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plonger dans l'abrutissement des bêtes sauvages. La lecture d'un seul des rapports dont il fut chargé par Robespierre, d'un seul des verbeux discours qu'il débita à la tribune, suffiroit pour démontrer jusqu'à quel point de démence peut être emporté l'esprit humain quand il est livré aux déréglemens de l'immoralité, de l'ambition et d'une ignorance présomptueuse,

Lorsqu'il entra à la convention, son premier soin fut de se rallier au grand homme, à l'incorruptible Robespierre, dont il avoit déjà flatté par des écrits l'orgueil et l'ambition; mais, long-tems dissimulé, on le connoissoit à peine, lorsqu'après le 31 mai il parut à la tribune, pour faire déclarer traîtres à la patrie les députés de la Gironde qui avoient fui, et faire décréter d'accusation ceux qui avoient été arrêtés et plongés dans les fers; ce premier discours respiroit déjà la soif du sang et déceloit cette audace qui ne le quitta plus, toutes les fois qu'il vint demander le supplice de ses collègues. Souvent en mission, il sembloit ne s'arrêter dans les villes que pour désigner des conspirateurs et les livrer

à la hache des bourreaux, et après avoir couvert de sang, encombré de cachots les départemens confiés à sa dévastation, à son activité révolutionnaire, il revenoit sonder à Paris les sombres fureurs de Robespierre qui, le voyant digne enfin de sa confiance, l'admit aux honneurs du triumvirat dont Couthon formoit la troisième tête, et lui en confia un des principaux ressorts en par tageant avec lui la surveillance de la police. générale.

Saint-Just, pour ses atrocités, ne le cédoit en rien aux Carrier, aux Collotd Herbois, aux Maignet et à tant d'autres tigres, dont les forfaits épouvanteront les générations futures. Il sembloit avoir choisi les départemens voisins du théâtre de la guerre, pour y ajouter aux calamités qu'entraîne ce fléau, tous les malheurs d'une tyrannie intolérable. Ses fureurs répandoient dans ces pays infortunés le deuil et la consternation. Des peuplades entières fuyoient à l'approche de ce frénétique révolutionnaire et, dans leur désespoir, alloient chercher un asyle parmi les ennemis de leur patrie, Les départemens du Rhin

n'avoient plus ni cultivateurs ni artistes ; quelques hommes de sang régnoient sur des chaumières désertes et des villages aban donnés.

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Ce fut ce Saint Just, comme nous ve→ nons de le dire, que Robespierre lança. en second à la tribune, pour préparer le coup qu'il méditoit contre Camille, Dan ton et autres. Une foible parcelle du гарport de ce jeune scélérat sumia pour justi

fier ce que nous avons dit de lui. « Ce qui constitue une république, s'écrioit il, c'est la destruction totale de ce qui lui est opposé. On se plaint de nos mesures révolu tionnaires, mais nous sommes des modé rés, en comparaison des autres gouvernemens. Cette modération parricide laisse triompher tous les ennemis de notre gouvernement. Par quelle illusion persuaderoit-on que vous êtes inhumains? votre tribunal révolutionnaire a fait périr des scélérats, mais la monarchie, jalouse de son autorité, nageoit dans le sang de trente générations et vous balanceriez à vous montrer sévères contre des coupables. La pitié que l'on fait paroître pour les dés

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tenus, est un signe éclatant de trahison dans une république qui ne doit être assis e que sur l'insensibilité. Il est une secte politique dans la France, qui se joue de tous les partis. Eprouvons-nous des revers, les indulgens prophétisent des malheurs ; sommes-nous vainqueurs on en parle à peine. Dernièrement on fut moins occupé de la république que de quelques pamphlets (le vieux Cordelier), et tandis qu'on détourne le peuple des mâles objets, les auteurs des complots criminels respirent et s'enhardissent. Vous demander l'ouverture des prisons, c'est comme si on vous demandoit la misère et l'humiliation du peuple. Au sortir des prisons, les détenus, rendus à la liberté, reprendroient les armes. La même conjuration semble s'ourdir pour les sauver, qui s'ourdit autrefois pour sauver le roi. La monarchie n'est point un roi, elle est le crime; la république n'est point un sénat, elle est la vertu, Quiconque ménage le crime, veut rétablir la monarchie: épargnez l'aristocratie et vous aurez trente ans de guerre civile; ceux qui font des Jévolutions à moitié, ne font que se creu

ser un tombeau celui qui s'est montré l'ennemi de son pays, n'y peut être propriétaire: celui-là seul a des droits à une patrie, qui a coopéré à l'affranchir les proprié tés des patriotes sont sacrées et les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux : les malheureux sont les puissances de la terre.... osez.... ce mot renferme toute la politique de notre révolution ».

Pour sentir tout ce que ces-phrases ont d'horrible, il ne faut point oublier que tous ces détenus n'étoient point réellement des ennemis de leur patrie, qu'il suffisoit d'être riche pour être incarcéré, et qu'il suffisoit d'être incarcéré pour être qualifié de conspirateur. Ce n'est pas que dans l'immensité des incarcérés il n'y eût des royalistes, des prêtres fanatiques des coupables, mais comme on confondoit le crime avec la vertu, qu'on frappoit indistinctement l'innocent comme le sclérat, qu'on immoloit ces mêmes scélérats, non pour les fautes, non pour les forfaits qu'ils avoient commis, mais qu'on les frappoit pour des délits dont ils ne s'étoient point rendus coupables, sur des allégations aussi

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