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naît l'origine du cercle; quand on s'est avisé que, pour le décrire, il suffit de faire tourner une ligne droite sur une de ses extrémités immobiles; alors dans cette formation, ou dans cette origine, on voit l'égalité de toutes les distances au centre.

Il est vrai que le cercle est une figure si simple, qu'il paraît difficile de ne pas en découvrir l'origine à l'instant même qu'on le voit. Mais, qu'il s'agisse d'une ellipse, d'une hyperbole, d'une cycloïde, on ne tardera pas à s'apercevoir que l'origine de ces courbes peut rester cachée long-temps après qu'on nous en a fait connaître la nature.

La nature d'une idée est connue quand on connaît son origine, mais non pas réciproquement; il fallait donc distinguer ces deux

choses.

Il le fallait si bien, que rien n'importe à un plus haut degré. Si vous cherchez, en effet, la raison de la différence qui sépare du commun des philosophes, le philosophe qui nous éclaire par son génie, vous trouverez qu'elle consiste principalement dans la manière dont ils considèrent les objets. L'un éprouve le besoin impérieux de savoir le comment des choses; tant qu'il ne les a pas vues se former sous les

yeux de son esprit, il croit les ignorer; aux autres, il suffit des choses comme elles se présentent, ou telles qu'on les leur montre; ils ne ne vont ni en deçà, ni en delà; et cette curiosité des comment, cette recherche des origines qui tourmentent le premier, ils ne les conçoivent pas.

Aussi, quelles sont leurs connaissances, quelle est leur philosophie? Comment connaissent-ils les choses, la nature des choses? Je dis qu'ils ne la connaissent même pas, cette nature; ou, pour qu'on ne me reproche pas de me contredire, je dis qu'ils la connaissent mal, et qu'on ne peut en avoir une vraie connaissance que par son origine.

L'enfant n'ignore pas ce que c'est que le pain qu'il voit et qu'il mange tous les jours; direzvous qu'il en connaît la nature comme celui qui a vu semer le grain, qui l'a vu recueillir, qui l'a vu moudre, qui a été témoin de tout ce qu'il faut de travail et de peine pour en faire le plus précieux des alimens?

Et nous, hommes faits, la plupart des choses que nous croyons connaître, les connaissonsnous? Ne sommes-nous pas comme l'enfant qui jouit des productions de la nature et des arts, sans s'inquiéter de la sagesse divine, ou

de l'industrie humaine qui leur a donné l'existence? Trop heureux de n'être qu'ignorans, et de ne pas imiter la folle présomption de ces philosophes qui, au lieu de chercher la raison des choses dans leurs origines, ou dans leurs sources, c'est-à-dire, où elles sont, se flattent de les deviner par une sorte d'inspiration, qu'ils appellent force de génie, et qu'il faudrait appeler déréglement d'esprit, absence de bon

sens!

Ceci tient à tout. Nous touchons à la question de l'analyse et de la synthèse; à celle des définitions qui montrent la génération des idées, et des définitions qui se font par le genre et la différence. Ces questions une fois résolues, nous saurions enfin, si et quand il faut dans nos études, aller du particulier au général, ou du général au particulier; du composé au simple, ou du simple au composé; des idées aux mots, ou des mots aux idées. Nous saurions s'il est permis de balancer entre une méthode qui nous conduit toujours par le chemin le plus facile et le plus court, et une méthode qui nous force de nous traîner à travers des sentiers longs, raboteux, hérissés d'épines, et qui, après tant de fatigues, n'aboutit ordinairement qu'à nous égarer.

Je ne dois pas m'engager aujourd'hui dans ces recherches: qu'il me suffise d'avoir remar→ qué combien il importe de ne pas toujours confondre la nature d'une idée avec son origine, et de vous avoir fait comprendre, ou du moins entrevoir, que, pour bien connaître les choses, il faut prendre l'habitude d'aller à leur nature par leur origine.

Les idées sans origine connue, sont comme ces mots qui ne tiennent plus à leur racine, et dont les étymologies perdues ont fait disparaître la valeur avec les titres. De telles idées et de tels mots rendent tout arbitraire, les expressions et les pensées. Cependant la parole a ses analogies qu'il faut respecter, le raisonnement ses lois auxquelles il faut se soumettre ; car la vérité ne dépend pas de nos fantaisies.

Les philosophes ayant donc confondu la nature des choses, leur origine, leur cause, et n'ayant vu dans la sensibilité que les seules sensations, la question de l'origine des idées devait nécessairement être mal posée, et exprimée en termes d'une signification toujours incertaine. En cet état, les efforts du génie étaient impuissans pour la résoudre.

Mais la solution que nous avons donnée nousmême est-elle à l'abri de la critique? résiste

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ra-t-elle à toutes les attaques? Les amis de Descartes et de Mallebranche, ceux de Locke et de Condillac ne se réuniront-ils pas pour renverser une doctrine qui veut renverser les leurs? Ceux qui, ne s'étant faits les disciples d'aucun philosophe, ne reconnaissent d'autre maître que la raison, seront-ils avec nous?

Voyons ce qu'on pourrait mettre à la place de ce que je vous ai enseigné sur la nature, les origines et les causes de nos idées; et d'abord, écoutons les objections relatives à leur nature.

Objections. Vous dites que nous n'avons des idées qu'autant que nous distinguons les objets les uns des autres, soit que ces objets existent en nous, soit qu'ils existent hors de nous; en sorte que, selon vous, ce qui proprement constitue une idée, c'est un rapport de distinction; et, comme tout rapport de distinction suppose quelque sentiment qui l'a précédé, puisqu'on ne distinguerait rien si on n'avait rien senti, vous en concluez que l'idée et le sentiment distingué sont une seule et même chose.

Or voici ce que nous opposons à cette doctrine :

1°. Idée veut dire la même chose qu'image.

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