit rien aux Lecteurs, qu'à foy-mefme il n'ait dit..
Ma pensée au grand jour par tout s'offre & s'expose,
Et mon vers, bien ou mal, dit toûjours quelque chofe..
C'est par là quelquefois que ma rime furprend.
C'est là ce que n'ont point Jonas, ni Childebrand,
Ni tous ces vains amas de frivoles fornettes,
Montre, Miroir d'amours, amitiez, amourettes,
Dont le titre fouvent eft l'unique foûtien,
Et qui parlant beaucoup ne difent jamais rien.

Mais peut-eftre enyvré des vapeurs de ma Mufe
Moy-mefme en ma faveur, Seignelay, je m'abuse.
Ceflons de nous flatter. Il n'eft Efprit fi droit
Qui ne foit impofteur, & faux par quelque endroit.
Sans ceffe on prend le mafque, & quittant la Nature,.
On craint de fe montrer fous fa propre figure.
Par là le plus fincere affez fouvent déplaît.
Rarement un Efprit ofe eftre ce qu'il eft.

Vois-tu cet Importun que tout le monde évite,
Cet Homme à toûjours fuir qui jamais ne vous quitte?
Il n'eft pas fans efprit: mais né trifte & pezant,
Il veut eftre folâtre, évaporé, plaifant:

Il s'eft fait de fa joye une loy neceffaire,
Et ne déplaift enfin que pour vouloir trop plaire:
La fimplicité plaift fans étude & fans art.

Tout charme en un Enfant, dont la langue fans fard,
A peine du filet encor débaraffée,

Sçait d'un air innocent begayer fa pensée.

Le faux eft toûjours fade, ennuieux, languiffant:
Mais la Nature eft vraye, & d'abord on la fent.
C'eft elle feule en tout qu'on admire, & qu'on aime:
Un Elprit né chagrin plaift par fon chagrin mesme.
Chacun pris dans fon aireft agreable en foy.
Ce n'eft que l'air d'autrui qui peut déplaire en moy.
Ce Marquis eftoit né doux, commode, agreable::
On vantoit en tous lieux fon ignorance aimable.
Mais depuis quelques mois devenu grand Docteur,
Il a pris un faux air, une fotte hauteur.

Il ne veut plus parler que de rime & de profe..
Des Auteurs décriez il prend en main la caufe.
Il rit du mauvais gouft de tant d'hommes divers,
Et va voir l'Opera, feulement pour les vers.
Voulant fe redreffer foy-mefme on s'eftropie,
Et d'un original on fait une copie.

L'ignorance vaut mieux qu'un fçavoir affecté.
Rien n'eft beau, je reviens, que par la verité. [plaire:
C'est par elle qu'on plaift, & qu'on peut long-temps-
L'efprit laffe aifément, file coeur n'eft fincere.

En.

En vain, par la grimace, un Bouffon odieux
A table nous fait rire, & divertit nos yeux.
Ses bons mots ont befoin de farine & de plâtre.
Prenez-le teste à tefte, oftez-lui fon theatre',
Ce n'eft plus qu'un coeur bas, un coquin tenebreux.
Son vifage effuyé n'a plus rien que d'affreux.
J'aime un efprit aifé qui fe montre, qui s'ouvre,
Et qui plaift d'autant plus, que plus il fe découvre.
Mais la feule Vertu peut fouffrir la clarté.

Le Vice toûjours fombre aime l'obscurité.
Pour paroiftre au grand jour, il faut qu'il fe déguife.
C'eft lui qui de nos mœurs a banni la franchise.
Jadis l'Homme vivoit au travail occupé,
Et ne trompant jamais, n'eftoit jamais trompé.
On ne connoiffoit point la rufe & l'impofture.
Le Normand mefme alors ignoroit le parjure.
Aucun Rheteur. encore arrangeant le difcours,
N'avoit d'un art menteur enfeigné les détours.
Mais fi-toft qu'aux Humains faciles à feduire
L'abondance eut donné le loifir de fe nuire.
La Molleffe amena la fauffe Vanité.

Chacun chercha pour plaire un vifage emprunté.
Pour éblouir les yeux, la Fortune arrogante
Affecta d'étaler une pompe infolente.
L'or éclata par tout fur les riches habits.
On polit l'émeraude, on tailla le rubis,
Et la laine & la faye en cent façons nouvelles
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles
La trop courte Beauté monta fur des patins.
La Coquette tendit fes laqs tous les matins,
Et mettant la cérufe & le plâtre en ufage,
Compofa de fa main les fleurs de fon visage.
L'ardeur de s'enrichir chaffa la bonne foy.
Le Courtizan n'eut plus de fentimens à foy.
Tout ne fut plus que fard, qu'erreur, que tromperie.
On vid par tout regner la baffe flatterie.
Le Parnaffe fur tout fecond en Imposteurs,
Diffama le papier par fes propos menteurs.

De

De là vint cet amas d'ouvrages mercenaires,
Stances, Odes, Sonnets, Epiftres liminaires,
Où toûjours le Heros paffe pour fans pareil,
Et fuft-il louche & borgne, eft reputé Soleil.
Ne croy pas toutefois, fur ce difcours bizarre,
Que d'un frivole encens malignement avare,
J'en veüille fans raison fruftrer tout l'univers.
La louange agreable eft l'ame des beaux vers.
Mais je tiens, comme toy, qu'il faut qu'elle foit vraye,
Et que fon tour adroit n'ayt rien qui nous effraye.
Alors, comme j'ay dit, tu la fçais écouter,
Et fans crainte à tes yeux on pourroit t'exalter.
Mais fans t'aller chercher des vertus dans les nuës,
Il faudroit peindre en toy des veritez connuës:
Décrire ton efprit ami de la raison,

Ton ardeur pour ton Roy puifée en ta maison,
A fervir fes deffeins ta vigilance heureuse,
Ta probité fincere, utile, officieuse.

Tel, qui hait à fe voir peint en de faux portraits,
Sans chagrin void tracer fes veritables traits.
Condé mefme, Condé, ce Heros formidable,
Et non moins qu'aux Flamans aux Flateurs redoutable,
Ne s'offenferoit pas, fi quelque adroit pinceau
Traçoit de fes exploits le fidele tableau:

Et dans Seneffe en feu contemplant fa peinture,
Ne defavoûroit pas Malherbe ni Voiture.
Mais, malheur au Poëte infipide, odieux,
Qui viendroit le glacer d'un éloge ennuyeux.
Il auroit beau crier; Premier Prince du monde, t
Courage fans pareil, lumiere fans feconde,
Ses vers jettez d'abord, fans tourner le feuillet,
Iroient dans l'antichambre amufer Pacolet. *

† Commencement du Poëme de Charlemagne. pié de Monfeigneur le Prince.

Fin des Epiftres.

*Fameux valet de

« PreviousContinue »