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nement, afin que si chose le fasses.

y a en eux à reprendre, que tu

« Et te supplie, mon enfant, que en mafin, tu aies de moi souvenance, et de ma pauvre âme; et me secoure par messes, oraisons, prières, aumônes et bienfaits par tout ton royaume, et m'octroie partage et portion en tous tes bienfaits que tu feras. Et je te donne toute bénédiction que jamais père peut donner à son enfant, priant à toute la Trinité du paradis, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qu'il te garde et défende de tous maux; à ce que nous puissions, une fois après cette mortelle vie, être devant Dieu ensemble, et lui rendre grâces et louanges sans fin. >>

Tout homme près de mourir, détrompé sur les choses du monde, peut adresser de sages instructions à ses enfants; mais quand ces instructions sont appuyées de l'exemple de toute une vie d'innocence; quand elles sortent de la bouche d'un grand prince, d'un guerrier intrépide, et du cœur le plus simple qui fut jamais; quand elles sont les dernières expressions d'une âme divine qui rentre aux éternelles demeures, alors, heureux le peuple qui peut se glorifier en disant : « L'homme qui a écrit ces instructions était le roi de mes pères ! »

La maladie faisant des progrès, Louis demanda l'extrême-onction: il répondit aux prières des agonisants avec une voix aussi ferme que s'il eût donné des ordres sur un champ de bataille1; il se mit à genoux au pied de son lit, pour recevoir le Saint-Viatique, et on fut obligé de soutenir par les bras ce nouveau saint Jérôme 2, dans cette dernière communion. Depuis ce moment, il mit fin aux pen

tice, et qui avait droit de commander la noblesse de son district. Ce mot désignait aussi un officier royal de robe longue, dont les arrêts ressortissaient du parlement; enfin un officier qui rendait la justice au nom d'un seigneur.-« Prévôts. ». On appelait prévôts divers officiers chargés de juger, de surveiller, de diriger. Prévôt royal, prévôt de Paris, prévôt des marchands.

1 «Que s'il eût donné des ordres sur un champ de bataille. » Rapprochement juste qui rappelle l'intrépidité de saint Louis dans les combats, et fait mieux ressortir son intrépidité en face de la mort.

2 « Ce nouveau saint Jérôme. » Saint Jérôme, docteur de l'Église, né vers 331, à Stridon, en Pannonie, mort en Palestine, l'an 420. Il a laisse beaucoup d'écrits; mais son plus beau titre est sa traduction latine de la Bible, faite sur l'hébreu, connue sous le nom de Vulgate, et adoptée comme canonique par le concile de Trente,

sées de la terre, et se crut acquitté envers ses peuples. Eh! quel monarque avait jamais mieux rempli ses devoirs! sa charité s'étendit alors à tous les hommes: il pria pour les infidèles, qui firent à la fois la gloire et le malheur de sa vie ; il invoqua les saints patrons de la France, de cette France si chère à son âme royale. Le lundi matin, 25 août, sentant que son heure approchait, il se fit coucher sur un lit de cendres, où il demeura étendu, les bras croisés sur la poitrine, et les yeux levés vers le ciel.

On n'a vu qu'une fois, et l'on ne reverra jamais un pareil spectacle la flotte du roi de Sicile se montrait à l'horizon; la montagne et les collines étaient couvertes de l'armée des Maures. Au milieu des débris de Carthage, le camp des chrétiens offrait l'image de la plus affreuse douleur: aucun bruit ne s'y faisait entendre; les soldats moribonds sortaient des hôpitaux et se traînaient à travers les ruines pour s'approcher de leur roi expirant. Louis était entouré de sa famille en larmes, des princes consternés, des princesses défaillantes. Les députés de l'empereur de Constantinople se trouvèrent présents à cette scène: ils purent raconter à la Grèce les merveilles d'un trépas que Socrate aurait admiré. Du lit de cendres où saint Louis rendait le dernier soupir, on découvrait le rivage d'Utique1 : chacun pouvait faire la comparaison de la mort du philosophe stoïcien et du philosophe chrétien. Plus heureux que Caton, saint Louis ne fut point obligé de lire un traité de l'immortalité de l'âme, pour se convaincre de l'existence d'une vie future : il en trouvait la preuve invincible dans sa religion, ses vertus et ses malheurs. Enfin, vers les trois heures de l'après-midi, le roi, jetant un grand soupir, prononça distinctement ces paroles: «Seigneur, j'entrerai dans votre maison, et je vous adorerai dans votre saint temple; » et son âme s'envola dans le saint temple, qu'il était digne d'habiter. (CHATEAUBRIAND.)

