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Ne soyons pas si difficiles :

Les plus accommodants, ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez vous de rien dédaigner,

Surtout quand vous avez à peu près votre compte.

LA FONTAINE.

FABLE XLIII.

LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT.

Esope conte qu'un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant
A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelė, perclus, immobile, rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.
Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure ;
Et, sans considérer quel sera le loyer'
D'une action de ce mérite,
Il l'étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.
Il relève la tête, et puis siffle aussitôt,

Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père.
— Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !
Tu mourras! A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête,
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue et la tête.
L'insecte, sautillant, cherche à se réunir,
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :

Mais envers qui ? c'est là le point.

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Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

Il faut être charitable envers tout le monde, mais avec prudence

Les ingrats sont toujours punis

LA FONTAINE.

4.

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Compère le renard se mit un jour en frais, ex
Et retinta diner commère la cigogne.

Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts
Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.*
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout, en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
XA quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis

Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis

De la cigogne son hôtesse;
Loua très fort sa politesse;
Trouva le diner cuit à point:

Bon appétit surtout, renards n'en manquent point
Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure..

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

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la via

Sacting

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

(1) Bouillie très-claire. (2) De peu. (3) Laper, boire comme les chiens

ansition

Soudure

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

Quand on trompe les autres, on mérite d'être trompé à son tour.

LA FONTAINE.

FABLE XLV.

LE CHIEN COUPABLE.

Mon frère, sais-tu la nouvelle

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Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger

Le petit agneau noir, puis la prebis sa mère
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.

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A qui donc se fier grands dieux!

C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine
Et la nouvelle était certaine.

Mouflar, sur le fait même pris,

N'attendait plus que le supplice;

Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayat les chiens du pays.

+

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La procédure en un jour est finie.
Mille témoins pour un déposent l'attentat
Récolės, confrontés, aucun d'eux ne varie,
Mouflar est convaincu du triple assassinat :
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.

A son supplice qui s'apprête

Toute la ferme se rendit.

compoldi

Les agneaux, de Mouflar demandèrent la grâce:
Elle fut refusée. On leur fit prendre place:
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux
Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflar parait bientôt, conduit par deux pasteurs ;
Il arrive; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance :

ostat in

vous qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,

Voyez où peut conduire un coupable désir
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir.

Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore,

Seul auprès du grand bois, je gardais le troupeau

Un loup vient, emporte un agneau,

Et tout en fuyant le dévore

крові

100 i

Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin, fo
Vient m'attaquer je le terrasse,

Et je l'étrangle sur le place.

C'était bien jusque-là mais, pressé par la faím,
De l'agneau dévoré je regarde le reste,
J'hésite, je balance. A la fin, cependant,
J'y porte une coupable dent :

Voilà de mes malheurs l'origine funeste;
La brebis vient dans cet instant,

Elle jette des cris de mère...

La tête m'a tourné, j'ai craint que la brebis
Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils;
Et, pour la forcer à se taire,
Je l'égorge dans ma colère.

Le berger accourait armé de son bâton.
N'espérant plus aucun pardon,

Je me jette sur lui: mais bientôt on m'enchaîne,
Et me voici prêt à subir

De mes crimes la juste peine.

Apprenez tous du moins, en me voyant mourir,
Que la plus légère injustice

Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord;
Et que, dans le chemin du vice,

On est au fond du précipice,

Dès qu'on met un pied sur le bord.

FLORIAN.

FABLE XLVI.

FANFAN ET COLAS.

Fanfan, gras et vermeil, et marchant sans lisière,
Voyait son troisième printemps.

D'un nouveau nourrisson, Pérette, toute fière,
S'en allait à Paris le rendre à ses parents.
Pérette avait, sur sa bourrique,

Dans deux paniers mis Colas et Fanfan.
De la riche Chloé celui-ci fils unique,
Allait changer d'état, de nom, d'habillement,
Et peut-être de caractère.

Colas, lui, n'était que Colas,

Fils de Pérette et de son mari Pierre.
Il aimait tant Fanfan, qu'il ne le quittait pas
Fanfan le chérissait de même.

Ils arrivent. Chloé prend son fils dans ses bras:
Son étonnement est extrême,

Tant il lui paraît fort, bien nourri, gros et gras.
Pérette de ses soins est largement payée.
Voilà Pérette renvoyée ;
Voilà Colas que Fanfan voit partir.
Trio de pleurs. Fanfan se désespère :

Il aimait Colas comme un frère;

Sans Pérette et sans lui, que va-t-il devenir }
Il fallut se quitter. On dit à la nourrice :

Quand de votre hameau vous viendrez à Paris,
N'oubliez pas d'amener votre fils;

Entendez-vous, Pérette? on lui rendra service.
Pérette, le cœur gros, mais plein d'un doux espoir,
De son Colas déjà eroit la fortune faite.

De Fanfan, cependant, Chloé fait la toilette.
Le voilà décrassé, beau, blanc, il fallait voir !
Habit moiré, toque d'or, riche aigrette.

On dit que le fripon, se voyant au miroir,
Oublia Colas et Pérette.

- Je voudrais à Fanfan porter cette galette,

--

Dit la nourrice un jour; Pierre, qu'en penses-tu ? Voilà tantôt six mois que nous ne l'avons vu. VRAIS ORN

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