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enrage, et sur cela réclame ses antiques priviléges.

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Tout le monde cependant use du droit acquis comme si on craignait de n'en pas jouir longtemps. Chacun se lance; non : à la cour, on se glisse, on s'insinue, on se pousse. Il n'est fils de bonne mère qui n'abandonne tout pour être présenté, faire sa révérence avec l'espoir fondé, elle est agréée, d'emporter pied ou aile, comme on dit, du budget, et d'avoir part aux graces.. Les graces à la cour pleuvent soir et matin; et une fois admis, il faudrait être bien brouillé avec le sort, avoir bien peu de souplesse, ou une femme bien sotte, pour ne rien attraper, lorsqu'on est alerte, à l'épreuve des dégoûts, et qu'on, ne se rebute pas. Sans humeur, sans honneur; c'est le mot, la devise: Quiconque ne sait pas digérer un affront....

Alerte, il le faut être. Bien des gens croient la cour un pays de fainéans, où, dès qu'on a mis le. pied, la fortune vous cherche, les biens viennent en dormant ; erreur. Les courtisans, il est vrai, ne font rien; nulle œuvre, nulle besogne qui paraisse. Toutefois, les forçats ont moins de peine, et le comte de Sainte-Hélène dit que les galères, au prix, sont un lieu de repos. Le laboureur, l'artisan, qui chaque soir prend somme, et répare la nuit les fatigues du jour, voilà de vrais paresseux. Le courtisan jamais ne dort, et

l'on a calculé mathématiquement que la moitié des soins perdus dans les antichambres, la moitié des travaux, des efforts, de la constance, nécessaires pour seulement parler à un sot en place, suffirait, employée à des objets utiles, pour décupler en France les produits de l'industrie, et porter tous les arts à un point de perfection dont on n'a nulle idée.

Mais la patience surtout, la patience aux gens de cour, est ce qu'est aux fidèles la charité, tient lieu de tout autre mérite. Monseigneur, j'attendrai, dit l'abbé de Bernis au ministre qui lui criait : Vous n'aurez rien, et le chassait, le poussait dehors par les épaules. J'en sais qui sur cela eussent pris leur parti, cherché quelque moyen de se passer de monseigneur, de vivre par euxmêmes, comme le cocher de fiacre: La cour me bláme, je m'en...; c'est-à-dire : je travaillerai. Ignoble mot, langage de roturier né pour toujours l'être. Le gentilhomme de Louis XVI, noble de race, dit j'attendrai. Le gentilhomme de Bonaparte, noble par grace, dit j'attendrons. Et tous deux se prennent la main, s'embrassent, amis de cour!

LETTRE X.

Véretz, 10 mars 1820.

MONSIEUR,

C'est l'imprimerie qui met le monde à mal. C'est la lettre moulée qui fait qu'on assassine depuis la création; et Caïn lisait les journaux dans le paradis terrestre. Il n'en faut point douter; les ministres le disent, les ministres ne mentent pas, à la tribune surtout.

Que maudit soit l'auteur de cette damnable invention, et, avec lui, ceux qui en ont perpétué l'usage, ou qui jamais apprirent aux hommes à se communiquer leurs pensées! pour telles gens l'enfer n'a point de chaudières assez bouillantes. Mais remarquez, monsieur, le progrès toujours croissant de la perversité. Dans l'état de nature célébré par Jean-Jacques avec tant de raison, l'homme exempt de tout vice et de la corruption des temps où nous vivons, ne parlait point, mais criait, murmurait ou grognait, selon ses affections du moment. Il y avait plaisir alors à gouverner. Point de pamphlets, point de journaux, point de pétitions pour la charte, point de réclamations sur l'impôt. Heureux âge qui dura trop peu!

Bientôt des philosophes, suscités par Satan pour le renversement d'un si bel ordre de choses, avec certains mouvemens de la langue et des lèvres, articulèrent des sons, prononcèrent des syllabes. Où étais-tu Séguier? Si on eût réprimé dès le commencement ces coupables excès de l'esprit anarchique, et mis au secret le premier qui s'avisa de dire ba be bi bo bu, le monde était sauvé; l'autel sur le trône, ou le trône sur l'autel, avec le tabernacle affermis pour jamais, en aucun temps il n'y eût eu de révolutions. Les pensions, les traitemens, augmenteraient chaque année. La religion, les moeurs.... Ah! que tout irait bien! Nymphes de l'Opéra, vous auriez part encore à la mense abbatiale et au revenu des pauvres. Mais fait-on jamais rien à temps? Faute de mesures préventives, il arriva que les hommes parlèrent, et tout aussitôt commencèrent à médire de l'autorité qui ne le trouva pás bon, se prétendit outragée, avilie, fit des lois contre les abus de la parole; la liberté de la parole fut suspendue pour trois mille ans, et, en vertu de cette ordonnance, tout esclave qui ouvrait la bouche pour crier sous les coups ou demander du pain était crucifié, empalé, étranglé, au grand contentement de tous les honnêtes gens. Les choses n'allaient point mal ainsi, et le gouvernement était considéré.

Mais, quand un Phénicien (ce fut, je m'imagine, quelque manufacturier, sans titre, sans naissance) eut enseigné aux hommes à peindre la parole, et fixer par des traits cette voix fugitive, alors commencèrent les inquiétudes vagues de ceux qui se lassaient de travailler pour autrui, et en même temps le dévouement monarchique de ceux qui voulaient à toutes forces qu'on travailpour eux. Les premiers mots tracés furent liberté, loi, droit, équité, raison; et dès lors on vit bien que cet art ingénieux tendait directement à rogner les pensions et les appointemens. De cette époque datent les soucis des gens en place, des courtisans.

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Ce fut bien pis, quand l'homme de Mayence ( aussi peu noble, je le crois, que celui de Sidon) à son tour eut imaginé de serrer entre deux ais la feuille qu'un autre fit de chiffons réduits en pâte; tant le démon est habile à tirer parti de tout pour la perte des ames! L'Allemand, par tel moyen, multipliant ces traits de figures tracées qu'avait inventées le Phénicien, multiplia d'autant les mots que fait la pensée. O terrible influence de cette race qui ne sert ni Dieu, ni le roi, adonnée aux sciences mondaines, aux viles professions mécaniques! engeance pernicieuse, que ne ferait-elle pas si on la laissait faire, abandonnée sans frein à ce fatal esprit de connaître, d'inventer et de perfectionner! Un ouvrier, un misć

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