1 Utique,» ville de l'Afrique propre, dans la régence actuelle de Tunis, fut, après la ruine de Carthage, da capitale de la province d'Afrique. Le second Caton s'y tua, lorsque Pompée eut été défait à Pharsale.

2 « Seigneur, j'entrerai dans votre maison.» Paroles tirées des psaumes. › JUGEMENT.-Ce testament de saint Louis est admirable; on y recon

39.-MARTYRE D'EUDORE ET DE CYMODOCÉE.

Le couple angélique 1 tombe à genoux au milieu de l'arène; Eudore met l'anneau trempé de son sang au doigt de Cymodocée.

<< Servante de Jésus-Christ, s'écrie-t-il, recevez ma foi. Vous êtes aimable comme Rachel, sage comme Rébecca, fidèle comme Sara, sans avoir sa longue vie. Croissons pour l'éternité, remplissons le ciel de nos vertus. »>>

A l'instant le ciel ouvert célèbre ces noces sublimes : les anges entonnent le cantique de l'Épouse: la mère d'Eudore présente à Dieu ses enfants unis, qui vont bientôt paraître au pied du trône éternel; les vierges martyres tressent la couronne nuptiale de Cymodocée; Jésus-Christ bénit le couple bienheureux, et l'Esprit-Saint lui fait le don d'un intarissable amour.

Cependant, la foule qui voyait les deux chrétiens à genoux croyait qu'ils lui demandaient la vie. Tournant aussitôt le pouce vers eux, comme dans les combats de gladiateurs, elle repoussait leur prière par ce signe, et les condamnait à mort! Le peuple romain, que ses nobles priviléges avaient fait surnommer le peuple-roi, avait depuis longtemps perdu son indépendance il n'était resté le maître absolu que dans la direction de ses plaisirs; et, comme on se servait de ces mêmes plaisirs pour l'entraîner et le corrompre, il ne possédait, en effet, que la souveraineté de son esclavage. Le gladiateur des portiques vint

naît un grand roi et un grand saint, et l'on y voit en même temps que c'est parce qu'il est un grand saint qu'il est un grand roi ; chez lui le politique ne se distingue pas du chrétien. La pensée est partout d'une piété à la fois touchante et élevée, d'une sagesse puisée à sa source véritable, qui est Dieu même; elle n'a pas besoin d'ornements étrangers pour plaire; mais la naïveté de notre vieille langue lui prête un charme de plus. L'auteur qui rapporte ce récit d'un autre siècle a su rester lui-même simple et naturel dans ses réflexions.

1 « Le couple angélique. » Tout ce morceau est écrit en prose poėtique; ce qui serait ailleurs de la recherche est ici naturel et conve nable, une fois le genre admis.

2 << La souveraineté de son esclavage. » Il a fallu un raisonnement subtil pour amener cette antithèse, et elle a quelque chose de forcé. Gardez-vous de l'abus de cette figure qui produit souvent de l'effet aux dépens du bon goût.

dans ce moment recevoir les ordres du peuple sur le sort de Cydomocée.

<< Peuple libre et puissant, dit-il, cette chrétienne est entrée, hors de son rang, dans l'arène; elle était condamnée à mourir avec le reste des impies, après le combat de leur chef; elle s'est échappée de la prison. Egarée dans Rome, son mauvais génie1, ou plutôt le génie de l'Empire, l'a ramenée à l'amphithéâtre 2. »

Le peuple cria d'une commune voix :

« Les dieux l'ont voulu ; qu'elle reste et qu'elle meure ! » Un petit nombre, intérieurement travaillé par le Dieu des miséricordes, paraissait touché de la jeunesse de Cy-. modocée il voulait que l'on fit grâce à cette chrétienne; mais la foule répétait :

« Qu'elle reste et qu'elle meure! plus la victime est belle, plus elle est agréable aux dieux. »

Ce n'étaient plus ces enfants de Brutus, qui maudissaient le grand Pompée pour avoir fait combattre de paisibles éléphants! c'étaient des hommes abrutis par la servitude, aveuglés par l'idolâtrie, et chez qui toute humanité était éteinte avec le sentiment de la liberté.

