Page images
PDF
EPUB

108 ÉLOGE DE VOLTAIRE PAR M. DE LA HARPE.

faible voix, qui du moins s'est fait entendre; et ce n'est enfin qu'après m'être acquitté ainsi de tout ce que mon cœur destinait à ta mémoire que je pouvais pardonner à l'injustice.

VIE

DE VOLTAIRE

PAR

M. LE MARQUIS DE CONDORCET.

VIE

DE VOLTAIRE.

La vie de Voltaire doit être l'histoire des progrès que les arts ont dus à son génie, du pouvoir qu'il a exercé sur les opinions de son siècle, enfin de cette longue guerre contre les préjugés, déclarée dès sa jeunesse, et soutenue jusqu'à ses derniers moments.

Mais lorsque l'influence d'un philosophe s'étend jusque sur le peuple, qu'elle est prompte, qu'elle se fait sentir à chaque instant, il la doit à son caractère, à sa manière de voir, à sa conduite, autant qu'à ses ouvrazes. D'ailleurs ces détails sont encore utiles pour l'étade de l'esprit humain. Peut-on espérer de le connaître, si on ne l'a pas observé dans ceux en qui la nature a déployé toutes ses richesses et toute sa puissance, si meme on n'a pas recherché en eux ce qui leur est commun avec les autres hommes, aussi bien que ce qui les en distingue? L'homme ordinaire reçoit d'autrui ses opinions, ses passions, son caractère; il tient tout des lois, des préjugés, des usages de son pays, comme la plante reçoit tout du sol qui la nourrit, et de l'air qui l'environne. En observant l'homme vulgaire, on apprend à connaître l'empire auquel la nature nous a

soumis, et non le secret de nos forces et les lois de notre intelligence.

François-Marie AROUET, qui a rendu le nom de VOLTAIRE si célébre, naquit à Chatenay le 20 de février 1694, et fut baptisé à Paris, dans l'église de SaintAndré-des-Arcs, le 22 de novembre de la même année. Son excessive faiblesse fut la cause de ce retard, qui pendant sa vie a répandu des nuages sur le lieu et sur l'époque de sa naissance. On fut aussi obligé de baptiser Fontenelle dans la maison paternelle, parcequ'on désespérait de la vie d'un enfant si débile. Il est assez singulier que les deux hommes célébres de ce siècle, dont la carrière a été la plus longue, et dont l'esprit s'est conservé tout entier le plus long-temps, soient nés tous deux dans un état de faiblesse et de langueur.

Le père de M. de Voltaire exerçait la charge de trésorier de la chambre des comptes; sa mère, Marguerite Daumart, était d'une famille noble du Poitou. On a reproché à leur fils d'avoir pris ce nom de Voltaire, c'est-à-dire d'avoir suivi l'usage alors généralement établi dans la bourgeoisie riche où les cadets, laissant à l'aîné le nom de famille, portaient celui d'un fief ou même d'un bien de campagne. Dans une foule de libelles on a cherché à rabaisser sa naissance. Les gens de lettres, ses ennemis, semblaient craindre que les gens du monde ne sacrifiassent trop aisément leurs préjugés aux agréments de sa société, à leur admiration pour ses talents, et qu'ils ne traitassent un homme de lettres avec trop d'égalité. Ces reproches sont un hommage: la satire n'attaque point la naissance d'un homme de lettres, à moins qu'un reste de conscience

« PreviousContinue »