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moins ne sauraient en venir; un grand nombre, toutes peut-être sont innées.

Les premiers prouvent fort bien que les idées ne sont pas innées, mais fort mal qu'elles viennent toutes des sens. Les seconds prouvent fort bien aussi, ou plutôt ils ont raison de penser, qu'il y a des idées qui ne viennent pas des sens; mais ils prouvent fort mal, en même temps, qu'elles sont innées.

Cependant on s'en tient toujours à ce dilemme: ou les idées viennent des sens, ou elles sont innées; il n'y a pas de milieu.

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Il y a un milieu, il y en a plus d'un. Il y a trois milieux entre ces deux propositions; car, entre les sens, unique origine des idées, et les idées innées, il y a trois manières de sentir, qui sont autant d'origines spéciales d'idées (lec. 2).

Les partisans des deux doctrines ne pouvaient donc, ni résoudre la question de l'origine des idées, ni se rapprocher entre eux. Les uns et les autres voyaient avec une entière évidence qu'il y avait erreur dans l'opinion de leurs adversaires : ils s'abusaient, en concluant de cette erreur que leur opinion propre était la vérité.

Ce qui aurait suffi pour empêcher de bien

poser la question de l'origine des idées, c'est que le plus souvent on confondait trois choses distinctes; la nature des idées, leur origine et leur cause. On croyait avoir constaté la cause d'une idée quand on avait découvert son origine, ou s'être assuré de son origine, quand on avait reconnu sa cause, ou enfin qu'il suffisait de la nature et de la cause d'une idée, sans qu'il fût nécessaire de remonter à son origine.

Locke lui-même regarde la réflexion comme une source d'idées ; et Condillac, qui le blâme, ne voit dans cette faculté qu'un canal par lequel les idées dérivent des sens. La réflexion n'est pas une source, une origine d'idées; elle n'est pas non plus un canal de dérivation; la réflexion est une cause d'idées.

On était plus excusable, ce semble, de confondre la nature des idées avec leur origine; si l'on ne voit pas toujours l'origine dans la nature, on voit toujours la nature dans l'origine.

car,

Vous savez que tous les points de la circonférence d'un cercle sont à égale distance du centre; vous connaissez la nature du cercle; vous pourriez cependant ignorer son origine; car vous pourriez ne vous être pas aperçu de la manière dont il se forme. Mais quand on con

naît l'origine du cercle; quand on s'est avisé que, pour le décrire, il suffit de faire tourner une ligne droite sur une de ses extrémités immobiles; alors dans cette formation, ou dans cette origine, on voit l'égalité de toutes les distances au centre.

Il est vrai que le cercle est une figure si simple, qu'il paraît difficile de ne pas en découvrir l'origine à l'instant même qu'on le voit. Mais, qu'il s'agisse d'une ellipse, d'une hyperbole, d'une cycloïde, on ne tardera pas à s'apercevoir que l'origine de ces courbes peut rester cachée long-temps après qu'on nous en a fait connaître la nature.

La nature d'une idée est connue quand on connaît son origine, mais non pas réciproquement; il fallait donc distinguer ces deux choses.

Il le fallait si bien, que rien n'importe à un plus haut degré. Si vous cherchez, en effet, la raison de la différence qui sépare du commun des philosophes, le philosophe qui nous éclaire par son génie, vous trouverez qu'elle consiste principalement dans la manière dont ils considèrent les objets. L'un éprouve le besoin impérieux de savoir le comment des choses; tant qu'il ne les a pas vues se former sous les

yeux de son esprit, il croit les ignorer; aux autres, il suffit des choses comme elles se présentent, ou telles qu'on les leur montre; ils ne ne vont ni en deçà, ni en delà ; et cette curiosité des comment, cette recherche des origines qui tourmentent le premier, ils ne les conçoivent pas.

Aussi, quelles sont leurs connaissances quelle est leur philosophie? Comment connaissent-ils les choses, la nature des choses? Je dis qu'ils ne la connaissent même pas, cette nature; ou, pour qu'on ne me reproche pas de me contredire, je dis qu'ils la connaissent mal, et qu'on ne peut en avoir une vraie connaissance que par son origine.

L'enfant n'ignore pas ce que c'est que le pain qu'il voit et qu'il mange tous les jours; direzvous qu'il en connaît la nature comme celui qui a vu semer le grain, qui l'a vu recueillir, qui l'a vu moudre, qui a été témoin de tout ce qu'il faut de travail et de peine pour en faire le plus précieux des alimens?

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Et nous, hommes faits, la plupart des choses que nous croyons connaître, les connaissonsnous? Ne sommes-nous pas comme l'enfant qui jouit des productions de la nature et des arts, sans s'inquiéter de la sagesse divine, ou

de l'industrie humaine qui leur a donné l'existence? Trop heureux de n'être qu'ignorans, et de ne pas imiter la folle présomption de ces philosophes qui, au lieu de chercher la raison des choses dans leurs origines, ou dans leurs sources, c'est-à-dire, où elles sont, se flattent de les deviner par une sorte d'inspiration, qu'ils appellent force de génie, et qu'il faudrait appeler déréglement d'esprit, absence de bon

sens!

Ceci tient à tout. Nous touchons à la question de l'analyse et de la synthèse; à celle des définitions qui montrent la génération des idées, et des définitions qui se font par le genre et la différence. Ces questions une fois résolues, nous saurions enfin, si et quand il faut dans nos études, aller du particulier au général, ou du général au particulier; du composé au simple, ou du simple au composé; des idées aux mots, ou des mots aux idées. Nous saurions s'il est permis de balancer entre une méthode qui nous conduit toujours par le chemin le plus facile et le plus court, et une méthode qui nous force de nous traîner à travers des sentiers longs, raboteux, hérissés d'épines, et qui, après tant de fatigues, n'aboutit ordinairement qu'à nous égarer.

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