Lorsque l'empereur parut, les spectateurs se levèrent et lui donnèrent le salut accoutumé. Eudore s'inclina respectueusement devant César 5. Cymodocée s'avança sous le

1 << Son mauvais génie. » On appelait génie, chez les païens, un dieu subalterne qui présidait à la naissance et à la vie de chaque homme. Chaque personne avait un bon et un mauvais génie. Les empires, les provinces, les villes, avaient aussi leur génie tutélaire. A Rome, on adorait le génie public, c'est-à-dire la divinité de l'Empire.

2 « A l'amphithéâtre. » L'amphithéâtre était, comme l'indique son nom, de forme ronde ou ovale, et formé par la réunion de deux théâtres demi-circulaires. La place ovale laissée au milieu servait aux combats; on la nommait arène, parce qu'elle était couverte d'un sable fin (arena). On voit encore à Nîmes les ruines d'un amphithéâtre qui attestent la grandeur et la solidité des constructions romaines.

3 « Un petit nombre, etc. » Cette compassion de quelques spectateurs << travaillés par le Dieu des miséricordes » fait ressortir encore la cruauté de la foule.

« Ce n'étaient plus ces enfants de Brutus, » c'est-à-dire des hommes libres, parce que Brutus fonda la liberté à Rome. Cela s'oppose à <<<< des hommes abrutis par la servitude. >>

5 « Eudore s'inclina respectueusement devant César. » Les chrétiens n'oubliaient pas, même en mourant, le précepte de l'Évangile : « Rendez à César ce qui est à César. » Ils furent toujours les sujets les plus fidèles des empereurs leurs bourreaux.

balcon, pour demander à l'empereur la grâce d'Eudore, et s'offrit elle-même en sacrifice. La foule tira Galérius 1 de l'embarras de se montrer miséricordieux ou cruel : depuis longtemps elle attendait le combat; la soif du sang avait redoublé à la vue des victimes. On crie de toutes parts: « Les bêtes ! qu'on lâche les bêtes ! les impies auxbêtes !»> Eudore veut parler au peuple en faveur de Cymodocée; mille voix étouffent sa voix :

« Qu'on donne le signal! les bêtes, les chrétiens aux bêtes! >>

Le son de la trompette se fait entendre: c'est l'annonce de l'apparition des bêtes féroces. Le chef des rétiaires2 traverse l'arène, et vient ouvrir la loge d'un tigre connu par sa férocité.

Alors s'élève entre Eudore et Cymodocée une contestation à jamais mémorable: chacun des deux époux veut mourir le dernier.

« Eudore, disait Cymodocée, si vous n'étiez pas blessé, je vous demanderais à combattre la première; mais à présent j'ai plus de force que vous, et je puis vous voir mourir. >>

« Cymodocée, répondit Eudore, il y a plus longtemps que vous que je suis chrétien: je pourrai mieux supporter la douleur; laissez-moi quitter la terre le dernier.

D

En prononçant ces paroles, le martyr se dépouille de son manteau; il en couvre Cymodocée, afin de mieux dérober aux yeux des spectateurs les charmes de la fille d'Homère 3 lorsqu'elle sera traînée sur l'arène par le tigre. Eudore craignait qu'une mort aussi chaste ne fut souillée par l'ombre d'une pensée impure, même dans les autres.

La trompette sonne pour la seconde fois.

On entend gémir la porte de fer de la caverne du tigre:

1 « Galérius.» H fut adopté par Dioclétien, qui le nomma César en 292. Ayant forcé Dioclétien d'abdiquer l'empire, Galérius devint empereur avec Constance-Chlore, en 305, et mourut en 311.

2 « Le chef des rétiaires. » Les rétiaires étaient des gladiateurs qui combattaient avec un filet (rete) d'une main et un trident de l'autre. Ils cherchaient à jeter leur filet sur la tête de leur adversaire, puis le tiraient à terre, et l'égorgeaient avec leur trident. Voy. Rome au siècle d'Auguste, par M. Charles Dezobry, lettre XCV.

3 « La fille d'Homère.» Cymodocée était fille de Démodocus, descendant du grand poëte Homère.

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